Luca Martin : « C’était un sacré choc émotionnel »

Crédit photo Kike Abeillera

Crédit photo Kike Abeillera

Luca Martin connaît bien le podium du Championnat du Monde. En Juniors, il avait terminé 2e puis 3e de la course, mais lors de ses trois premières années Espoirs, le Mondial s’apparentait plus à une succession de rendez-vous manqués, sa meilleure place étant 20e, en 2023 à Glasgow. Le week-end dernier, en Andorre, le pilote du Team Orbea Factory a inversé la tendance et est allé décrocher le maillot arc-en-ciel qu’il convoitait depuis plusieurs saisons. Une belle façon de clôturer ses années Espoirs. Quelques jours plus tard, c’est avec le sourire et pas encore redescendu de son nuage qu’il s’est entretenu avec DirectVelo, l’occasion pour lui de revenir sur ce qui est sûrement la plus belle victoire de sa carrière.

DirectVelo : Qu’est-ce que tu ressens, quelques jours après avoir remporté ton premier titre de Champion du Monde ?
Luca Martin : C'est vraiment quelque chose de différent comparé à tout ce que je connaissais, c’est vraiment spécial. Ça fait six ans que je cours après ce titre. Je suis passé près en Junior, et je revenais à chaque fois frustré. Et en Espoirs, une année, j’ai eu des problèmes mécaniques, une fois, je m’étais cassé une côte et l’année dernière j’étais juste collé. Alors je me suis dit que je ne pouvais pas me louper cette année, je prépare cette course depuis le mois d'octobre de l’année dernière. J’ai amélioré beaucoup de choses, j’ai fait une grosse prépa mentale pour réussir à aborder plus positivement ces échéances très importantes.

Plus tôt dans la saison, tu disais que la préparation mentale était un aspect que tu travaillais beaucoup (voir article). C’était justement pour arriver dans les meilleures conditions possibles sur ce Championnat ?
Oui, clairement. Avant, on me disait que j’étais l’homme des Jour-J parce que j’ai été plusieurs fois Champion de France (trois fois, NDLR). Mais un Championnat du Monde, c’est tellement différent. C’est le jour le plus important de l’année, tout le monde arrive à 100 %, tu es avec la fédération, ça n’a rien à voir. J’ai bien marché sur certaines échéances, j’ai fait plusieurs podiums, mais je n’étais jamais le numéro un. Et quand tu as l’habitude de gagner, de ressentir cette adrénaline qui est indescriptible, c’est difficile mentalement. À un moment, je me suis demandé si j’étais encore capable d’être Champion du Monde.

« J’AI PASSÉ TELLEMENT D’HEURES SUR LE VÉLO »

Alors cette année, tu as tout mis en place pour être le meilleur…
Toute ma saison était articulée sur ce jour-là. Je voulais aussi gagner en Coupe du Monde mais je ne l’ai pas fait… Finalement, le Championnat du Monde, c’était le bon jour pour gagner ma première course internationale (rires). Plus sérieusement, j’ai passé tellement d’heures sur le vélo pour préparer cette course. J’ai été deux mois et demi loin de chez moi, en altitude. Je n’avais rien d’autre à faire que du vélo, je mangeais à 19h et à 21h j’étais couché. C’est bête, mais ça me permettait de faire 30 minutes à 1h de vélo en plus chaque jour. J’ai fait le job à fond, je crois que c’est la première fois que j’étais autant au millimètre, autant professionnel. J’ai perdu trois kilos et mon vélo était réglé au millimètre comme je connais bien la course. Pour l’anecdote, en Andorre, c’est là où j'ai fait mon premier podium en Coupe du Monde. J’avais déjà fait 2e et 3e, comme sur le Championnat du Monde. Cette 1ère place, c’était la seule qui me manquait.

Dans quel état d’esprit étais-tu dans les derniers moments avant la course ?
La veille au soir, c’était fou. À 21h, on était tous en train de manger, et d’un coup tous nos téléphones ont vibré en même temps. On a reçu un message pour nous dire que tous les horaires de départ étaient décalés à cause des orages. L’ambiance était lourde, parce que juste avant le repas, on avait fait le briefing, tout le monde était à fond, et d’un coup tout s’est écroulé, limite on ne savait pas si on allait courir. Mais finalement, je ne sais pas pourquoi, j’ai switché mentalement, je me suis dit « demain, c’est pour moi ».

