La Grande Interview : François Pervis (partie 1)
François Pervis installe les lecteurs de DirectVelo.com dans sa peau. Dans sa tête, dans ses jambes dans ses tripes, parce que le tout nouveau recordman mondial du Kilomètre et du 200 mètres lancé parle émotions et sensations dans le détail, que ce soit avant, pendant ou après ses moments de gloire inscrits la semaine passée sur la Coupe du Monde Piste d’Aguascalientes (Mexique). Son combat face au chronomètre ressemble même à une sortie dans le cosmos : "Sur piste, on est complètement perdu dans l'espace. Le champ de vision se réduit considérablement, avec la vitesse. Je devais juste regarder la piste devant moi et suivre la ligne noire au plus près. S’il y a du bruit, ça peut même arriver qu'on n'entende pas la cloche…" Revenu sur Terre, l’astronaute Pervis répond à « La Grande Interview ». Comblé de bonheur après les sacrifices qu’il s’inflige depuis dix ans. Mais déçu de ne pas avoir choisi un braquet plus gros, qui lui aurait permis d’améliorer le record de manière plus nette encore.
DirectVélo : Ces records sont-ils plus importants que ton maillot arc-en-ciel ?
François Pervis : Oui. Une médaille d'or aux Championnats du Monde, on peut en avoir une tous les ans. Les records, par contre, étaient inscrits sur les tablettes depuis quatre et douze ans. Toutes générations confondues, jamais aucun homme n'a été plus vite sur ces deux distances en même temps. C'est donc bien plus dur à aller chercher... Par contre, je pense qu’un record du monde se situe en deçà d'un titre olympique. Sur une telle compétition, tous les concurrents sont au top de leur forme. Là, même si les conditions étaient idéales, ce n'était pas le cas pour que ça se produise. Il ne fallait pas être loin de sa forme optimale, comme je l'étais.
Dans l’approche de tes records, il y a eu un accro : vous avez été disqualifiés en vitesse par équipe. Que s'est-il passé ?
C'est de ma faute... Il y a un nouveau règlement depuis quelques mois et je ne le connaissais qu’à moitié. Je me suis écarté trop tôt au moment de passer mon relais à Michaël D'Almeida. Je préfère avoir fait cette erreur sur une manche de Coupe du Monde que lors d'un Championnat du Monde. Au moins, elle ne m'arrivera pas deux fois !
Cet incident t’a-t-il fait douter ?
Non, car le temps que j'ai réalisé dans mon tour, m'a mis en jambes pour mon 200m lancé du lendemain. Evidemment, je n'ai pas fait exprès de commettre mon erreur en vitesse par équipes. Mais, avec le recul, c’était en quelque sorte un mal pour un bien : j'ai pu rentrer plus tôt à l'hôtel pour me reposer. Si on avait été qualifié, on aurait couru à 22h30 et avec tout le protocole et le massage, je me serais endormi à 1h30. Sachant que je devais me lever à 6h00 le lendemain...
« JE FLIPPAIS VRAIMENT »
Tu étais confiant avant de disputer ton 200 mètres. Mais une fois ton effort terminé, te sentais-tu nerveux ?
Je tremblais, je ne savais plus quoi faire, ni où me mettre ! J'ai commencé mon échauffement à 8h30. Il ne faisait que 10°C dans le vélodrome. Je devais passer dans les premiers, vers 11h30. La température est alors montée à 25°C. Mes principaux adversaires, pour le record, sont passés une bonne heure après moi. Ils avaient 3°C de plus, ce qui est un petit avantage. Je flippais vraiment quant au fait que mon temps soit amélioré, notamment par l'Allemand Robert Förstemann. Ma performance les a peut-être impressionnés, et ils se sont probablement mis à douter !
En revanche, tu étais en confiance avant de battre le record du kilomètre ?
Avant d’essayer cette nouvelle piste, je pensais que j'allais faire 59"2 ou 59"3. Puis je me suis mis à imaginer un 58"5, ce qui m’aurait permis d’améliorer le record de quelques dixièmes. En fin de compte, j'explose la marque de deux secondes et demie.
Avant que tu t’élances, le record avait déjà été battu par l'Allemand Maximilian Levy…
Je savais que j'allais faire encore une bonne seconde de moins. Au moment de m'élancer, je n'ai plus pensé à son chrono, mais tout simplement à ce que je devais faire. La seule chose qui ne me rassurait pas, c’était mon développement.
Tu craignais d’avoir mis trop petit ?
Oui. Je m'étais demandé pendant toute la matinée si je devais mettre une dent de plus ou pas. Je risquais peut-être me saigner pour décoller le braquet au démarrage. Puis je me suis dit de garder ce que j'avais prévu. Au pire, j’allais tourner un peu plus vite les jambes.
« ON EST PERDU DANS L’ESPACE »
Tu allais vraiment très vite…
Je passais les lignes droites à toute allure. Je n'avais même pas le temps de me rendre compte que j'étais dans les virages ! Je me suis vraiment concentré sur les tours que j'avais à faire. Quand j'ai su que j'avais fait quatre secondes de moins, je me suis demandé si je n’avais pas oublié de faire un tour. Sur piste, on est complètement perdu dans l'espace. Le champ de vision se réduit considérablement, avec la vitesse. On n'a pas le temps de voir le compte-tours, ni de savoir où on est sur la piste ! Je devais juste regarder la piste devant moi, et de suivre la ligne noire au plus près. S’il y a du bruit, ça peut même arriver qu'on n'entende pas la cloche... Et là, le public en faisait beaucoup, vu que j'étais en tête à chaque temps intermédiaire. Je me rendais compte que je ne devais pas être loin du record… Quand je franchis la ligne, je vois 56"3 sur le chrono. Je me dis que ce n'est pas possible, que j'ai mal lu. Je revois mon temps, je me dis que je l'ai fait, mais sans trop en prendre conscience sur le moment...
