Jarno Widar : « L’objectif ultime est de battre Tadej Pogacar »

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

Lorsque Jarno Widar s’exprime, il faut toujours bien tendre l’oreille, tant les décibels de sa voix calme et posée sont basses. L’exercice de l’interview est rendu encore bien plus difficile à l’arrivée des compétitions, ou sur les podiums en haut desquels il est très régulièrement mis à l’honneur, quand la voix du speaker résonne à fond dans les puissantes enceintes. Et que dire donc de ces moments où le DJ du Tour du Val d’Aoste (2.2U) - visiblement grand amateur de rock’n’roll - décide de balancer les plus grands tubes d’ACDC, Jon Bon Jovi ou Muse pleine balle ? Pourtant, à l’occasion de l’épreuve la plus montagneuse du calendrier Espoirs, DirectVelo tenait à en savoir plus sur la nouvelle pépite du cyclisme international. Déjà impressionnant chez les Juniors, le Flamand de la Lotto-Dstny DT explose cette année. Ses prises de parole ont déjà été nombreuses (voir ici), mais après cet impressionnant triplé Alpes Isère Tour, Tour d’Italie Espoirs et Tour du Val d’Aoste, il fallait mieux connaître le personnage, amené à très vite tutoyer les sommets (aussi) chez les grands.
Pour ce faire, « DV » a trouvé la parade en donnant rendez-vous à l’athlète de 18 ans dans son hôtel de Montjovet, en basse vallée d’Aoste, en fin d’épreuve. Au calme, au milieu d’un charmant jardin fraîchement arrosé, et alors que le fond de l’air était frais, Jarno Widar s’est livré comme jamais encore il ne l’avait fait. Une très longue discussion, jusque dans la nuit noire italienne, pour mieux apprendre à connaître un immense talent qui ne se fixe absolument aucune limite malgré quelques démons qui ne sont jamais bien loin de son esprit. Entretien XXL avec un gamin que toutes les plus grosses équipes au Monde s’arrachent mais qui a juré fidélité à la Lotto-Dstny.

DirectVelo : Tu remportes le Tour du Val d’Aoste après avoir un temps été piégé dimanche par un groupe d’une vingtaine de coureurs, et alors même que tu n’avais plus qu’un seul équipier en course. T’es-tu fait peur ?
Jarno Widar : Je n’ai pas eu peur, non. J’étais plutôt énervé. Je me suis retrouvé piégé après être allé chercher des vêtements chauds à la voiture. Heureusement, Kamiel (Eeman) a donné tout ce qu’il avait pour me ramener le plus près possible du groupe de tête. Au pied du premier long col (de Saint Pantaleon), il y avait 1’00” d’écart et j’ai compris que ça allait le faire. J’ai pris les choses en main directement et j’ai monté les 16 kilomètres à mon rythme. Comme les autres jours, c’était qui m’aime me suive (sourire). J’ai pu boucher le trou. Une fois rentré devant, le plus dur était fait pour sauver le maillot jaune.

Tu viens de réaliser le doublé Tour d’Italie Espoirs et Tour du Val d’Aoste pour ta première saison dans la catégorie d’âge, après avoir terminé 2e de la Ronde de l’Isard et remporté l’Alpes Isère Tour, en Classe 2. C’est une saison rêvée !
Je m’étais fixé trois objectifs : le Giro, l’Avenir et le Mondial. Le Tour du Val d’Aoste est une très belle course également, bien sûr, mais je ne peux pas être à 100% partout. Alors quand je suis arrivé ici, je ne bluffais pas en disant que je n’avais pas de pression et que je ne visais pas forcément de grandes choses. Si tu veux être sur un pic de forme au Giro et à l’Avenir, il est impossible de l’être aussi au Tour du Val d’Aoste, alors j’ai fait comme j’ai pu.