« J’AVAIS L’IMPRESSION DE PRENDRE LE DÉPART D’UNE COURSE RÉGIONALE »

Ce changement de programme ne t’a pas trop affecté ?
Normalement, je ne suis pas du tout du matin, je suis toujours le dernier au petit-déjeuner (rires). Et là, mon réveil était à 5h du matin, pourtant quand je me suis levé, je me sentais hyper bien. D’habitude, je suis sensible le jour de la course, j’ai toujours mal quelque part, mais là pas du tout, je me foutais de tout. Si j’avais eu un problème avec mon vélo, ça n’aurait pas été grave, j’étais capable de faire la course avec une draisienne (rires). Je n’avais pas dormi de la nuit tellement j’étais excité, mais ça ne me dérangeait pas, je me disais que c’était seulement une heure de course, que je n’avais pas besoin de dormir. Et pour aller sur le circuit, il faisait nuit, c’était spécial, on n’en a pas l’habitude. Et bizarrement, je n’étais pas du tout stressé, j’avais l’impression de prendre le départ d’une course régionale. J'étais détendu et je me disais qu’on allait bien s’amuser.

Et finalement, tu as gagné… À quoi tu pensais au moment de franchir la ligne ?
Bizarrement, pas grand-chose. Ça faisait tellement longtemps que j’attendais, je m’étais fait tous les scénarios dans ma tête… J’avais des fourmis de partout dans le corps, j’étais en même temps excité et sonné par la situation. Je tremblais, j’ai eu du mal à me calmer. Cette année, j’ai été frustré par plusieurs courses, là c’était une grosse retombée de pression. C’était un sacré choc émotionnel. Je n’avais jamais connu quelque chose d’aussi fort émotionnellement.

« JE NE SUIS PAS ENCORE PRÊT POUR PORTER LE MAILLOT »

Après quelques jours, tu arrives à réaliser ce que tu as fait ?
Pas vraiment, j’avais l’impression d’avoir gagné une course régionale (rires). Quand on me dit « alors, ça va, le Champion du monde ? » , j’ai du mal à y croire parce que depuis que je fais du vélo, certaines fois, c’est un mot utilisé de manière péjorative. Mais là, c’est juste magique. Je viens de rentrer à la maison et c’est dur, j’ai défait la valise et je me suis rendu compte que tout ce qui s’était passé en Andorre était fini. Il y a eu beaucoup de sollicitations. J’ai été félicité par Christian Estrosi, le maire de Nice, j’ai reçu des appels de managers d’équipes pro sur route. Il faut que la pression retombe parce que ça peut aller vite, tomber bêtement à l’entraînement… Là, j'ai fait du home-trainer parce que j'étais tellement déphasé que je ne me sentais pas d'aller sur la route. Je suis tellement à l'ouest que je pourrais me mettre en danger avec les voitures.

Tu as hâte de porter le maillot arc-en-ciel ?
Je l’ai déjà reçu, mais je ne me sens pas encore prêt à le mettre. Mais j’ai quand même hâte de le mettre pour rouler sur mes chemins d’entraînement, autour de Nice. C’est symbolique, mais j’ai envie d’aller là où je roulais avec le club avec lequel j’ai débuté, à dix minutes de chez moi. Pouvoir me dire que c’est là que tout a commencé, me rappeler tout le chemin parcouru et profiter du moment. J’ai surtout envie de profiter de ce maillot. Par exemple, en fin d’année, je voulais participer à la course de gravel sur le Roc d’Azur, mais bon, comme j’ai le maillot de Champion du Monde, je vais sûrement faire l’épreuve en VTT (rires).

« UNE GROSSE FIERTÉ »

Tu penses que ce maillot va aussi changer des choses pour toi ?
Oui, sûrement. D’autant plus qu’actuellement, je n’ai pas encore de contrat pour l’année prochaine. Pour être honnête, pendant ma préparation du Mondial, j’ai appris que le Team Orbéa Factory ne repartirait peut-être pas l’année prochaine, alors que je devais re-signer avec eux normalement. Deux semaines avant le Championnat du Monde, j’apprends que l’année prochaine, je n’ai plus d’équipe, je suis au chômage. Il a fallu trouver la motivation pour continuer à se faire mal pour préparer l’échéance. Je me suis dit que le Championnat du Monde serait l’occasion de montrer que je mérite un nouveau contrat, j’ai pris le départ avec encore plus de hargne. Maintenant, je me dis que la médiatisation du titre va me servir. Et j’essaie de voir le positif, c’est l’occasion de changer de structure et de lancer un nouveau cycle. Mais ça reste une situation compliquée pour le team, certaines personnes risquent de perdre leur emploi…

La saison n’est pas encore finie pour toi, il reste deux manches de Coupe du Monde. Comment tu les abordes ?
Je n’ai pas envie de me relâcher, il me reste deux semaines d’entraînement et deux semaines de courses. Je vais couper quelques jours puis je vais me remettre en tension. Pour l’instant, la victoire m’a toujours échappé sur la Coupe du Monde et le classement général me tient vraiment à cœur (il est actuellement 3e, NDLR). Terminer sur le podium, ça veut dire que tu as été performant toute l’année, quel que soit le circuit ou les conditions. C’est important pour moi parce que ça signifie que je suis complet et que l’entraînement a été bon toute l’année, que j’ai réussi à être à 100% sur le Championnat du Monde, mais aussi présent sur toutes les manches de Coupe du Monde. C’est une grosse fierté.

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