La Grande Interview : Merhawi Kudus

Pour son nouveau rendez-vous, "La Grande Interview" (à retrouver tous les jeudis soirs), DirectVelo.com est parti à la rencontre du nouveau phénomène du peloton amateur : Merhawi Kudus. Elevé à 2300 mètres d'altitude, ce grimpeur d'Erythrée, en Afrique de l'Est, s'est déchaîné la semaine passée dans les côtes du Tour de Côte d'Or. La nouvelle perle du Centre Mondial du Cyclisme, en Suisse, n'en est pourtant qu'à sa première année Espoir. Le mois prochain, il sera stagiaire chez Bretagne-Séché et il visera un succès d'étape sur le Tour de l'Avenir. Entretien exclusif après sa victoire devant les amateurs belges et français.

DirectVélo : Est-ce que les gens en Erythrée savent que tu as remporté une course amateur en France ?
Merhawi Kudus : Oui, ils en ont entendu parler au journal télévisé ! Je m'en suis rendu compte lundi soir en regardant les infos sur internet. Le cyclisme est le sport numéro 1 en Erythrée alors toute victoire que l'un d'entre nous peut décrocher à l'étranger représente une nouvelle importante. Maintenant, les gens me connaissent dans mon pays et ils m'arrêtent dans la rue pour discuter. Je suis constamment sous pression. Une pression positive, disons. Donc, si je gagne, le public est au courant.

Les spectateurs du Tour de Côte d'Or étaient assez admiratifs de ta supériorité en course et de ta joie sur le podium le dernier jour. As-tu ressenti ce fort intérêt autour de toi ?
J'ai été touché par les marques de gentillesse. Les organisateurs, les spectateurs étaient très aimables. A l'hôtel aussi, certains coureurs sont venus nous voir pour me féliciter ou demander si je passerais pro en 2014. Quant à mon attitude sur le podium, elle est démonstrative. J'ai une dizaine de victoires l'an passé en Junior et une seule cette saison avec le Tour de Côte d'Or. Et puis, quand je suis content, je suis la musique, je danse... Nous nous exprimons souvent de cette façon après les courses en Erythrée.

Comment trouves-tu le niveau du peloton en France par-rapport à l'Erythrée ?
En France, il est élevé. Je n'ai pas eu la victoire facile au Tour de Côte d'Or. Le dernier jour, une échappée a creusé jusqu'à 2'40" d'avance et j'aurais certainement perdu mon maillot sans l'aide de mes coéquipiers du Centre Mondial. En France, il y a une quinzaine ou une vingtaine de clubs sur chaque course et une centaine de coureurs de haut niveau.

On se dit a priori qu'il est plus difficile de s'imposer en Erythrée, tellement le pays compte de talents !
En effet, nous avons beaucoup de talents, mais je commence à connaître tous les coureurs et toutes les courses.

« JE VOULAIS SUIVRE MON ONCLE »

A quel âge commences-tu le cyclisme ?
A l'âge de quatorze ans. Je voulais suivre mon oncle qui courait en troisième catégorie et qui vit maintenant aux Pays-Bas. J'allais en vélo sur des épreuves pour le regarder faire. Je faisais aussi la course avec mes copains sur le chemin de l'école : un sprint de six kilomètres à l'aller, un autre au retour. Ensuite j'ai participé à des compétitions. J'allais avec mon VTT au milieu des coureurs sur route. Comme j'ai pris quelques places dans les trois premiers, je me suis dit qu'il fallait insister.

Tu t'es révélé en novembre 2012 sur le Tour du Rwanda, l'une des épreuves 2.2 les plus ardues en Afrique. En as-tu gardé un bon souvenir ?
C'était une super expérience. De belles ascensions, une sacrée bagarre... J'ai gagné la deuxième étape et j'ai perdu mon maillot de leader sur la septième, à deux jours de l'arrivée.