« J'ÉTAIS DÉPITÉ CAR ON M’AVAIT FAIT LA PROMESSE QUE J’Y ALLAIS »

Il est encore plus impressionnant de te voir dominer les meilleurs coureurs de ta génération - dont certains ont trois ans de plus que toi - avec une telle aisance alors que tu n’étais au Val d’Aoste qu’en phase de transition…
Je suis un compétiteur alors je fais toujours au mieux même si je sais que je n’ai pas mes meilleures jambes. Mon directeur sportif (Wesley Van Speybroeck, NDLR) voulait vraiment que l’on gagne une étape. Je lui ai fait plaisir (rire). Le général, c’est vraiment du bonus.

Tu n’as que 18 ans mais tu sembles déjà faire partie de ces athlètes d’exception que l’on s’attend à voir dominer presque tous les week-ends. Ton tout premier article sur DirectVelo rappelait d’ailleurs que tu avais commencé ta saison de J1 avec quatre podiums d’affilée…
Je me souviens très bien de ça (rire). En fait, je ne dominais pas du tout chez les Cadets, ça a commencé chez les Juniors. J’ai fait 3 sur la première course et j’ai gagné la suivante. J’ai tenté d’attaquer pour le plaisir et on m’a laissé faire. Là, pour la première fois, j’ai senti qu’il se passait quelque chose. Mentalement, je suis devenu un gagneur. Dans ma tête, je me disais : « les gars, si vous me laissez y aller et que vous ne vous méfiez pas de moi, vous n’allez plus me revoir ». C’est aussi ce qu’il s’est passé sur ma toute première course UCI, à Nokere. Mais beaucoup doutaient encore de moi. J’entendais dire que je gagnais car on ne me connaissait pas et qu’on ne se méfiait pas de moi, que j’avais profité de cette situation mais que ça n’allait pas durer. Il est vrai que les choses ont vite changé. Je ne pouvais plus bouger le petit doigt sans que tout le monde me saute dans la roue. Le reste de la saison J1 a été plus dure (il a tout de même remporté le GP Patton en juillet, NDLR). J’ai connu une grosse déception en fin de saison et j’ai eu du mal à la digérer.

C’est-à-dire ?
On m’avait promis que j’irai au Championnat du Monde à Wollongong. Le sélectionneur m’avait dit que le parcours, très explosif, me convenait très bien car à ce moment-là, mon punch était ma principale qualité, plus que celles de véritable grimpeur pour les longues ascensions. J’ai axé toute ma préparation sur cet objectif, avec l’idée d’être à 110% fin septembre. Et finalement, j’ai découvert la liste des coureurs sélectionnés sur internet et j’ai vu que mon nom n’y était pas, sans avoir été mis au courant directement. J’étais dépité car on m’avait fait la promesse que j’y allais et je m’étais parfaitement préparé pour. D’ailleurs, deux jours après ce qui aurait dû être mon premier Mondial, j’ai gagné un interclub en Belgique (le GP Ernest Beco-Jemeppe, NDLR), j’ai encore fait 2 le week-end suivant et j’ai fini la saison en remportant une étape de la Philippe Gilbert. Cette déception, ce moment que j’ai vécu comme une injustice, je m’en suis servi l’hiver suivant dans la préparation de ma saison de J2.

« LA MORT DE GINO MÄDER M’A ÉNORMÉMENT MARQUÉ »

Tu étais donc revanchard ? 
Je me suis mis beaucoup plus de pression car mentalement, c'est là que j'ai commencé à vouloir devenir l’un des meilleurs, partout et tout le temps. Je voulais marquer les esprits d’entrée en essayant de gagner Kuurne-Bruxelles-Kuurne pour ma première course en J2 et je l’ai fait après 40 bornes en solo. Je n’ai pas réussi à faire le doublé à Nokere mais j’ai ensuite gagné le Tour du Bocage et de l'Ernée en France en faisant un numéro le dernier jour. J’ai accéléré sans cesse jusqu’à ce que tout le monde pète de la roue. Puis j’ai gagné à la Côte d’Or Classic, au Tour des Flandres, au Championnat de Belgique… Mentalement, j’étais au top pour mon plus gros objectif, la Classique des Alpes. En J1, j’étais passé totalement au travers car il avait fait 38°C et j’avais pris un énorme coup de chaud (il avait abandonné, NDLR). Depuis ce jour-là, je m’étais promis que j’allais revenir gagner cette course l’année suivante. C’était toujours dans un coin de ma tête et j’ai réussi à le faire (lire ici). Toutes les planètes semblaient alignées pour faire de grandes choses et devenir Champion du Monde, ce qui était mon plus grand rêve en Juniors. Mais c’est devenu de la merde…

