La Grande Interview : Jérémy Bescond
Il a repris goût au cyclisme. Après « deux saisons de galère et de déprime » chez les professionnels du Team Cofidis (2013-2014), Jérémy Bescond - 25 ans - a su se reconstruire. Désormais coureur des Côtes d’Armor-Marie Morin, le leader du Challenge BBB-DirectVelo au 31 mars et récent vainqueur du Prix Gilbert-Bousquet à Landivisiau (Finistère) se fait enfin plaisir chez les amateurs et exprime à nouveau le niveau qu’il a patiemment travaillé. En attendant, peut-être, de retourner dans les rangs professionnels, ce qu’il « souhaite plus que tout ».
DirectVelo : Tu habites en Bretagne, tu cours en Bretagne, tu portes les couleurs d’une formation bretonne, toi qui est pourtant originaire de l’Isère : qu’est-ce qui te plait tant dans la région ?
Jérémy Bescond : Il n’y a que des passionnés. La Bretagne, c’est fou. Je me souviens d’un Tour de l’Ardèche Méridionale avec une arrivée dans le centre-ville d’Aubenas, où il n’y avait personne. Je m’étais retrouvé dans la circulation 50 mètres après la ligne (rires). Ici en Bretagne, c’est impensable. C’est noir de monde : il y a des buvettes et parfois les montées sont payantes comme sur les cyclo-cross belges. Il y a une ferveur de dingue. Pour moi, l’image la plus marquante : c’est Manche-Atlantique. On se croirait dans l’Alpe d’Huez. Il y a des camping-cars, une foule compacte… les gens s’écartent au dernier moment, tu ne peux même plus passer un coureur dans la bosse de Plumelec.
« JE ME SUIS TOUJOURS PROMIS DE FAIRE LE CALENDRIER BRETON »
C’était également le cas sur le Prix Gilbert-Bousquet…
Oui, j’y retrouve les mêmes sensations qu’à Manche-Atlantique. Ça donne les frissons. La presse locale parle énormément du cyclisme régional. Au lendemain de ma victoire sur le Gilbert-Bousquet, j’étais en première page des sports dans « Le Télégramme », avant le foot. Ça m’a fait bizarre, d’autant que ce n’était qu’une course amateur. Ici, tout le monde connaît les cyclistes. Encore cette semaine, en allant boire un coup en terrasse avec ma copine ou en promenant mon chien, on m’a félicité pour ma victoire. Franchement, c’est fou.
Tu sembles également amoureux de la région en elle-même ?
Je l’adore ! Ma grand-mère habite près de la fameuse Pointe-du-Raz, l’un des « bouts du monde » comme on dit. C’est un coin très sauvage sur une cinquantaine de kilomètres. J’apprécie beaucoup de rouler dans ces coins-là. Les paysages sont très atypiques, un peu lunaires, comme au Mont-Ventoux.
D’où te vient l’amour de cette région ?
Mon père venait courir ici lorsqu’il était jeune. Il a gagné des dizaines de courses en Bretagne. J’avais envie de vivre les mêmes émotions. J’ai toujours eu de la famille installée ici, alors parfois l’été, je venais courir dans la région. On me parlait souvent de mon père, on me comparait à lui. Il y a toujours eu une ambiance et une atmosphère particulière sur les courses bretonnes. Je l’ai senti dès mes plus jeunes années, et je me suis toujours promis de faire le calendrier amateur breton sur une année complète.
« ETERNELLEMENT RECONNAISSANT ENVERS REGIS AUCLAIR »
Mais tes cols d’Isère ne te manquent pas trop ?
Si, forcément un peu. J’ai besoin des cols. Et puis, c’est quand même la région dans laquelle j’ai grandi. Lorsque j’étais gamin, je rentrais de l’école en vélo. J’avais un col à monter, la Côte de Laffrey au-dessus de Séchilienne, et à l’époque, je ne connaissais rien au cyclisme. J’en bavais vraiment pour rentrer chez moi (sourires). Puis je m’y suis habitué. J’ai commencé à bien rouler, à bouffer des cols toute la journée. Je ne voyais que par ça. C’est également en Rhône-Alpes que j’ai vécu mes premières grandes émotions sportives, comme cette victoire d’étape sur le Tour du Valromey en 2009.
