La Grande Interview : Pavel Sivakov

Au confluent de la Russie et de la France, il y a Pavel Sivakov, l'un des Juniors les plus prometteurs de sa génération. Le Russe installé à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) est aussi italien de naissance, belge dans l'âme depuis sa victoire dans le Tour des Flandres... "Tu gagnes toujours à t'imprégner de cultures différentes", dit-il. Comme une évidence, il a choisi de s'engager en 2016 dans la réserve amateur de BMC, très internationale. Où il espère "prendre le temps de progresser". Vainqueur du Tour de Haute-Autriche 5e des Championnats d'Europe contre-la-montre et 2e du Challenge BBB-DirectVelo Juniors (voir ici), Sivakov (Culture Vélo Racing Team U19) est déjà tourné vers la saison prochaine. Mardi, il revenait d'une visite médicale à Moscou, indispensable pour porter le maillot de la Russie dans les Championnats... en attendant, probablement, de passer sous les couleurs françaises.

DirectVelo : Alors, bon pour le service ?
Pavel Sivakov : Oui, j'ai passé la visite médicale imposée deux fois par an par la fédération russe. Radios, prises de sang... Mais pas de test à l'effort. De toute façon, les chiffres varient beaucoup d'un examen à l'autre. On a évalué ma VO2max à 69 l'année passée et à 84 cette année - le test a été réalisé pendant que je courais sur un tapis roulant, c'est peut-être ce qui marque la différence. J'ai hâte d'en savoir plus sur mes capacités grâce à ma nouvelle équipe, BMC Development. Mais le sport, ce n'est pas que des chiffres. Oui, c'est aussi des images, des souvenirs, des émotions...

Ta victoire au Tour des Flandres Juniors, par exemple ?
Un grand moment (lire sa réaction à chaud). J'avais envie d'essayer une classique belge depuis longtemps. Une épreuve de légende, dans « le » pays du vélo... Les pavés, je ne connaissais pas. Heureusement, ceux du Tour des Flandres se passent dans les monts, donc la vitesse est réduite (il paraît que ça tape beaucoup plus sur Paris-Roubaix et les phalanges souffrent). Je me sentais très bien toute la course et j'ai attaqué une première fois à 30 kilomètres de l'arrivée. Dans la dernière ligne droite, dans le sprint à trois, je savais que j'avais mes chances. Le public était nombreux à nous encourager. L'ambiance était incroyable, elle m'a porté vers la victoire.

« NE PAS BRÛLER LES ETAPES »

Tu en es à un total de 18 victoires ?
Globalement, je suis content de ma saison. J'ai chuté en avril et je n'ai pas pu plier la jambe pendant quinze jours (lire ici). Du coup, je rate la Course de la Paix, l'un de mes objectifs. Je gagne quand même le Championnat de Russie et le Tour de Haute-Autriche en été.

Une saison comme celle-ci crée inévitablement des attentes.
Bien sûr, mais je voudrais prendre le temps de progresser. Par exemple, j'espère pouvoir disputer le Tour des Flandres la saison prochaine, pour la première fois dans la catégorie Espoirs. Mais je ne sais pas encore quel est mon registre. J'aime bien les chronos, je passe correctement les côtes, je me sens bien sur les courses à étapes et les classiques... Les prochaines saisons vont m'aider à mieux me connaître. Prendre son temps, c'est important. D'ailleurs, mes parents m'ont laissé pratiquer d'autres sports avant le vélo : du tennis, du foot, du judo...

Ils ne t'ont pas élevé au biberon du vélo ? Ton père, Alexey, a couru trois fois le Tour de France et passé sept saisons chez BigMat. Ta mère compte un titre de Championne du Monde de chrono par équipes et une 4e place sur la Grande Boucle Féminine...
J'ai arrêté les autres disciplines à mes 13 ans parce que je n'étais pas super fort. Au contraire, dans le vélo, j'ai tout de suite vu que je pouvais faire quelque chose. Mes parents ne m'ont jamais poussé. Ils savent que ce sport est dur, qu'il ne faut pas brûler les étapes. Un jour, nous avons appris qu'il y avait un club près de chez nous, à Saint-Gaudens. Je me suis inscrit.

« JE SUIS PLUS INDEPENDANT »

Pour autant, tu as toujours été au contact des cyclistes.
Oui, il y avait une forte communauté de coureurs russes près de chez nous. Ceux d'Omnibike Moscou et de Katusha Continental, des équipes où mon père travaillait comme directeur sportif. Nous allions les voir très souvent, nous avons partagé des barbecues...

Avec Sergei Kolesnikov, la terreur du peloton en 2006 ?
Il habitait dans le coin, mais ce n'est pas celui que j'ai croisé le plus. Je pense plutôt à Yuri Trofimov, Edouard Vorganov et Alexander Porsev, qui sont aujourd'hui chez Katusha. Il m'est arrivé de rouler avec Porsev quand j'étais tout petit. Ça lui fait drôle de me revoir. Disons que j'ai un peu grandi ! (rires)

Ces coureurs t'ont donné envie de faire ce métier ?
Bien sûr. Tu les vois s'entraîner, tu imagines les voyages, le beau matériel, les courses, les victoires... Leur vie me plaisait déjà. A un détail près : je ne m'imaginais pas rester dans la même maison avec des coéquipiers à longueur de temps. C'est un truc très russe, ça. Mais les coureurs n'ont guère le choix. Ils doivent trouver une base en Europe et ils restent ensemble toute l'année. Pour ma part, je suis plus indépendant.

