Sur le Chrono des Nations Espoirs, Alexis Guérin sera l'un des favoris dimanche. Pour le coureur de l'Entente Sud Gascogne, le cyclisme c'est l'art d'écrabouiller ses pédales, de se faire mal aux autres et à soi-même. Il prévient : "Si je ne finis pas une course complètement épuisé, je suis déçu, j'ai comme une impression d'inachevé". Sixième des Championnats d'Europe Espoirs du contre-la-montre, il est assurément à 21 ans l'un des plus gros rouleurs de sa génération. Le chrono, le bout droit, le raid du baroudeur sont ses terrains d'expression, surtout s'il peut y glisser une pointe de panache. Mais il peut aussi jouer de sa puissance dans les ascensions, comme il l'a rappelé en terminant meilleur grimpeur sur le Tour du Gévaudan. Guérin est l'un des rares pensionnaires de l'Equipe de France Espoirs à ne pas avoir obtenu de contrat professionnel pour 2014. Son stage avec la FDJ.fr s'est révélé concluant. Aujourd'hui, il attend toujours une dernière opportunité.

DirectVélo : Tu ne viens pas d'une famille de vélo ni d'une grande région de vélo. Comment as-tu découvert ce sport ?
Alexis Guérin : C’est mon meilleur ami qui m’a initié quand j'avais quinze ans. Lucas Destang (vainqueur des Boucles du Canton de Trélon, au Challenge National Junior en 2013, NDLR) est originaire comme moi d'un village de 600 habitants près de Libourne, Rauzan. En première année Junior, j’ai intégré le Pôle France de Talence comme "partenaire d'entraînement". A l'époque, je n'étais pas membre à part entière parce que je n'avais pas obtenu des résultats assez importants aux tests d'entrée. Tout simplement, je n'étais pas assez bon. J'ai compris deux saisons plus tard que je pouvais peut-être faire quelque chose dans le vélo.

Avec Destang, il vous arrive de vous lancer des défis sur la piste de Bordeaux-Lac...
Oui, on fait des tests, des sortes de poursuites : le premier qui arrête a perdu. On va hyper loin dans l'effort. Mais bon, il ne faut pas le mettre dans l'interview (rires).

Pourquoi ce secret ?
On pourrait se dire que je m'entraîne de façon bizarre. Alors que tout ceci n'est qu'un jeu ! A l'entraînement, je suis très discipliné, je respecte à la lettre les instructions que me donne Alexandre Abel. Ensuite, je cherche à me dépasser, parce que je suis un compétiteur.

C'est-à-dire ?
Par exemple, cette année, j'étais inscrit en licence de STAPS et le prof ne voulait pas que je participe aux cours de sport, parce qu'il savait que je faisais du vélo et il avait peur que je me blesse. Il était animé d'une bonne intention, mais je ne pouvais pas me lever à 8 heures du matin pour rester sur le bord du terrain. J'ai fini par arrêter les études en juin. Pour moi, le sport est un jeu. Cet hiver, je vais combiner pour la première fois du pignon fixe, du ski de fond et de la course à pied en montagne. Ce que j'aime, c'est me faire mal.

Quelles sont les courses dans lesquelles tu as le plus souffert cette année ?
Certainement le Tour de Dordogne et le Tour du Gévaudan. Si je ne finis pas une course complètement épuisé, je suis déçu, j'ai comme une impression d'inachevé. Pourtant, j'ai obtenu la plupart de mes victoires sans éprouver cette sensation d'avoir tout donné. Sur le Tour des Cantons de Mareuil-Verteillac-Ribérac, je termine le contre-la-montre en pensant que j'aurais pu me faire encore plus mal, et je m'en voulais. Or, j'ai gagné...

« J'AVAIS TENDANCE A ATTAQUER SANS ARRET »

Ce qui t'aide à remporter des courses, c'est peut-être le contrôle de tes impulsions. Est-ce que ta générosité sur le vélo est un défaut ?
En début d’année, j'avais tendance à attaquer sans arrêt. Puis j’ai essayé de me corriger. A partir du mois de mai, mes résultats se sont améliorés à mesure que je devenais attentiste et plus serein. Je parviens à me contrôler mais il faut encore que je travaille dans ce domaine.

Avec quelles ambitions te rendras-tu sur le Chrono des Nations Espoirs ce dimanche ?
Ce sera la victoire ou rien. Si j’étais emmené à ne même pas figurer sur le podium, je serais très déçu. Certes, la saison a été longue mais je suis en bonne condition physique. Cette épreuve me plaît, elle est un objectif majeur de ma seconde partie de saison.

