Juliette Labous : « Rester la même »
Juliette Labous peut savourer. “Mentalement, ça va me donner de la confiance. J’en avais besoin pour me conforter dans l’idée que j’en suis capable”. Dimanche dernier, la Franc-Comtoise a remporté sa première épreuve WorldTour en enlevant le classement général du Tour de Burgos, au terme de quatre jours de course (voir classements). L’occasion de passer un nouveau cap, mentalement, à quelques semaines de son premier Tour de France - fin juillet - lors duquel elle sera très ambitieuse. Entretien.
DirectVelo : On imagine que ce succès sur le Tour de Burgos est un grand moment dans ta jeune carrière !
Juliette Labous : C’est le fruit d’un long travail. Je suis contente car ça récompense tous les efforts que je produis depuis des années. Je progressais et ce résultat, c’est celui que j’attendais depuis un moment. J’espérais que ça vienne. Ces derniers temps, je sentais que ça tournait bien. Déjà à l'Itzulia (le Tour du Pays Basque, NDLR), je me sentais bien alors que les bosses étaient moins longues et que le parcours ne me correspondait pas autant. Lors de la troisième étape du Tour de Burgos, j’ai vraiment eu le déclic car je me suis sentie très forte. Du moins, aussi forte que les autres. J’ai réalisé qu’il n’y avait pas forcément une fille au-dessus des autres sur cette course et je me suis mise à penser qu’il était possible de gagner le classement général. C’était loin d’être fait, bien sûr, mais c’était devenu envisageable.
Et tu l’as réalisé le lendemain lors de l’ultime journée de course, pour l’étape reine de l’épreuve avec cette arrivée au sommet d’un col de 11,9 km !
C’était une belle montée. Mes équipières ont fait un joli boulot avant l’ascension finale. Il y avait une échappée avec des filles solides devant. L’équipe UAE Team ADQ (de l’Espagnole Mavi Garcia, alors leader de l’épreuve, NDLR) a roulé mais l’écart ne baissait pas. On a donc mis une fille à rouler, puis une deuxième. C’était une décision conjointe, de ma part et de celle de la direction de l’équipe dans la voiture. Tout ça s’est fait naturellement vu la situation de la course.
« IL FAUT RESTER LUCIDE »
C’était ensuite à toi de jouer dans l’ascension…
Le rythme a naturellement été assez élevé dès le début de la montée. Demi Vollering a ensuite accéléré, sans attaquer. J’ai pris la roue et on s’est retrouvées à trois devant, avec également Paula (Andrea Patino). Il y a eu un bon replat avec trois kilomètres à 2% de moyenne… Du coup, les FDJ ont pu ramener le groupe avec Grace Brown, Cecilie Uttrup Ludwig et Évita (Muzic). J’ai ensuite attaqué à trois bornes de l’arrivée alors qu’on était une dizaine dans le groupe. (Niamh) Fisher-Black et Demi Vollering ont suivi. (Niamh) Fisher-Black a lâché avant moi mais ensuite, Demi Vollering est partie toute seule… J’ai alors pensé au général car pour l’étape, ce n’était plus possible. Je savais que j’avais 35 secondes d’avance et donc de marge sur elle au général, mais il restait un kilomètre à 11% et j’avais peur qu’elle finisse très fort. De mon côté, j’ai essayé de rouler le plus vite possible tout en gérant un minimum pour ne pas exploser en vol. En coupant la ligne, je n’étais pas sûre d’avoir gagné le général alors j’ai préféré ne pas célébrer. Ce sont les assistants de l’équipe, derrière la ligne, qui m’ont dit que c’était bon.
Penses-tu qu’il y aura nécessairement un avant et un après ce succès au Tour de Burgos ?
Ce n’est pas évident à dire. Ce qui est sûr, c’est que ça ne changera rien à ma manière d’être et de penser. Je veux rester la même, humble. Physiquement, je peux encore beaucoup progresser. Il faut rester lucide : des filles comme Ashleigh Moolman ou Annemiek van Vleuten n’étaient pas là. Il va encore falloir travailler dur pour essayer d’arriver à leur niveau. Mentalement, ça va me donner de la confiance. J’en avais besoin pour me conforter dans l’idée que j’en suis capable. Ça peut me débloquer.
Ta dauphine, sur ce Tour de Burgos, n’est autre qu’Évita Muzic. C’est un joli clin d'œil !
On en a bien rigolé après l’arrivée. On performe souvent ensemble, en même temps. Quand on fait de grandes choses, on n’est jamais loin l’une de l’autre. C’est top ! Ça fait vraiment plaisir, on se connaît depuis les Minimes… On jouait la gagne dans les jeunes catégories et là, on se retrouve à faire 1 et 2 en WorldTour, c’est beau.
« UN TOP 5 PEUT-ÊTRE ENVISAGEABLE »
Peu avant cette victoire finale sur le Tour de Burgos, le Team DSM avait annoncé ta prolongation de contrat jusqu’en 2024. Tu as donc fait le choix de la stabilité !