Ce n’est d’ailleurs pas en Bretagne mais dans ta région d’origine que tu as fait tes débuts chez les Espoirs cette même année 2009…
En fait, je m’étais engagé auprès de Patrice Halgand, qui devait monter une équipe DN Espoirs cette année-là, en Haute-Savoie. Tout était réglé puis j’ai appris la veille de la fin de la période des transferts que l’équipe n’allait pas partir. J’ai appris ça sur DirectVelo ! J’étais comme un fou. Le 30 octobre quoi… j’étais en panique. J’ai appelé Patrice de suite, je me souviens lui avoir dit : « non mais c’est quoi ça ? ». Il m’a répondu qu’il n’avait pas trouvé assez d’argent pour monter l’équipe. J’étais vraiment en panique. Je me demandais bien ce que j’allais pouvoir faire et où j’allais pouvoir courir.
Et Régis Auclair t’a appelé…
Je ne le connaissais même pas à cette époque. Il m’a appelé le lendemain, le 31 octobre, dernier jour des transferts. Il m’a dit qu’il lui restait une place dans son équipe pour la saison 2010. Il m’a vraiment sauvé la mise. Je lui serai éternellement reconnaissant. Il m’a donné l’envie de me défoncer sur le vélo comme jamais personne d’autre ne l’a fait. Je n’ai jamais connu un autre directeur sportif comme lui. Il vit les choses à fond, c’est impressionnant. Pour l’anecdote, lors de ma première saison avec lui, en Espoirs 1, j’ai gagné à Montplaisir (un quartier lyonnais, NDLR). Il pleurait à l’arrivée. Je l’ai remercié et là, dans l’excitation, il m’a mis un gros coup de tête et il m’a pété mes nouvelles lunettes. Il ne s’en était pas rendu compte. Bordel, moi j’étais dégoûté quand même, à cette époque-là je n’avais pas trop d’argent et je venais de mettre 150 boules dans cette paire de lunettes (rires).
« SUR LE COUP, JE LUI AI RIGOLE AU NEZ »
Pourquoi as-tu eu beaucoup de mal à t’adapter lors de tes deux premières saisons chez les Espoirs ?
J’ai mal digéré la transition entre les Juniors et les Espoirs. Je suis directement arrivé dans une DN1, à 18 ans. On m’avait fait prendre une licence en 2e catégorie mais en réalité, je n’ai couru en 2e caté qu’une seule fois dans l’année, le lundi de Pâques (sourires). Cette saison-là, il y avait eu pas mal de blessés et j’ai fait tout le circuit Elites avec les plus grosses courses du calendrier comme le Tour Alsace, le Tour des Pays de Savoie ou le Circuit de Saône-et-Loire. Cela faisait vraiment beaucoup et à dire vrai, je ne comprenais pas trop ce qu’il m’arrivait.
Et tu n’as jamais douté de ton niveau ?
Un peu, si. Mais dans mon entourage on a toujours cherché à me rassurer. Franchement, c’était dur dans la tête. Sur le Tour Alsace, j’ai dû finir à quelque chose comme 40 minutes du vainqueur au général. Régis (Auclair) me disait de m’accrocher. J’aurais préféré courir en 2 de temps en temps, pour me faire plaisir. Là, j’avais la sensation de faire le nombre, d’être au départ pour dire d’y être mais sans espérer quoi que ce soit. Mais en réalité, c’est comme si j’avais déjà un plan de carrière. C’est aussi à ce moment-là que Michel Gros (agent de coureurs, NDLR) a commencé à me suivre. Tout était prévu : il m’avait dit que j’allais marcher fort en Espoirs 3.
Donc tu avais programmé de passer pro ?
Un jour, Michel Gros m’a appelé en me disant « il faut absolument qu’on se parle, qu’on se voit ». Là, je me suis dit que ce n’était pas bon, que j’avais fait une connerie. On s’était donné rendez-vous dans un bar, à Lyon. Je me souviens que j’avais 1h30 de route et j’avais beaucoup cogité. Je me suis dit que j’allais me faire bouger, mais sans savoir pourquoi (rires). Et en fait, pas du tout. Il m’a posé un contrat sous les yeux et m’a dit que j’avais des capacités. Et il a ajouté : « tu verras, l’an prochain tu vas marcher fort, tu seras en Equipe de France et tu vas même trouver un stage professionnel ». Je dois avouer que sur le coup, je lui ai rigolé au nez.
« JE M’EN SERAIS VOULU TOUTE MA VIE »
Et finalement tout s’est passé comme il te l’avait annoncé ?
