Les travailleurs émigrés du demi-fond français

Crédit photo Violette Police - stayer-fr.blog4ever.com

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Dix-huit heures de voiture pour une heure de course sur le vélo. C'est le régime qu'ont dû s'infliger Emilien Clère et son entraîneur François Toscano pour aller disputer leur première course de demi-fond depuis l'hiver, au mois de juin dernier, à Erfurt. C'est dans ce vélodrome allemand qu'ils retourneront vendredi et samedi prochain pour disputer le Championnat d'Europe de demi-fond.

Depuis le 1er janvier, le Champion de France a participé à cinq réunions dont une seule en France : aux Six-Jours de Berlin, à Erfurt donc, deux fois à Zürich et sur la piste du Blanc dans l'Indre.

UNE SEULE COURSE AVANT LE CHAMPIONNAT D'EUROPE

Pour Joseph Berlin-Sémon, lui aussi sélectionné pour le Championnat d'Europe, c'est pire. Le vice-Champion de France 2017 n'a qu'une seule course de demi-fond dans les jambes avant le grand rendez-vous de l'année. C'était pour lui aussi à l'étranger, à Forst, en Allemagne, le pays du demi-fond. "Je devais courir deux fois à Zurich mais l'organisateur nous a refusés", déclare-t-il à DirectVelo. Le sociétaire de l'AC Bisontine dit "nous", car le demi-fond se court à deux : le stayer, derrière la moto, et l'entraîneur, debout sur la moto. Courir à l'étranger demande une logistique.  "C'est assez loin et l'entraîneur n'est pas toujours disponible non plus", ajoute le Bisontin. Les pilotes moto sont amateurs.

Le cas de Kévin Fouache est encore pire. Le médaillé de bronze du Championnat de France 2017 n'a pas eu l'occasion de courir du tout. Retenu par la soutenance de son Diplôme d'Etat, le coureur de la Roche-sur-Yon Vendée Cyclisme sera absent du Championnat d'Europe.

Si les stayers français sont contraints de s'exporter pour courir, c'est que le calendrier français est réduit comme une peau de chagrin. C'est la pire situation depuis 1982 et la relance de la discipline en France par Lucien Bailly, alors Directeur technique national. La convention signée entre la FFC et l'association France demi-fond n'a pas encore porté ses fruits (lire ici). Jusqu'à présent, la seule course a eu lieu au mois de juillet avec le rendez-vous traditionnel au vélodrome du Blanc (Indre). La deuxième réunion aura lieu samedi 8 septembre, en même temps que le Championnat d'Europe, à Couëron, un autre bastion du demi-fond. Le Championnat de France, longtemps en péril, aura bien lieu samedi 15 septembre à Lyon. Joseph Berlin-Sémon n'a pas pu aller au Blanc en juillet. "Je travaillais et je n'ai pas pu me libérer". Le stayer est lui aussi amateur.

« IL MANQUE UN MÉCÈNE »

Du côté des organisateurs qui ont renoncé cette année, on avance deux explications : la baisse des subventions des collectivités locales et aussi l'usure morale des bénévoles. L'aide financière des entreprises du coin s'apparente à du mécénat car elles ne peuvent attendre un retour sur investissement. Un organisateur convaincu estime d'ailleurs qu'il "manque  un mécène du type Fenioux qui soutient la discipline sans attendre une retombée". Le prix d'un plateau de huit coureurs et entraîneurs est de 5000 euros pour le comité d'organisation.

En revanche, aucun vélodrome n'avance une quelconque désaffection du public. Les courses derrière motos intriguent et ne laissent pas indifférent. Pourtant certains organisateurs restent frileux et méfiants et n'osent pas ajouter à leur programme du demi-fond. Un organisateur convaincu comme Jean-Claude Fillaud, lui, ne regrette pas de faire confiance aux stayers chaque année et le public le suit (lire son témoignage ici). Un public habitué a même ses chouchous. "A Zurich, où je cours régulièrement, les gens m'apprécient. La semaine dernière quand je suis allé poser mes roues, je me suis même fait applaudir", rappelle Emilien Clère.

Malgré ce calendrier maigrelet, les deux coureurs sélectionnés se sont préparés pour le Championnat d'Europe. Le demi-fond ne tolère pas de demi-mesure pour la forme du coureur. Le stayer pédale à plus de 120 tours/minute et l'aiguille du coeur sort de la boîte à gants pour aller toucher le rétro. Joseph Berlin-Sémon tourne une fois par semaine sur la piste de la Tête d'Or à Lyon dans le sillage de la moto de Marc Pacheco. Il doit faire le trajet depuis Besançon à chaque fois. Il est aussi allé disputer en juillet deux Six-Jours en plein air, en Italie, à l'étranger encore. Ce régime l'a mis en forme pour le Championnat de France à Hyères où il a remporté la médaille de bronze de l'Américaine associé à Morgan Kneisky.

« TOUJOURS L'IMPRESSION DE QUÉMANDER »

Emilien Clère aussi a dû trouver une solution pour s'entraîner. "Cet hiver, j'ai roulé dans le sillage de petite moto de Francis Coquoz sur la piste de Saint-Quentin mais elle est fermée au mois d'août. J'ai toujours l'impression de quémander quand je sollicite la fédération pour m'entraîner, ce n'est pas agréable", ressent le coureur du VS Chartrain.

La semaine dernière, sur la piste de Zurich, dessinée pour le demi-fond, Emilien Clère s'est classé 3e derrière le maître des lieux, Giuseppe Atzeni et le Champion des Pays-Bas, Reinier Honig. Le Suisse sera pourtant absent à Erfurt. Il ne manquait que les Allemands au départ. "Mais ça roulait très très vite, à plus de 73 moyenne", indique le Champion de France qui reste sur deux finales de Championnat d'Europe. De son côté, Joseph Berlin-Sémon veut profiter de ses progrès physiques : "l'objectif sera d'aller chercher une place en finale", confie-t-il.

Après le Championnat d'Europe, les deux coureurs se retrouveront le samedi suivant, enfin en France, pour le Championnat national au vélodrome de Lyon.

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Portrait de Joseph BERLIN-SÉMON
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