La Grande Interview : Régis Auclair
Les réfractaires au cyclisme, les sceptiques et les déprimés de toutes sortes devraient rencontrer un jour Régis Auclair. Dès le petit matin, chez le directeur sportif du Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin, la voix charrie une passion brute. Un torrent de lieux, de dates et surtout de noms de tous ceux qui lui ont "distribué la passion" pour le cyclisme et de ceux avec qui il la partage depuis trente ans. "A ce stade, disons que je n'ai pas de la passion pour les jeunes coureurs mais carrément de l'amour", dit-il. Il n'oublie personne, ne cite jamais un cycliste ou un mécène sans son prénom, tient à parler du "Club Routier des Quatre Chemins de Roanne" quand le sigle le plus commun (CR4C) estompe la magie. Avec Régis Auclair, le vélo reste une "école de la vie". Une série d'"aventures" qu'il associe au cœur des campagnes - "le populaire", qu'il décrit avec attachement. Président du Guidon Cycliste de Cours-la-Ville dès l'âge de 25 ans, il est aujourd'hui à presque 55 ans l'un des directeurs sportifs les plus emblématiques du peloton DN1 et l'un des plus respecté par ses pairs.
DirectVélo : Ce feu sacré du vélo qui brûle en toi, qu'est-ce qui l'a allumé ?
Régis Auclair : J'allais sur des critériums professionnels avec mon père, mes oncles et cousins. Nous vivions dans une terre imprégnée de cyclisme, on sentait un engouement populaire qui venait des profondeurs. Il y avait beaucoup de "masses" dans ce sport. Un jour, Roger Pingeon m'a signé un autographe à La Clayette, en Saône-et-Loire. C'était en 1969, après sa victoire dans le Tour d'Espagne. J'avais dix ans. La flamme s'est allumée ainsi.
Tu parles très peu de tes années de coureur amateur. Pourtant, tu as accroché un dossard toi aussi ?
Oui, à partir de la catégorie Cadets. En Sénior, j'ai continué au Vélo Club Roannais puis au Club Routier des Quatre Chemins de Roanne (CR4C). Mais en 1982, j'ai arrêté après une grande chute. J’étais un battant mais je me demande parfois ce que je ferais sur un vélo dans le peloton actuel. Je crois que je n'avais pas le petit truc mental pour faire la différence. Je courais avec beaucoup de passion et de sérieux. Nous vivions de belles années d'insouciance. Notre bagage n'était pas pointu et on avançait principalement à l'instinct. Du coup, nous faisions de sacrées erreurs dans la préparation ou la technique.
Ce caractère intuitif, tu l'as conservé comme directeur sportif ?
Oui, je le revendique. Sans intuition, on ne vit pas l'aventure. Pour avoir du bonheur, il faut une "impulsion d'intuitif". Mais attention, il faut aussi un fond de réflexion.
« SANS GPS, LES VOYAGES ETAIENT UNE SORTE D'AVENTURE »
Pendant plus de vingt ans, jusqu'à ton arrivée au Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin, tu étais directeur sportif et dirigeant de club à Cours-la-Ville en plus de ton activité professionnelle. Harassant ?
Mon travail bénévole et mes déplacements sur les épreuves totalisaient des dizaines d'heures par semaine. J'ai été tourneur-fraiseur à la sortie du service militaire puis transporteur routier pendant seize ans. Sans GPS, les voyages étaient ici aussi une sorte d'aventure. Le soir, dans le camion, avec un bloc de papier et un stylo, je bossais pour le club ou le Comité du Lyonnais (dont il fut le sélectionneur des Juniors, NDLR). Le vendredi, je passais chez moi pour déposer une valise et j'en prenais une autre pour repartir aussitôt en course.
Et tu ne t'es jamais endormi au volant ?
Jamais. La flamme que j'ai en moi, c'est ma force.
L'un de tes ex-coureurs, Pierre Moncorgé (professionnel en Suède en 2014 au Firefighters Upsala CK et correspondant pour DirectVélo), dit que tu es un poète, à en croire par exemple tes emails et tes textos.
(Il rit.) Je n'arriverai jamais à la hauteur de Pierre, qui fait de très belles études à Science-Po en parallèle de sa carrière de cycliste. Disons que je ne me force pas à choisir mes mots. J'aime tout simplement communiquer ma passion... On ne déroule le tapis de la vie qu'une seule fois. Et dans ce tapis, j'ai envie de mettre beaucoup de plaisir et de le partager avec les autres.
Tes briefings sont également très flamboyants.
Mon but, c'est de communiquer mon désir et ma "gnaque". Mais tu as beau essayer de mettre une organisation de course en place, les coureurs restent les vrais artistes.
« J'AI DE L'AMOUR POUR CES JEUNES »
Tu t'investis beaucoup auprès de tes jeunes, sur la part sportive et non sportive. Cette proximité est-elle nécessaire pour toi ?