Tout est allé très vite, presque trop vite. En tout cas, j’ai énormément de bons souvenirs de cette saison 2012. J’ai gagné le Tour de l’Ardèche Méridionale dès le mois de mars puis j’ai enchainé les bons résultats avec des podiums sur le GP de Vougy, le GP de Plouay et une 5e place au Rhône-Alpes Isère Tour qui m’a sans doute permis de passer pro. Et j’avais failli gagner l’étape de Tavagnasco avec le maillot de l’Equipe de France, sur le Tour du Val d'Aoste. C’était une arrivée au sommet. J’étais échappé et j’avais encore 2’30’’ d’avance au pied du dernier col : 9 bornes à 18%. Un mur ! J’avais gardé le 27 à l’arrière et je me suis complètement écroulé aux deux bornes. Je revois Fabio Aru me passer comme une bombe !
La plupart des coureurs que tu accompagnais vers les sommets sur ce Tour du Val d’Aoste sont aujourd’hui bien installés chez les professionnels…
Oui, un gars comme Fabio Aru a gagné un Grand Tour. Mais ce n’est pas la peine de vouloir faire de comparaison. Je n’aurais jamais pu être un grand champion comme lui ou comme Warren Barguil et Thibaut Pinot, qui avaient avant moi été très bons sur le Val d’Aoste. J’ai simplement loupé mon passage chez les pros.
Pourquoi cela s’est-il si mal passé ?
En 2013 chez Cofidis, j’étais le seul néo-pro de l’équipe. Avec le recul, je me dis que je n’étais sans doute pas prêt pour passer professionnel, qu’il aurait fallu que je fasse ma dernière saison Espoirs chez les amateurs. Physiquement, c’était sans doute bon. J’avais prouvé sur le Rhône-Alpes Isère Tour que j’avais ma place chez les pros. Mais c’était sans doute plus mental. Si l’on m’avait dit début 2012 que j’allais passer pro en fin de saison, j’aurais cru à un gag. Du coup, j’avais beaucoup hésité. Maintenant, quand on vous pose un contrat professionnel de deux ans sous les yeux dans une grande équipe comme la Cofidis, alors que vous n’avez que 21 ans, c’est compliqué de refuser. Et d’un autre côté, que ce serait-il passé si j’avais fait une saison 2013 moyenne en amateurs, si l’on ne m’avait pas proposé d’autre contrat ? Je m’en serais voulu toute ma vie. Le vrai problème, c’est que je suis tombé malade avec cette toxoplasmose (lire ici).
« J’ETAIS AU FOND DU TROU »
Mentalement, tu as dû galérer ?
J’ai fait une petite dépression. Je me posais beaucoup de questions. C’est un milieu difficile où j’ai vite réalisé que quand ça n’allait pas, j’avais beaucoup moins de coups de téléphone. Par moments, je me sentais vraiment inutile dans l’équipe. Inutile tout court. On me demandait de me reposer. Alors je restais chez moi, puis j’allais pêcher au lac le matin avant de regarder les étapes du Tour de France devant ma télé l’après-midi. J’étais vraiment au fond du trou.
Comment t’es-tu reconstruit ?
A un moment donné, je ne me sentais plus de faire du vélo. J’étais vraiment mal dans ma tête, à en pleurer. J’étais très triste de cette situation et je me faisais même suivre par un psychologue. Et puis j’ai rencontré Dominique Maguer, un coach sportif qui m’a redonné confiance en moi. Il m’a rappelé ce que j’avais réussi à faire en 2012. Même si je n’avais pas non plus cassé la baraque, j’avais quand même un certain niveau. Mon coach m’a convaincu de repartir en amateur, de ne pas rester sur ce gros échec. Alors que beaucoup de personnes m’avaient tourné le dos, il a su me redonner l’envie de me battre. Même chose pour Arnaud Le Goff, qui m’a tendu la main niveau matériel avec Trek. Cela m’a fait du bien.
Un an et demi plus tard, tu te retrouves leader du Challenge BBB-DirectVelo…
Oui, je me suis relancé. Pour ce qui est du Challenge, j’ai trouvé l’astuce en allant marquer de gros points sur le Tour du Rwanda cet hiver ! (rires). Plus sérieusement, je prends beaucoup de plaisir sur le vélo et j’ai retrouvé un très bon niveau. Même lors du Prix Gilbert-Bousquet, on m’a dit que j’avais fait un numéro et que je n’avais rien à faire chez les amateurs.
Donc, tu envisages de repasser professionnel ?
Je le souhaite plus que tout. On a vu récemment avec des gars comme Stéphane Rossetto ou Julien Loubet que c’était possible de repasser pro après un échec. C’est con à dire mais aujourd’hui, je suis prêt à toucher un smic, même à l’étranger, pour retrouver le monde professionnel. Je ne vais pas m’abaisser non plus, mais j’espère vraiment que l’on me redonnera ma chance.