JO : Quand le vélo était sur la sellette

Crédit photo Maxime Segers - DirectVelo.com

Crédit photo Maxime Segers - DirectVelo.com

Depuis le départ en 2013 de Pat McQuaid du cercle des membres du CIO, le cyclisme n'a plus qu'un représentant dans le club privé qui gère les Jeux Olympiques : Hein Verbruggen, ancien Président de l'UCI, nommé membre honoraire depuis 2008. Aucun coureur ne siège à la commission des athlètes.  Pourtant le vélo a tout à gagner à être bien représenté dans la « famille » olympique. Pat McQuaid reconnaissait qu'« être membre du CIO donne vraiment une possibilité unique de défendre son sport. Si dans un pays donné, votre sport a un problème, alors vous vous tournez vers le CIO et parce que vous êtes membre de ce club, on vous aide immédiatement. » (1).  Avant ce départ, une des réussites des deux anciens Présidents de l'UCI est d'avoir imposé le cyclisme parmi les grands sports olympiques. Pour 2016, le CIO a classé le cyclisme parmi les cinq sports olympiques de catégorie B, à l'égal du basket, du football, du tennis et du volley. Grâce à ce classement, l'UCI a reçu 21 millions de dollars après les Jeux de Londres.

Pourtant le vélo a souvent été sur la sellette olympique alors qu'il fait partie du programme depuis la renaissance des Jeux en 1896. Les concessions à l'idéologie olympique lui ont longtemps coûté cher.

RAYÉ DES PALMARES DE 1904

Aux yeux de « l'idéal » olympique, le gros défaut du vélo c'est d'être un sport professionnel depuis ses débuts. La vision anglaise de l'amateurisme qui refuse le mélange avec les pros, impose cet idéal. Et pas seulement au moment des J.O. En 1891, le premier Bordeaux-Paris est réservé aux amateurs pour pouvoir recevoir des coureurs britanniques. En 1892, la fédération anglaise juge les règles de l'amateurisme français trop laxistes. Leurs coureurs ne viendront plus.
Les barons de l'olympisme vont bouffer leur médaille quand ils se rendent compte que des professionnels participent aux trois premiers Jeux. Les résultats des épreuves cyclistes des Jeux de St Louis en 1904 sont même rayés du programme officiel. Après le retour du vélo aux Jeux de Londres, l'exclusion totale du cyclisme est proposée en 1909. Finalement, seule la piste est supprimée des Jeux de 1912, pour revenir après guerre.

LICENCE UNIQUE OU J.O, IL FAUT CHOISIR

Pour créer un contre-pouvoir au CIO, l'UCI réunit les fédérations internationales des autres sports en 1921, juste avant la session annuelle de l'organisme olympique. Elles créent un bureau permanent des fédérations internationales qui évoluera vers l'AGFI (2) en 1967 (Hein Verbruggen l'a présidé jusqu'en 2013). Ces fédérations veulent assouplir les règles de l'amateurisme strict édictées par le CIO. Malheureusement, après guerre, Avery Brundage arrive à la tête du CIO. L'homme qui était tout à son aise aux J.O. de Berlin en 1936 ne veut pas d'ersatz d'amateurs dans ses Jeux. Il veut des « purs », purs beurre et pas marrons. Dès 1953, des membres du CIO exigent que les  fédérations internationales se séparent en deux branches : professionnelle et amateur.

Pourtant, au même moment, l'UCI, son Président Achille Joinard et son Secrétaire général René Chésal prêchent pour la licence unique. Les meilleurs doivent courir ensemble. Mais les pays de l'Est tiennent aux Jeux olympiques où ils viennent d'être admis. Ils veulent même en faire une arme politique, comme par exemple, la R.D.A.Alors, pas question pour eux de lâcher la foire quadriennale. La bande à Brundage menace l'UCI : si vous adoptez la licence unique, le cyclisme sera exclu des Jeux. L'UCI joue donc le statu-quo.

LE CYCLISME COUPÉ EN DEUX À CAUSE DU CIO

Le CIO revient à la charge en 1964. L'australien Hugh Weir propose de donner douze mois de délai à l'UCI (et à la FIFA, la fédération internationale de football) pour créer une fédération amateur indépendante de celle des pros, faute de quoi, le cyclisme sera exclu. L'UCI crée donc la FIAC (Fédération internationale amateur de cyclisme) à la fin de 1965. La FIFA ne bouge pas et menace même d'organiser un tournoi international en face des Jeux. Le football reste le bienvenu dans la famille olympique.

En 1964, malgré le risque de l'exclusion du vélo des J.O., René Chésal défend encore la licence unique. Son successeur, le Polonais Michal Jekiel pousse dans le même sens. Le 1er décembre 1979 il se prononce pour l'ouverture des J.O. à toutes les catégories.