Avant même le Mondial, on t’imaginait briller au Valromey après ton succès sur la Classique des Alpes, mais tu n’as rien fait là-bas. Pourquoi ?
J’ai enchaîné les chutes. Je suis tombé à la reco de la Classique des Alpes, puis au Saarland et encore une fois la semaine suivante. Ça m'a traumatisé. Au début du Valromey, je me sentais super bien dans les montées mais j’étais complètement bloqué dans les descentes. Je pensais au Mondial qui arrivait juste après. J’avais tellement peur de tomber et d’être forfait pour le Mondial que je ne me suis jamais vraiment livré à fond. Le Jour-J, au Mondial, j’ai été écarté de la course au maillot arc-en-ciel sur un incident mécanique. C’était ma plus grande déception. Je me suis quand même remobilisé assez vite en gagnant quatre fois en quinze jours, fin août (la Flèche du Limbourg, le Trophée Emilio Paganessi et les deux premières étapes du Tour de Lunigiana, NDLR). Malheureusement, mes vieux démons sont réapparus lors de la troisième étape du Lunigiana. J’avais le maillot et j’ai complètement laissé filer dans une très longue descente (le Passo del Portello, 15 km à 5.9%, NDLR). Je ne voulais surtout pas tomber encore une quatrième fois. C’était un sentiment très désagréable. Après ce traumatisme, j’ai perdu l’envie pendant plusieurs semaines. Je me foutais même du Championnat d’Europe. Je n’étais pas à l’aise sur le circuit du VAM-berg, je me suis retrouvé terriblement mal placé, en toute fin de paquet, avant le dernier raidard vers l’arrivée et j’ai quand même fini 8e. Sans vraiment de motivation et avec la peur de tomber. Je m’en suis voulu le soir-même car en y repensant, j’ai réalisé qu’avec une plus grande implication et sans ce blocage mental, j’aurais pu faire un très gros truc. J’étais très énervé alors je suis allé courir dès le lendemain (le GP Enerst Beco, NDLR) et j’ai gagné en écrasant les pédales toute la journée. Puis j’ai remporté la Philippe Gilbert pour finir l’année. Je n’étais quand même pas pleinement satisfait car j’aurais pu gagner plus de courses.

As-tu pris une très grosse gamelle, spécifiquement, qui t’aurait traumatisé ?
La mort de Gino Mäder sur le Tour de Suisse m’a énormément marqué. Il y a ensuite eu ces trois chutes pratiquement coup sur coup, sans rien de grave, mais juste après ça un coureur italien s’est tué lui aussi sur le Tour de Haute-Autriche (lire ici), quelques jours après le Valromey où je ne faisais déjà pas le malin. En tombant, je me disais qu’après tout, moi aussi je pourrais me tuer en course. Des gens ont commencé à dire que je ne savais pas descendre, que je n’avais aucune technique, mais je savais très bien que c’était faux. Car le comble dans tout ça, c’est que pendant une certaine période, j’étais un fou furieux en descente. Je me régalais, personne ne pouvait me suivre. Je profitais de mon poids plume et de ma petite taille pour me faufiler partout et prendre des trajectoires que personne d’autre ne prenait. Je suis passé de tout à rien. J’ai toujours su que c’était dans ma tête mais pendant un moment, je n’ai pas voulu me faire suivre par un coach mental car j’étais persuadé que ça ne me serait d’aucune utilité.