Complètement. Je les suis de près, j'ai envie de savoir qui ils sont, ce qu'ils ont fait, ce qu'ils deviennent quand ils quittent le club... Il n'y a pas que le sport qui compte, mais avant tout le bien-être, la santé, la passion et le bonheur. Le cyclisme est une école de la vie. Et depuis trente ans, le travail auprès des jeunes est mon leitmotiv. J'aimerais que les politiques jouent davantage cette carte de l'avenir. C'est ce qu'il y a de plus beau. A ce stade, je n'ai pas de la passion pour ces jeunes mais carrément de l'amour. Du club de Cours-la-Ville au Team Vulco, j'ai vu passer plus de 900 ou 1000 jeunes. Aucun d'entre eux n'a mal tourné. Même si ça ne relève pas de ma seule responsabilité, je ressens une grande fierté au fond de moi. Le cyclisme contribue à une vraie réussite sociale.
Quand un de tes coureurs chute ou quand il remporte une épreuve, comme Clément Venturini ce mois-ci aux Championnats de France de cyclo-cross Espoirs, il t'arrive d'avoir les joues humides…
Ce qu’a fait Clément était extraordinaire. Ce sont des heures de travail, de confiance, de relation humaine qui trouvent leur plus bel aboutissement. La victoire me permet d'évacuer le poids de la passion ou alors de la savourer encore plus fort. Il y a quelques larmes, c'est vrai. Mais quand je suis en famille, je réagis de la même façon aux événements marquants. L'émotion fait partie de mon personnage.
Comment ta famille compose-t-elle avec ton investissement dans le cyclisme ?
Bien sûr, mes deux fils, Sylvain et Fabien, ont fait du vélo. (Il pèse ses mots.) Mais ils ont vécu ma passion comme une contrainte. C'est difficile à dire, mais je n'ai pas toujours eu le temps de leur transmettre mon amour paternel. Mon épouse Joëlle a joué un rôle très important dans notre équilibre. Sans elle, rien n'aurait été possible. J'essaie de passer plus de temps avec ma famille maintenant et de mieux faire distribuer mon amour à mes fils. Nous avons aussi des projets pour le futur.
La retraite ?
Ça se passera en douceur... Je n'ai pas dit mon dernier mot ! J'ai encore un désir fou de bonheurs et de victoires. Je pense à 2014 avec de grandes dents... Mais il faudra un jour se donner la chance de vivre de nouvelles aventures. En plus, la relève des directeurs sportifs est bien en place. Au Team Vulco, je suis très heureux d'avoir transmis la passion à des jeunes comme Pierre Bourlot, Pierre-Yves Sanlaville ou Sébastien Bérard. Tiens, à propos, vous avez vu Aymeric Brunet qui est le nouveau directeur sportif du Club Routier des Quatre Chemins de Roanne, son frère Emmanuel qui devient Manager du haut niveau et de la performance à la FFC ? Ou encore Jean-Charles Romagny qui est nommé CTS de Franche-Comté et Maxime Larue qui est directeur sportif du Team Probikeshop ? Ils sont tous passés par le club de Cours-la-Ville ! Ca, c'est une fierté !
« JE PARS ROULER A SIX HEURES DU MATIN AVANT LA COURSE »
Pourquoi t'es-tu lancé dans un régime draconien en 2008 ?
Dans le flot de la vie, je me suis laissé aller. J'aime le culinaire, je suis un bon vivant. Mais j'ai eu un rupteur, une alerte sur le cadran : des analyses de santé pas très encourageantes. Alors j'ai perdu vingt kilos. J'aime toujours autant la vie, mais je fais un peu plus attention, je pars rouler à six heures du matin avant les courses si j'en ai l'occasion. J'ai trouvé un autre équilibre. L'avantage, c'est aussi ma relation avec les gars. Je suis ennuyé d'en parler, je ne voudrais pas gêner certaines personnes parce que chacun est différent, mais je me sens plus à l'aise aujourd'hui pour dire aux coureurs de faire gaffe à ce qu'ils mangent.
A Cours-la-Ville, tu dois connaître la moitié des habitants !
(Rires.) Pas mal de monde, c'est vrai. Le matin, j’aime bien aller au café. J'y rencontre des copains et des amis. On discute du populaire, on parle des sports et parfois même du cyclisme, surtout s'il y a une petite coupure de presse qui traîne, avec un beau résultat du Team Vulco.
Tu mentionnais la passion des gens de ta région pour les critériums dans les années 60. Le cyclisme te semble-t-il être encore un sport populaire ?
Non. (Il marque une pause.) Pendant les quelques décennies qui ont suivi la guerre, l'abstinence avait crée des rêves d'abondance mais le cyclisme était associé à une certaine idée du bien être. Aujourd'hui, il reste enraciné dans le populaire, mais de façon plus matérialiste. Les « masses » préfèrent aller sur le Tour de France, principalement pour la caravane publicitaire. Pourtant, je crois encore à ce sport aujourd'hui et à son avenir. Il peut t'apporter une valeur de vie incalculable. C'est une telle passion...
Crédit Photo : Nicolas Gachet - www.directvelo.com