Cette séparation artificielle causée par les dictateurs de l'amateurisme va couper en deux le cyclisme pendant trente ans. Trente ans où les pays de l'Ouest qui ont choisi le professionnalisme enverront de jeunes coureurs « amateurs » au casse-pipe face à des coureurs professionnels de l'Est aguerris, payés par leur pays au lieu d'être payés par une marque de réfrigérateur. Mais à l'Ouest aussi, il y a des amateurs d'Etat. Daniel Morelon était cycliste à plein temps mais avec une licence d'amateur.

COCHISE TOMBE POUR L'EXEMPLE

Le CIO a voulu faire un exemple. C'est tombé sur la tête de Martin « Cochise » Rodriguez. En 1972, le Colombien a déjà participé aux Jeux de Tokyo et de Mexico. Il est recordman du monde de l'heure… amateur et Champion du Monde de poursuite amateur en titre. Mais il prête son image à des photos commerciales. En mai, le CIO d'Avery Brundage le disqualifie pour les Jeux de Munich. L'UCI laisse faire. Surtout ne pas faire de vague pour garder sa place dans le cercle olympique. Pourtant, Cochise Rodriguez n'est pas le seul amateur à arborer des noms de marques de cycles ou autres sur son maillot. Régis Ovion, Champion du Monde amateur en titre, sélectionné pour Munich, porte le maillot gris et orange de l'ACBB soutenu par Peugeot, Simplex et les vêtements Jean Biani. Quand il gagne le Tour de l'Avenir, il pose pour la traditionnelle photo avec la bouteille de Perrier. Les pistards Daniel Morelon et Pierre Trentin portent des cuissards floqués du nom des bières Pelforth et des cycles Lejeune. Cochise Rodriguez passe pro dans la foulée.

Malgré les concessions, le cyclisme va voir son programme réduit. Le tandem est sorti en 1976. La discipline va mourir à petit feu et sera supprimé des Championnats du Monde de l'UCI après 1994. Après avoir enflé entre 1988 et 2004, le programme du cyclisme sur piste se réduit comme peau de chagrin. En 2008, c'est au tour du kilomètre d'aller voir ailleurs. La poursuite individuelle, l'Américaine et la course aux points sont sacrifiées en 2012. En compensation, l'Omnium est ajouté au programme de Londres.

LES CHAISES MUSICALES

Cette dernière cure d'amaigrissement doit laisser plus de places aux femmes. En effet, depuis 1984, le programme s'est féminisé. La course sur route est apparue en 1984 alors qu'elle était demandée depuis 1960. A partir de 1988, les filles ont eu le droit de concourir sur piste. Le programme cycliste s'est aussi diversifié avec de nouvelles disciplines à qui il faut faire de la place. Le CIO ne veut plus pousser les murs du gigantisme, alors il faut faire le ménage à l'intérieur. Le VTT est arrivé en 1996 et le BMX est le dernier rendu depuis les Jeux de Pékin.

Le VTT n'est pas le seul  à faire son arrivée en 1996. Hein Verbruggen devient membre du Comité international olympique, sous l'ère Samaranch. L'Espagnol, ancien secrétaire d'Etat de Franco, range l'amateurisme au placard et veut les meilleurs sportifs dans ses Jeux. Hein Verbruggen en a profité pour fusionner la FIAC et la FICP (3) dès 1992. Les professionnels sont donc de la partie à Atlanta. La licence unique a enfin vu le jour en 1996.

L'élection de Pat McQuaid au CIO en 2010 sonne comme une récompense pour services rendus à rénover le programme du cyclisme aux Jeux Olympiques. En 2012, alors qu'il était encore Président de l'UCI, il se prononce pour l'ajout d'une épreuve au programme olympique du cyclisme sur piste de 2016. Cette sixième épreuve aurait pu bénéficier à l'endurance, saignée à blanc par les coupes drastiques dans le programme des olympiades précédentes. Mais Pat McQuaid n'est plus là pour défendre cette idée.

Les disciplines ajoutées au programme des Jeux de Tokyo 2020 affichent l'orientation du CIO d'ouvrir la porte à des sports «urbains » qui plaisent aux « jeunes ». Le cyclisme traditionnel peut-il répondre à cette attente ? Ou est-ce que dans 20 ans, l'UCI devra jouer la carte du Trial, du BMX free-style ou, pourquoi pas, du fixie, pour continuer de plaire au CIO ? Autre voie : miser sur les Jeux d'hiver pour faire donner le label aux cinq anneaux au cyclo-cross, le cyclisme artistique et le cycle-balle.


(1) « L'imposture du sport » de François Thomazeau. First Editions
(2) Association générale des fédérations internationales devenue SportAccord.
(3) Fédération internationale du cyclisme professionnel.

Mots-clés