Le record pulvérisé de deux secondes et demie, c’est une performance énorme, non ?
Ca peut paraître énorme, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. Le braquet qu'Arnaud Tournant utilisait est aujourd'hui employé par les Juniors (!) et sa position n'était vraiment pas bonne, avec le recul. Beaucoup de choses ont changé au niveau de l’entraînement, de la préparation, et de l'aérodynamisme.
Mais toi-même, tu n’es jamais passé en soufflerie...
C'est vrai, mais je pense que ça n'aurait pas fait descendre mon temps de beaucoup. D'une seconde peut-être, et encore... Certains spécialistes trouvent ma position excellente à l’œil nu.
« JE DEVAIS TOURNER AUTOUR DE 75 KM/H »
Chris Hoy semblait l’un de ses seuls pistards conscient que tu pouvais atteindre ce record, en te disant que tu pouvais faire un temps de 56"...
Quand j'ai reçu son tweet, je n'y croyais pas du tout... Ça voulait dire que je gagnais une seconde par tour, par rapport à mon record personnel. Je trouvais ça énorme ! Finalement, les conditions et l'altitude ont fait gagner beaucoup plus de temps que prévu dans les derniers tours. Et il avait raison...
Depuis quand rêvais-tu de battre le record du kilomètre ?
Depuis mes débuts ! Surtout quand je suis entré à l'INSEP en septembre 2001. Un mois après, Arnaud Tournant établissait le record du monde du kilomètre que je viens de battre... C'est une sacrée coïncidence et ça me fait bizarre !
Quelle relation entretenais-tu avec lui, à l'époque ?
J'étais toujours plus ou moins effacé. A l’entraînement, j'étais toujours dans mon coin, à faire mon truc. Je débarquais... Je n'avais que seize ans ! Il y avait Arnaud Tournant, Florian Rousseau et d'autres grands noms de la piste française. Je faisais donc profil bas... J'ouvrais grand mes yeux et mes oreilles, pour apprendre, sans rien dire. Ça a quasiment été ainsi jusqu'à la retraite de Tournant, en 2008.
Tu as parcouru la borne à près de 64 km/h de moyenne. Sachant que le départ était arrêté, à quelle vitesse as-tu roulé ?
J'atteins ma vitesse maximale à la fin du premier tour. Malheureusement, il n'y a pas de capteur de vitesse et je n'avais pas de SRM pour connaître l'information exacte. Mais je devais tourner autour des 75 km/h. Ce dont je suis sûr, c'est que ma fréquence de pédalage était beaucoup plus élevée que lors des derniers kilomètres que j'ai disputés aux Championnats du Monde ou aux Championnats de France. J'ai toujours fait de très bons temps au niveau de la mer, mais je pédalais à la même cadence. Là, nous étions en altitude (1800m, NDLR). J'ai donc mis un braquet plus gros que d'habitude. Malgré ça, je tournais les jambes plus rapidement.
« J’AVAIS ENCORE DE LA MARGE »
On en revient à la question du braquet. Finalement, tu aurais pu mettre une dent de plus ?
Oui. J'avais donc encore de la marge. C’est un regret...
Du coup, tu souhaites t'attaquer à ton propre record dans quelques mois ?
Il faudrait que je retourne sur le même vélodrome ou bien que j’en choisisse un autre situé en altitude. Et avec des conditions similaires... En plus, ce week-end, j'étais dans une dynamique exceptionnelle. Mais ça ne suffit pas, il faut que tout se passe à merveille. Que la condition physique et les conditions atmosphériques soient au top...
Pourrais-tu faire une tentative hors compétition, comme Tournant l'avait fait ?
Je ne crois pas. Ça m'a fait du bien d'avoir participé à des compétitions les jours précédents, ça m'a mis en jambes. En plus, l'ordre des épreuves a sûrement été le meilleur pour moi. Si le kilomètre avait eu lieu avant les qualifications de la vitesse (200m lancé), j'aurais peut-être été un peu sec pour faire le "doublé". Là, je n'ai fait le tournoi de vitesse que pour le 200m... J'ai quand même réussi à me hisser jusqu'en quart-de-finale, où, même si je sentais que Jason Kenny (le Champion Olympique de la spécialité, NDLR) était très prenable, je n'ai pas tout donné... Il fallait que j'en garde pour le lendemain !
Retourneras-tu au Mexique, à Guadalajara, pour la troisième et dernière manche de Coupe du Monde ?
Je ne pense pas repartir au Mexique dans un mois et demi... Il faut maintenant que je pense à ma préparation pour les Championnats du Monde, fin février, à Cali (Colombie). Là-bas, la piste est située au niveau de la mer ( 1000 m environ NDLR). J'avais réalisé 1'00"075 il y a deux ans. Dans deux mois, j'espère faire mieux, et donc être sous la minute. Reste un petit problème pour la manche de Guadalajara. Vu que la piste est de construction récente (2010 NDLR) et qu'elle est annoncée très rapide, j’espère que personne ne battra l'un de mes records sans que je puisse me défendre... (rires)
Crédit Photo : Anaïs George-Molland