Est-ce parce que tu étais encore un peu jeune ou bien que tu t'es trop dépensé dans des attaques ?
J'ai perdu parce que les Sud Africains étaient les plus forts. Ils avaient deux coureurs placés juste derrière moi au classement à moins de 32 secondes [Darren Lill, le vainqueur final, et Shaun Ward, NDLR]. Et je n'avais plus qu'un seul coéquipier pour m'aider, Meron. On a fait de notre mieux. C'est dommage d'avoir perdu mais je ne peux pas avoir de regret. Bien sûr, j'étais jeune. En tant que Junior, j'ai dû bénéficier d'une dérogation de l'UCI pour pouvoir courir. Mais je ne l'ai reçue qu'après avoir pris le maillot. Les commissaires se sont interrogés sur mon droit à rester en course. J'ai eu peur. J'étais leader mais je ne savais pas si je pouvais repartir le lendemain. Finalement, j'ai eu le feu vert. Et j'ai montré que j'avais ma place sur l'épreuve.

La montagne, c'est ton domaine ?
Oui, c'est là que je me sens le plus à l'aise. J'aime surtout quand il y a du pourcentage. En Erythrée, on grimpe peu de montées sèches parce que la plupart des courses ont lieu autour de la capitale, à Asmara, qui se trouve sur un plateau.

Mais ta ville s'élève à 2349 mètres d'altitude. C'est bon pour l'oxygénation ?
Oui, je n'ai pas de problème avec l'altitude ! Et au réveil, mon cœur dépasse rarement les 41 pulsations par minute.

Au-delà des ascensions de côtes ou de cols, es-tu un coureur polyvalent ?
J'ai découvert le contre-la-montre seulement cette saison et j'arrive à me débrouiller sans être un spécialiste. Pareil pour les sprints en petit groupe. Dans les descentes, j'ai progressé. Mais je n'aime pas quand il pleut. Cette année, j'ai perdu quelques courses à cause de la route mouillée, par exemple au Tour de Franche-Comté.

« LA 4E ETAPE DU TOUR DE L'AVENIR ME PLAIT »

Quels sont tes ambitions sur le Tour de l'Avenir, fin août, qui se déroulera sur un parcours très montagneux ?
Je voudrais remporter une étape. Récemment j'ai étudié les profils sur Internet. La quatrième étape, par exemple, me plaît bien [elle relie Albertville et Saint-François Longchamp, avec le Col du Grand Cucheron et la montée finale, NDLR]. Le classement général, je n'y pense pas, ce sera certainement trop difficile de le gagner.

A plus long terme, quel est l'objectif de ta carrière ?
Le Tour de France.

Es-tu en contact avec Daniel Teklehaimanot et Natnael Berhane, qui sont professionnels chez Orica-GreenEDGE et au Team Europcar ?
Avec Daniel, ce n'était pas très facile de discuter pendant la première partie de la saison car il est resté longtemps en Erythrée avant de retourner en Europe [pour des soucis de visa, NDLR]. Je parle plus souvent avec Natnael, en utilisant Skype. Il me donne beaucoup de conseils et d'encouragements avant les courses. Il connaît bien le programme, il a passé deux ans au Centre Mondial du Cyclisme avant moi. Nous faisons partie du même club à Asmara : Asbeco. Nous étions six Juniors et neuf Espoirs équipés d'un vélo et défrayés avec de l'argent de poche. Nous roulions ensemble tous les jours et nous dormions au même endroit.

C'était un peu le Centre Mondial du Cyclisme avant l'heure ?
Oui. J'aime beaucoup le Centre et j'apprends beaucoup ici : sur la tactique, sur l'entraînement... La prochaine étape, ce serait d'apprendre le français.

Au cas où tu passerais professionnel dans une équipe française ?
Je reste ouvert à toutes les options. En réalité, je vais écouter les conseils de Jean-Jacques Henry, notre entraîneur. Ce sera pour 2014 ou 2015, je ne sais pas. Une équipe française ou d'un autre pays, je n'ai pas de préférence.

Crédit Photo : Philippe Pradier - picasaweb.google.fr/PHPHOTO42
 

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