« JE ME SUIS DÉCIDÉ À SUIVRE UN COACH MENTAL »

Mais… ?
Mais cette année, pour mes débuts en U23, j’ai directement gagné (au Tour du Limbourg, NDLR) et l’équipe m’a très vite mis sur une course avec la ProTeam, à la Coppi & Bartali. J’ai pris une énorme claque là-bas car j’ai réalisé à quel point le placement est important. C’est un truc de fou. Physiquement, j’avais les jambes mais mon problème de placement m’a empêché de jouer la gagne sur la deuxième étape remportée par Diego Ulissi. Si j’avais été mieux placé, si je n’avais pas eu peur, j’étais vraiment capable de gagner, j’en suis convaincu. D’ailleurs, Wesley (Van Speybroeck) m’avait dit au matin de l’étape que je pouvais être très ambitieux vu le profil de l’arrivée. Je sortais juste des Juniors, c'était ma deuxième course avec la ProTeam (après le Trophée Laigueglia, NDLR) mais on m'avait déjà propulsé carte N°1 de l'équipe. Quand je suis rentré d’Italie, je me suis décidé à suivre un coach mental qui bossait avec l’équipe Lotto-Dstny par le passé.

Où en es-tu aujourd’hui ?
Ça va mieux. Mais quand je le peux, je reste en queue de peloton, je m’y sens quand même plus à l’aise. Je ne veux surtout pas tomber pour rien. Je me suis fait violence à l’Alpes Isère Tour pour rester beaucoup plus souvent bien placé. J’étais très fier de moi sur ce point. Au Giro aussi, ça n’allait pas trop mal et c’était encore mieux ici au Val d’Aoste. Je me sens de mieux en mieux dans le peloton. C’est incroyablement important car avec un problème pareil, tu ne peux pas t’en sortir. Milan Donie, qui est l’un de mes meilleurs amis dans le peloton, a le même problème. Il l’a même eu avant moi. Je me souviens que parfois, il me disait que je descendais comme un taré alors que non. Maintenant, je comprends ce qu’il voulait dire car j’ai le même ressenti. Si tu as peur, tu as l’impression que ça va super vite et que les gars prennent des risques de fou même quand ce n’est pas le cas.

Finalement, ton plus grand adversaire aujourd’hui semble être toi-même et ta peur de la chute car pour le reste, tu as été une jambe au-dessus des autres au Giro comme au Val d’Aoste. Réalises-tu que tu es en train de faire quelque chose de spécial ?
Mon plus gros objectif, c’est de devenir le meilleur coureur au Monde. Tadej Pogacar est le meilleur coureur du Monde actuellement. Eh bien l’objectif ultime est de battre Tadej Pogacar.

« CE QUE J’AIME LE PLUS, C’EST TOUT LE PROCESSUS »

Tu penses déjà à ça ?
Oui, bien sûr ! Je n’ai pas envie d’être un pro moyen qui va faire le boulot pour les autres et à qui on va taper dans la main à l’arrivée pour lui dire : « merci pour le boulot dans la première partie de la course mec, c’était cool ». Ça ne me fait pas rêver. J’ai besoin de voir les choses en grand, d’imaginer les plus belles choses possibles. J’aime l’idée d'un futur où je serais encore beaucoup plus fort qu’aujourd’hui. Gagner des courses ne me procure pas toujours un sentiment incroyable. En quelque sorte, je suis déjà habitué. Ce que j’aime le plus, c’est tout le processus qu’il y a en amont pour progresser, pour devenir plus puissant, plus résistant, plus fort mentalement. J’aime les sacrifices.

Avec l’évolution du cyclisme actuel, certains parlent d’une “vie de moine” dès les jeunes catégories, pendant que la plupart des gens de ton âge sortent en boîte de nuit - simple exemple -. Es-tu heureux avec cette vie-là ?
Je n’ai jamais fait la fête, je ne suis jamais sorti jusqu’à 3h du matin pour me mettre une caisse. Je ne sais pas ce que c’est alors ça ne risque pas de me manquer. Pour aller un peu plus loin, j’admettrais même que j’ai du mal à comprendre ces gens-là, je les trouve bizarres car j’ai l’impression que ça veut dire qu’ils n’ont pas vraiment d’objectifs pour faire quelque chose de sérieux. S’ils sont heureux, tant mieux, mais je ne suis pas là-dedans. De là à dire que j’ai une vie de moine, quand même pas (sourire).

