La Grande Interview : Julien Tomasi
Avec huit victoires au compteur cette saison, Julien Tomasi est l'un des principaux animateurs de la saison en Alsace. Pour son dernier succès en date, le Grand Prix de Lampertheim, le 7 juillet, il s'impose au sprint devant une quarantaine de coureurs. "Tout simplement, je m'éclate !", explique le coureur du club du VC Unité Schwenheim à DirectVelo.com. Dans sa région, le trentenaire partage son temps entre sa famille, son métier de pompier et sa passion dévorante du cyclisme. Il a tiré un trait sur ses ambitions du haut niveau après une expérience décevante au Vendée U en 2005 et, plus récemment, une suspension d'un an qui aurait pu l'abattre. Les faits remontent au Tour du Faso 2010, quand Julien Tomasi est notifié qu'il n'a pas satisfait à un contrôle antidopage pour lequel il n'aurait jamais été prévenu : c'est officiellement un « constat de carence », réprimé par la réglementation. Mais c'est aussi une "injustice" pour ce pourfendeur de la triche, qui a donc fait une pause d'un an. L'Alsacien affirme qu'il a "complètement oublié" cet incident rocambolesque. "Je suis heureux de mon parcours et je ne me soucie que de prendre du plaisir sur mon vélo !"
DirectVelo : Dans quel contexte as-tu été accusé de constat de carence ?
Julien Tomasi : Les faits remontent à la fin de l’année 2010. Au Tour du Faso, j’ai manqué à l’appel d’un contrôle antidopage. J’ai remporté une étape et j’ai goûté aux joies de la cérémonie protocolaire. Le lendemain, j’ai déchanté. Le commissaire UCI présent sur la course est venu me voir pour me signaler que je ne m’étais pas rendu au contrôle antidopage la veille.
Tu étais surpris ?
Totalement surpris, parce que personne ne m’avait prévenu du contrôle et aucun chaperon n’était avec moi. Pour faire preuve de ma bonne foi, j’ai demandé a ce que l’on me contrôle ce jour-là et les jours d’après. Les commissaires ont bien compris que ce n’était qu’un simple oubli de ma part et non pas une volonté délibérée de manquer le contrôle. Ils m’ont alors laissé poursuivre le Tour [ce qui est contraire au règlement, NDLR]. Par la suite, j’ai gagné une autre étape. Je pensais alors que l’histoire resterait sans conséquence...
Or, tu as été suspendu un an...
En mars 2011, j’ai reçu une lettre de l’UCI qui indiquait que j’étais suspendu pendant deux ans, conformément à la loi en vigueur lors d’un manquement à un contrôle antidopage. Les commissaires m'avaient laissé entendre qu'il n'y aurait pas de suite. Je tombais des nues !
« AU MAUVAIS ENDROIT AU MAUVAIS MOMENT »
Comment t'es-tu défendu ?
Je me suis rendu au siège de la FFC. Les membres de la commission qui m'ont reçu ont vraiment bien compris que je n’étais en aucune sorte un tricheur. Malheureusement, ils ne pouvaient pas annuler totalement la sentence de l’UCI, pour une question de jurisprudence : d’autres coureurs auraient pu prendre mon exemple comme argument de défense. A l’époque, il y avait eu aussi le cas Yoann Offredo [le coureur de la FDJ.fr, suspendu un an pour trois manquement au système de localisation ADAMS, NDLR]. Dans ce contexte, je ne pouvais vraiment pas échapper à une suspension. La durée a été fixée à un an.
Cette affaire, c'est un manque de chance ?