C’est exactement ça, j’avais besoin de stabilité, ça m’apporte beaucoup de sérénité. 2024 sera une année olympique et je n’avais pas envie de passer cette saison-là à me demander ce que j’allais faire. Je voulais pouvoir me concentrer à 100% sur l’aspect sportif. L’équipe me soutient à fond dans mes projets et mes objectifs, il me semble tout à fait logique de continuer avec ce groupe.
On est désormais à deux mois du Tour de France. Comment comptes-tu le préparer et en sais-tu plus sur les ambitions avec lesquelles tu te rendras sur l’épreuve ?
La préparation pour le gros bloc de juillet débute maintenant. Je pars, ce mardi, à Tignes (Savoie) pour trois semaines de stage. Mes parents m’y emmènent et j’y rejoins Clément (Berthet, son compagnon, NDLR). On va passer les deux premières semaines de stage ensemble puis une amie me rejoindra pour la troisième semaine. Le schéma va rester le même que l’an dernier, lorsque j’avais préparé le bloc Giro - Jeux Olympiques. Cette fois-ci, ce sera Giro - Tour de France même s’il y a encore une petite incertitude sur ma participation au Tour d’Italie, mais il n’y a pas vraiment de raison que je n’y participe pas. L’enchaînement des deux me semble tout à fait compatible. Ce n’est pas comme s’il n’y avait que deux/trois jours entre les deux épreuves. Je compte jouer le général sur les deux courses. Au Giro comme au Tour, ça se jouera vraiment sur les dernières étapes. Je pense que physiquement, ça peut se faire. Je ne serai pas la seule à tenter le coup si je fais les deux.
T’es-tu projetée sur un objectif précis de classement général pour le Tour de France ?
Il n’est pas évident de se projeter, justement, mais je me dis qu’un Top 5 peut être envisageable. Voire pourquoi pas un podium car je suis ambitieuse. D’un autre côté, j’ai bien conscience que ce sera un objectif difficile à atteindre et je n’ai pas envie de me mettre trop de pression. J’ai des objectifs élevés, c’est sûr, mais il n’y aura de toute façon pas de secret. Ça se fera à la pédale.
« J’AI GRANDI ET J’AI ÉVOLUÉ AVEC DEPUIS TOUJOURS »
Tu es au cœur de ta - déjà - sixième saison chez les pros mais tu n’as que 23 ans. As-tu le sentiment d’être arrivée à un stade de ta carrière où tu vises désormais ce que l’on appelle les gains marginaux, ou penses-tu avoir encore d’importants progrès à réaliser ?
Je peux encore passer un gros cap général. Je continue de progresser chaque saison dans tous les domaines. Avec l’équipe, on a un plan précis en tête. L’idée, à moyen terme, c’est de se focaliser sur mes qualités de grimpeuse pour jouer le classement général des plus grosses courses du calendrier, justement. En travaillant aussi le contre-la-montre. Ce qui ne doit pas m’empêcher de continuer à être ambitieuse sur des courses d’un jour comme les Ardennaises. Mais la priorité, dans ma carrière, ça va être ces grandes courses par étapes : le Tour d’Italie, le Tour de France… Cette année mais aussi pour les années à venir.
Comment l’équipe DSM va-t-elle s’articuler lors du Tour de France ? On connaît la pointe de vitesse de Lorena Wiebes, capable de décrocher des victoires d’étapes pour l’équipe, mais auras-tu également un rôle de leader à part entière ?
Tout cela reste encore à être peaufiné et confirmé en interne mais a priori, on aura deux groupes, en quelque sorte. L’un autour de notre sprinteuse Lorena et un autre autour de moi, pour le général. Liane (Lippert) serait peut-être une sorte d’électron libre au milieu de Lorena et moi-même, si Lorena fait bien le Tour. Ce serait alors notre puncheuse capable, aussi, de jouer une victoire d’étape. Les deux objectifs principaux de l’équipe seront clairs si on part là-dessus : les victoires d’étapes au sprint avec Lorena et le général avec moi. C’est compatible même malgré un groupe réduit qui limite les choix de sélection (il n’y aura que six filles par formation au départ, NDLR). Sur les dernières étapes, même Lorena pourrait travailler pour moi. Ce serait un groupe mixte qui pourrait être solide sur tous les fronts.
La presse spécialisée comme les médias généralistes vont sûrement te suivre de près sur la route de ce Tour de France, te présentant comme porteuse d’espoir pour une victoire française sur la compétition, à court ou plus long terme. Es-tu prête à vivre avec cette pression désormais ?
Oui, j’aime bien cette pression là, j’ai toujours aimé l’avoir, ça ne me dérange pas. J’ai appris à vivre avec et à gérer ces situations même si là, sur le Tour, ça risque en effet d’être différent de tout ce que j’ai connu jusqu’à présent. Je le ressens déjà. Mais quand j’étais dans les jeunes catégories et que je me battais pour le titre de Championne de France, en cyclo-cross ou sur la route, il y avait déjà de la pression. J’ai grandi et j’ai évolué avec depuis toujours. Alors oui, c’est vrai que pour le Tour, ça va être plus grand. J’ai déjà des demandes de magazines etc, des choses qui ne sont pas habituelles pour moi. Mais je suis prête.