Y’a-t-il tout de même des choses que tu n’aimes pas dans ce fameux “processus” ?
Bien sûr. Quand tu dois aller faire quatre ou cinq heures à l’entraînement et qu’il flotte tout le long, ce n’est pas très marrant, mais ça fait partie du boulot.

Mais tu as la chance de vivre en Belgique alors ça n’arrive pas souvent !
(Il éclate de rire, NDLR). Oui voilà ! Il fait toujours beau chez nous.

« JE NE SUIS PAS UN MEC ARROGANT »

Parle-nous, justement, de ton environnement. Où vis-tu, où t’entraînes-tu ?
J’habite non loin de la frontière néerlandaise, dans un petit coin tranquille entre Hasselt et Liège. J’y suis bien mais quand il le faut, je descends à Calpe, en Espagne, pour m’entraîner avec des potes comme Kamiel (Eeman), Mauro (Cuylits) ou Milan (Donie). Avec certains, je le fais depuis les années Juniors. Pour la prochaine trêve, on y restera sûrement tout l’hiver. On ne rentrera en Belgique que pour quelques week-ends importants en famille.

Comment t’es-tu retrouvé sur un vélo ?
Mon père faisait du cyclisme jusqu’à ses 18 ans mais il a arrêté à cause de problèmes de dos. Il est parti à l’armée puis il est devenu couvreur. Il a toujours fait ça depuis qu’il a 19 ans et il est toujours sur les toits aujourd’hui. Ma maman travaille dans une garderie. Elle s’occupe des petits. Mon grand-frère Wesley, de dix ans mon aîné, a aussi fait du vélo, très tôt. Il a des problèmes de diabète, il avait un temps rejoint la réserve de Novo Nordisk mais depuis, il a arrêté. Pour moi, le vélo est vite devenu une évidence. J’en ai toujours fait même si je m’intéresse aussi à d’autres sports comme le Moto Cross ou la Formule 1. D’ailleurs, j’ai un temps voulu essayer le Moto Cross moi-même mais bon, ce n’était pas raisonnable.

Tu n’as donc jamais testé d’autres sports auparavant ? Généralement, la majorité des cyclistes ont fait au moins du foot avant !
Mais oui (rire) ! Tout le monde me dit ça. Ils ont tous fait du foot. Non, moi je n’aime pas ça. Je n’ai pas essayé.

Tu n’as jamais joué au foot, et tu n’as jamais mis les pieds dans une soirée…
Je suis vraiment un mec spécial hein ? (rire). Je veux juste gagner des courses de vélo, le plus possible. C’est ça qui me plait. Et c’est juste de la motivation. Les défis me stimulent. Je le précise car je sais que certains me voient comme un type arrogant. Chacun a le droit de penser ce qu’il veut, évidemment, mais je ne suis pas un mec arrogant. Je suis seulement ambitieux. Et tu ne peux pas réussir de grandes choses dans la vie si tu n’es pas sérieux, appliqué et surtout ambitieux. Il faut voir loin.