Oui, et une injustice. J’ai payé le fait d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Il faut dire que le contexte de la course était très particulier pour moi et pour mon équipe. Nous allions au Faso tous les deux ans, dans le cadre d’une association humanitaire, « Vélo pour le Faso ». Nous récoltions des vélos et nous les apportions là-bas pour aider le cyclisme à se développer. J’avais déjà participé deux fois à l'épreuve, en 2007 et 2009, et il n’était pas prévu que j'y retourne en 2010. Mais le responsable de l'association était le père d'un ami d'enfance, Jérôme Amann, et il est décédé sur le vélo en 2010. Nous avons voulu participer une nouvelle fois, pour lui rendre hommage. Lorsque je gagne l’étape, je vous laisse imaginer l’émotion que nous avons ressentie... Nous étions tous en pleurs, le corps et l’esprit bien occupés. On n'a pas pensé du tout à se renseigner sur l’éventualité d’un contrôle antidopage, et vu qu’il n’y avait rien d’indiqué…
Cette suspension, comment l'as-tu acceptée ?
J'étais surtout déçu parce que j’ai toujours été irréprochable vis à vis du dopage. C’est d’ailleurs aussi en bonne partie à cause de tous les scandales de dopage qui ont éclaté dans le cyclisme que je n’ai pas tenté d’aller au plus haut niveau. Mais je n'ai pas fait de scandale. Je pense même que c’est quasiment la première fois que j’ai l’occasion d’en parler dans un média.
« PERSONNE NE M'A TOURNE LE DOS »
Qu’as tu fais pendant ton année de suspension ?
J’ai continué ma petite vie, tout simplement ! J’ai une famille, avec une femme et deux enfants. Sans les courses cyclistes, je pouvais passer plus de temps avec eux le week-end. En semaine, j’allais toujours au boulot. J'ai aussi pris une licence dans un club de foot à côté de chez moi et je jouais au rugby. Ce n’est qu’en fin d’année que j’ai vraiment repris le vélo.
Comment le peloton amateur a-t-il accueilli ton retour en 2012 ?
J’ai été agréablement surpris. Personne ne m'a tourné le dos. Je pense que les gens connaissent mon état d’esprit. Aujourd’hui c’est une belle fierté de voir la réaction de tous ceux qui me côtoient : c’est la preuve que j’ai une image saine, celle de quelqu'un droit dans mes baskets. Même au boulot, tout le monde à bien compris mon histoire. Ce n'est pas comme si on avait retrouvé dans mes urines ou mon sang des traces d’un produit interdit. Lorsque cela arrive à un coureur et qu’il clame son innocence en appuyant la thèse d’une erreur médicale, d’un traitement pour soigner une maladie ou autre, on ne sait jamais si le gars se fout de notre gueule ou s'il dit la vérité ! Mon cas est totalement différent.
Ton métier, au fait, il consiste en quoi ?
Je suis sapeur pompier, ce qui m'a beaucoup aidé à garder une bonne condition physique pendant la durée de ma suspension. Plus précisément, je suis instructeur des nouveau pompiers. Je dois leur inculquer des valeurs, notamment celles de courage et d'esprit d'équipe. Je retrouve beaucoup de similitude entre mon métier et le cyclisme puisque j'essaie aussi de guider les autres coureurs au sein de mon club.
Retour à ton retour dans le peloton. Alors que tu aurais pu tout aussi bien raccrocher en 2011, à 27 ans, pourquoi as-tu repris la compétition ?
Je ne voulais pas arrêter mon parcours cycliste sur un malentendu ! Et puis, j'aime tellement le vélo que je ne me voyais pas m'arrêter si jeune. Même a 30 ans, je suis encore en pleine possession de mes moyens. Je ne suis pas revenu pour prouver quoi que ce soit. Je suis revenu comme j’étais parti, très naturellement, comme si j’avais fais un gros break. Au début ce n’était pas si facile, mais très vite la forme est revenue.
« IL FAUT RESTER LES PIEDS SUR TERRE »
Cette année, tu sembles avoir retrouvé ton meilleur niveau, avec huit victoires en première catégorie.
Oui, enfin, il faut aussi rester les pieds sur terre ! Je ne participe pas à des grandes courses. Je suis dans une équipe DN3, un petit club régional dans lequel je donne un peu de mon expérience. Nous ne sommes pas beaucoup de coureurs et nous sommes tous au travail pendant la semaine lorsque la plupart des jeunes coureurs ne font que du vélo. Toutefois, nous sommes 6e au classement de la Coupe de France DN3 [et 9e au Challenge DirectVelo des DN3, NDLR]. On se bat sur les courses de notre région, et on se fait plaisir.