Tu vis en effet chez tes parents et tu as effet privilégié un club de ta région en 2015...
Je suis resté membre de Culture Vélo Racing Team U19, non loin de Toulouse [Intégrale Bicycle Club Isle-Jourdain, NDLR]. Un club d'amis, avec un bel effectif [incluant notamment Maxence Moncassin et Corentin Roux, NDLR], qui nous a beaucoup apporté. Y-compris une découverte de la Belgique sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Par la suite, le club m'a laissé la liberté d'évoluer en été avec Avia Team, la réserve d'Etix-Quick Step et c'est sous ce maillot-là que je remporte le Tour des Flandres. Je ne sais pas si beaucoup d'autres clubs m'auraient laissé la chance de me former ailleurs...

« J'AIME LE MELANGE DES CULTURES »

Russie-France : cette double culture est-elle une force ?
Tu gagnes toujours à t'imprégner de cultures différentes. Dans le vélo par exemple, c'est vrai. Partout où je suis allé, j'ai appris : en Belgique, j'ai vu qu'on pouvait utiliser des boyaux larges (25 de section) et moins gonflés (j'étais à 6,5 bars au lieu de 9). Les schémas de course varient aussi : en France, tu dois t'échapper pour gagner. En Italie, c'est le contraire, le peloton se décante, les équipes contrôlent, un peu comme chez les pros. Et en Russie... [il hésite.] Pas facile à dire comment on court là-bas, car j'ai eu peu d'expériences.

Tu as pourtant un passeport russe ?
Oui, par mes parents. J'ai aussi un grand-père à Moscou, une tante, un oncle et un cousin du côté de l'Oural. Par ailleurs, je suis rattaché à un club russe en Sibérie. J'y étais ces derniers jours, pour un petit rassemblement, mais pas pour rouler, parce qu'il fait déjà entre 0 et -10°C ! Siberia-Tyumen est un des meilleurs clubs du pays, il inclut plusieurs coureurs membres de l'équipe nationale.

Tu aurais pu opter pour la nationalité française ?
Je ne peux pas l'acquérir automatiquement, parce que je suis né en Italie, dans la province de Vénétie. Mais je vis en France depuis que j'ai un an, un peu plus jeune même. Ici, je me sens à la maison. J'ai donc demandé à avoir la nationalité française. La procédure est assez longue. A terme, j'aurai la double nationalité.

« LES RUSSES GAGNENT A ETRE CONNUS »

Quel sera ton maillot pour les Championnats du Monde ?
Je ne sais pas encore. Sans doute toujours russe en 2016. Comme depuis ma première course internationale, les Jeux Olympiques de la Jeunesse, chez les Cadets. Ensuite, on verra...

De toute façon, tu es Toulousain, non ? Ton accent nous ramène dans le Sud-Ouest.
Eh oui... Mais cet accent disparaît quand je parle russe. Je suis vraiment les deux ou entre les deux. Un Français ne peut pas deviner que je suis Russe et un Russe ne peut pas se douter que je suis Français. Je suis Russe avec les Russes, Français avec les Français. Et Belge avec les Belges ! [rires] J'aime beaucoup ce mélange, et c'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de m'engager chez BMC Development.

Tu as constaté que les coureurs russes sont peu connus en France et souffrent parfois même de préjugés ?
Malheureusement, j'entends parfois ça aussi. Sur le dopage par exemple... Pfff... Comme s'il n'y avait pas d'autres pays où le problème existait. La vérité, c'est que les coureurs russes ne communiquent pas avec l'extérieur. Ils ne parlent pas assez les langues étrangères, alors ils restent entre eux et ils ne peuvent pas partager ce qu'ils ont de meilleur. Dans la sélection nationale 2015, un seul parlait italien. Pourtant, les Russes gagnent à être connus. J'ai des amis parmi eux.

« JE SUIS TÊTU »

Les très longues sorties, le gros foncier seraient la marque du cyclisme russe. Préjugé ou réalité ?
C'est en partie vrai. Mes copains russes peuvent faire 3000 km par mois, surtout en hiver. Mais les entraîneurs savent aussi nous freiner. Dans mon cas, mes parents me disent de me réguler, même si ce n'est pas eux qui font mes plans d'entraînements. Je les écoute quelques fois... mais pas toujours [rires] ! Je suis un peu têtu, alors j'en rajoute.

Donc, tu n'en as pas trop fait cette saison ?
Je ne pense pas. Je termine l'année avec 15000 km et j'en aurais eu 19000 comme en 2014 si je n'avais pas chuté au printemps. Avec mon entraîneur [Gleb Groysman, qui collabore à la réserve du Team Novo Nordisk, NDLR], nous sommes arrivés à ménager des plages de repos.

Comment te reposes-tu ?
Le vélo occupe déjà une grande place dans ma vie. Je m'intéresse aux nouveautés dans le matériel. Donc, j'ai peu de loisirs. Les études, je vais continuer. Cette année, je n'ai pas eu le bac parce que les épreuves tombaient pendant les Championnats de Russie, mais je vais le repasser en candidat libre en 2016. Il faut avoir le bac. Ensuite, ce sera tout pour le vélo. C'est ma vie... Oui, je ne sais pas ce que je ferais sans le vélo !

Crédit photo : Nicolas Gachet - www.directvelo.com
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Pavel SIVAKOV