« LA DÉCISION POURRAIT ENCORE CHANGER »

Revenons à ton parcours cycliste, en évoquant désormais non plus le passé ou le présent mais l’avenir : tu t’es engagé avec la Lotto-Dstny jusqu’en 2027 mais il est prévu que tu restes encore dans la réserve en 2025. Pourtant, avec la saison que tu réalises, tout le monde t’imagine rejoindre les grands dès l’an prochain. Au Giro, tu nous avais dit que tu avais encore des choses à apprendre. Est-ce à cause de cette crainte de la chute que l’on évoquait précédemment que tu souhaites rester en U23 l’année prochaine ?
Oui, c’est exactement ça. Sans prétention, sur le niveau physique, je pourrais évidemment déjà être au-dessus. Comme je le disais tout à l’heure, j’avais déjà les jambes en début d’année pour jouer la gagne sur la Coppi & Bartali. J’ai mon contrat pour encore trois ans et demi. Que je passe l’année prochaine ou pas… On verra bien. La décision pourrait encore changer. Si au Tour de l’Avenir, tout se passe excellemment bien et que je me sens mieux dans le peloton, alors l’équipe m’alignera certainement à nouveau sur une ou deux courses pros avant la fin de l’année. Et si tout s’y passe bien, alors peut-être que j’irai finalement dans la ProTeam dès l’an prochain. L’équipe va me laisser le choix. Mais si j’ai tenu à faire une année chez les Espoirs, c’est aussi parce que je suis un gagneur et que je ne voulais surtout pas perdre ce truc-là de jouer souvent la gagne. Je passerai au-dessus quand ce sera pour aller gagner des courses.

En nous racontant ton parcours, il saute aux yeux que tu as besoin de te fixer des objectifs très élevés. Aurais-tu la même motivation à tenter de gagner un second Giro Espoirs l’an prochain ?
C’est tout le problème et la question en effet. Je ne sais pas du tout, c’est dur de se projeter. Si je fais vraiment la saison d’Espoir 2 avec la réserve, il n’y aura rien de révolutionnaire, il faudra une nouvelle fois cibler les mêmes objectifs : le Giro, l’Avenir et le Mondial. Ce serait avec moins de pression au Giro. La motivation serait encore élevée mais elle ne pourra pas être aussi importante, c’est sûr. Il faut vraiment aller chercher quelque chose que tu n’as pas encore pour aller au-delà de la douleur. Ça peut sembler bizarre mais je pense que beaucoup passent par là. Même un Tadej Pogacar. Peut-être que sur le Tour de France 2022, il n’était pas prêt à se faire aussi mal que lorsqu’il a remporté ses deux premiers Tour de France. Par contre, cette année, pour différentes raisons sûrement, il avait la rage et la dalle comme jamais. Il voulait tout gagner, toutes les étapes, écraser le Tour… Il était vraiment en mode « Fuck everyone ! ». Mais c’est là que ça marche le mieux. C’est un sport tellement difficile, tu as besoin de te faire violence sinon, tu ne peux pas gagner.

Tes adversaires sont prévenus, c’est l’état d’esprit dans lequel tu seras au Tour de l’Avenir !
Totalement. C’est encore au-dessus du Giro pour moi. C’est la course par étapes que je veux le plus gagner cette année. Toute ma préparation est tournée autour de cet événement. Normalement, j’y serai bien plus fort que lors du Val d’Aoste cette semaine. J’espère que ça va aller. Il me reste un mois de préparation, mon esprit est déjà là-bas. 

« MON GABARIT N’EST PAS UN HANDICAP »

Tu accordes une énorme importance à l’idée d’accrocher à ton palmarès des épreuves comme le Giro Espoirs ou le Tour de l’Avenir alors que désormais, certains coureurs passent de J2 au WorldTour et ne disputeront jamais ces épreuves-là…
Je ne comprends pas le choix de certains coureurs, même si chacun fait ce qu’il veut. Je prends un exemple parmi d’autres : Andrew August. C’est un grand talent, bien sûr, mais il n’a pas non plus gagné 20 courses en Juniors. Ce n’était pas Remco Evenepoel non plus. Il devait aller chez Axeon et finalement, il est passé de J2 à INEOS Grenadiers. Et là, il passe la saison à faire l’équipier sur des courses de seconde zone. Est-ce ça lui plait ? Si c’est le cas, tant mieux. Je lui souhaite vraiment. Mais n’aurait-il pas été cool de faire le Giro Next Gen une fois ? C’est vraiment comme le vrai Giro, tu as tous les ingrédients. C’est une course mythique, moi je m’y suis régalé.