Tu n’as jamais voulu intégrer une plus grosse structure ?
Evidemment que j’aurais aimé ! J’aurais voulu progresser et voir jusqu’où j'aurais pu aller. Toutefois, à l’époque où j’aurais pu tenter l’aventure, il y avait pas mal d’histoires de dopage dans les grosses équipes DN1 et ça m'a plutôt effrayé.
A 19 ans, tu étais dans un club de haut niveau, le Vendée U. Pourquoi n'as-tu pas poursuivi cette expérience ?
J'ai été dégoûté. Jusqu'à mes 18 ans, j’étais l'un des meilleurs de ma génération. En Junior, je participais a quelques courses ou stages en équipe de France. Au Vendée U, je ne me suis pas trop intégré au groupe. Je n’ai pas apprécié l’ambiance du très haut niveau où la plupart des gens me semblent animés par l’hypocrisie ou la jalousie. Cette année-là, je ne marchais pas et j’ai alors été très vite écarté. Je ne courais pas les belles courses et j’ai fini par me résoudre à abandonner le haut niveau.
Avec ou sans regret ?
Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir insisté, lorsque je regarde les courses à la télé. Mais, très honnêtement, je crois que la vie de coureur cycliste n’était de toute façon pas faite pour moi. Je n’ai pas le mental requis. Je suis mieux chez moi en Alsace ! (rires)
« EN ALSACE, IL EXISTE DESORMAIS UNE VRAIE EMULATION »
D'autant plus que le niveau sportif se développe dans ta région !
Jusqu'à présent, nous étions les derniers de la classe ! Que cela soit chez les plus jeunes, les Juniors ou les Elites. Mais nous sommes sur la voie du progrès avec la création cet hiver de trois clubs de DN3 [VC Eckwersheim, VC Unité Schwenheim et VC Sainte-Croix-en-Plaine, NDLR]. Il y a ainsi plus de coureurs de première catégorie, donc plus de courses. Les années précédentes, il pouvait se passer quatre ou cinq week-ends d'affilée sans la moindre compétition dans le coin. C’était décourageant et la plupart du peloton arrêtait sa saison aux beaux jours, préférant passer le week end autour d’un bon barbecue avec les amis, moi le premier ! Cette année, j’ai la chance de pouvoir courir toute les semaines proche de la maison. En Alsace, il existe désormais une vraie émulation !
Quels sont tes prochains objectifs ?
Je me suis fixé le défi de remporter dix courses l’année de mes 30 ans ! A part ça, compte-tenu de mon emploi du temps, je ne peux pas établir d'autres objectifs. J'aime bien me frotter aux coureurs des autres comités, j'y prends plus de plaisir qu'en remportant une victoire à la "maison". Forcément les manches de la Coupe de France DN3 sont une source de motivation supplémentaire.
Et somme, tu t'apprêtes à courir encore longtemps ?
Oui, parce que je suis aujourd'hui à maturité physique et totalement serein. Dans ma tête, le constat de carence du Tour du Faso est complètement oublié. Je suis heureux de mon parcours et je ne me soucie que de prendre du plaisir sur mon vélo ! Tout simplement, je m’éclate ! Je me sens nettement plus fort que lorsque j'avais 20 ans, alors que je m'entraînais parfois deux fois plus. J’adore mon sport... La preuve, je suis en ce moment en vacances en Corse et je n’ai pu m’empêcher d’emmener mon vélo histoire de rouler un jour sur deux. Il m’arrive parfois de penser à la fin de ma carrière, notamment lorsque je vois que les sacrifices du quotidien pèsent sur le moral de ma famille. Mais même si j’arrête un jour le vélo, j’aimerais continuer à m'impliquer dans ce sport, comme bénévole dans un club. Le vélo, c'est ma drogue. Et je ne tiens pas à être sevré !
Crédit Photo : Aurélie Tscheiller - PhotographiesCyclistes
Crédit Photo : Aurélie Tscheiller - PhotographiesCyclistes