Jusqu'à présent, tu es catalogué rouleur. Est-ce que tu es d'accord avec cette étiquette ?
J'ai terminé meilleur amateur sur le Championnat de France Elites et sixième au Championnat d'Europe. J'aurais bien voulu le titre de Champion de France Espoirs mais j'ai été renversé par une voiture quelques jours avant l'épreuve. Rouler, c'est ma spécialité. Toutefois, je suis à l’aise sur des terrains plus difficiles. Je ne vais surement pas gagner le Tour du Val d’Aoste, mais la montagne me plaît bien. Sur la Ronde de l'Isard, je termine treizième. J’ai réussi à être à l’attaque sur cette épreuve, alors que c’est l’une des plus exigeantes du calendrier amateur. Je me suis découvert des qualités de grimpeur que je ne pensais pas avoir. Psychologiquement, c’est important pour la suite.

Pourquoi ne pas essayer les pavés ?
Je n'ai encore jamais eu l'occasion de disputer un Paris-Roubaix chez les Juniors ou les Espoirs. Il faut essayer pour comprendre ce que c’est vraiment. Peut-être un jour... Il ne faut pas vendre la peau de l'ours, mais ce pourrait être une bonne surprise.

« LE WEEK-END DU MONDIAL, J'AI REPONDU A MA FACON »

En septembre, tu n'as pas été retenu en Equipe de France pour le Championnat du Monde. Il semble que tu aies accusé le coup ?
Le week-end du Mondial, j'ai répondu à ma façon, en terminant treizième et meilleur grimpeur du Tour du Gévaudan. Une compétition difficile, face à des coureurs professionnels. J’étais déjà déçu de ne pas être retenu sur le Tour de l’Avenir, mais ne pas disputer le Mondial c’était encore pire. Je n’aurais pas aimé être à la place du sélectionneur et je respecte ses décisions. J’ai aussi conscience que l’Equipe de France alignée à Florence était très compétitive. Il n’y a rien à redire là-dessus. Mais j’étais quand même déçu que l’on ne m’ait pas fait confiance. On a sans doute jugé le circuit de Florence trop difficile pour moi. Du coup, avec le Tour du Gévaudan, on a vu que les bosses ne me font pas peur.

La FDJ.fr t'a engagé comme stagiaire en fin de saison et t'a envoyé rouler quelques bouts droits pour ses sprinteurs. Qu'est-ce que tu retires de cette expérience ?
Beaucoup de choses. J'ai pris ce stage comme un bonus, me permettant d’apprendre le métier plus rapidement aux côtés des meilleurs coureurs. J’ai été agréablement surpris par mes sensations sur les différentes courses auxquelles j’ai participé (Tour du Doubs, Grand Prix de Wallonie, Grand Prix de la Somme et l'Eurométropole Tour, NDLR). J’étais un peu intimidé avant le Tour du Doubs, car c’était ma toute première course avec le maillot d’une équipe WorldTour. Finalement, je me suis trouvé ma place dans le peloton. Sur l'Eurométropole Tour, j'ai passé une large partie des étapes à rouler pour Arnaud Démare, à lui emmener les sprints intermédiaires. Comme d'habitude, j'ai tout donné et j'étais content de faire ce qu'on attendait de moi.

Malgré cette application en course et tes qualités de rouleur, la FDJ.fr ne t'a pas fait signer de contrat professionnel pour 2014. As-tu d'autres pistes ?
Quelques-unes, mais rien de certain. Je croise les doigts. Honnêtement, ce serait dommage de devoir faire un an de plus chez les amateurs mais si je dois en passer par là, je m'y plierai. Dans ce cas, je resterai fidèle à l'Entente Sud Gascogne.

Tu te sens bien dans le club ?
Oui. J'ai reçu des propositions d'autres clubs, mais je ne vais pas partir d'une DN1 pour aller dans une autre DN1. J'ai toujours progressé dans ma région et si je reste chez les amateurs, je vais me concentrer sur mes atouts. Le Comité d'Aquitaine m'a aidé à préparer les manches du Challenge National. Et l'Entente Sud Gascogne nous offre un très bon encadrement. Je suis devenu proche de notre directeur sportif, Dominique Arnaud. Je ne me vois pas le quitter ainsi. C’était un grand coureur avec un beau palmarès et une riche expérience. Il a également fait passer beaucoup de coureurs professionnels. C’est quelqu’un que je peux suivre les yeux fermés, je sais qu’il a raison. Moi, je m’occupe simplement de l’aspect physique de ma carrière. Dominique s’occupe du reste.

Crédit Photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com

Propos recueillis par Pierre Carrey et Nicolas Mabyle.