Font-ils une erreur ?
C’est juste qu’ils n’auront jamais connu le plaisir de jouer la gagne sur les plus belles courses Espoirs. Au Giro, je me suis fait des souvenirs à vie, peu importe ce qu’il se passera plus tard (lire ici). Markel Beloki est allé directement chez EF alors qu’il n’a pas écrasé la concurrence chez les Juniors. Encore une fois, qu’il n’y ait pas de malentendu, je ne juge personne. Et puis, d’autres ont explosé directement comme Remco bien sûr ou Joshua Tarling. Mais Joshua, il avait déjà le gabarit pour. Très grand, puissant… Je ne peux pas comparer avec moi. Les mecs se débrouillent bien d’entrée, c’est cool pour eux. En tout cas, moi je suis super heureux d’avoir fait le Giro et le Val d’Aoste et j’ai extrêmement hâte de découvrir le Tour de l’Avenir. Ça signifie beaucoup pour moi et ce serait formidable de gagner là-bas.

Tu évoquais à l’instant le physique de Joshua Tarling. À l’inverse, tu as le profil d’un petit grimpeur de poche. N’est-ce pas un handicap pour espérer, un jour, remporter un Grand Tour ?
Depuis les Juniors, je vois des tonnes de messages de ce type. Des gens qui disent que je fais 52 kg et qu’il est absolument impossible de gagner le Tour en faisant 52 kg. Déjà, certains médias devraient se mettre à jour car je fais un peu plus de 52 kg (rire). Surtout, il ne faut pas se focaliser que sur le poids. Il faut combiner le poids et la taille. Remco (Evenepoel) n’est pas le mec le plus grand ou le plus costaud du peloton. Mais il a l’équilibre parfait pour le plat, le chrono, la montagne… C’est la même chose pour moi. Aujourd’hui, je suis à 54-55 kg à mon poids de forme, je travaille ma position aéro. Est-ce que c’est mieux d’être très grand et très fin comme Romain Bardet ? Je ne suis pas sûr qu’il soit plus aérodynamique que moi, au contraire. Franchement, je ne m’inquiète pas pour ça. Mon gabarit n’est pas un handicap.

« PLUS HUMAIN, PLUS FAMILIAL »

Tu as fait le choix de la fidélité avec la Lotto-Dstny alors qu’on imagine aisément que pratiquement toutes les plus grandes équipes au Monde te font les yeux doux…
Pas tant que ça car il a très vite été annoncé que je m’étais engagé avec l’équipe jusqu’en 2027 et tout le monde respecte ça. C’est le choix parfait pour moi. Je suis entouré de gars très importants pour moi, comme mon ami Milan Donie. Je connais bien le staff et j’ai besoin de cet environnement-là, j’ai besoin de la confiance des mecs autour de moi. Dans les moments durs, il faut toujours une épaule sur laquelle s’appuyer. Est-ce que j’aurais eu ça dans certaines autres équipes où il y a dix leaders ? Je n’en suis pas certain. Surtout, on en revient à ce que je disais dès le début : je suis là pour gagner des courses…

Et chez Lotto-Dstny, tu aspires à devenir le “Big Boss” !
C’est mon moteur, ma motivation au quotidien. Je veux être le meilleur. Si j’étais parti chez Visma, j’aurais pu prétendre à ce rôle-là d’ici quelques années peut-être mais est-ce que j’aurais été heureux cette année chez eux ? Lotto-Dstny est une très grande équipe, avec un énorme historique, mais ça reste tout de même une structure “plus modeste” que d’autres, sans les mêmes moyens de fou qu’UAE ou INEOS mais un côté peut-être plus humain, plus familial. On prend soin de moi (lire ici). C’est l’équilibre parfait. Ici, on fait le boulot sérieusement mais sans se prendre au sérieux. On rigole à table. Je ne sais pas si c’est le cas partout. J’ai tout ce dont j’ai besoin ici.


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