La Grande Interview : Douglas Dewey
Comme Adam Yates avant lui, Douglas Dewey doit se forger son propre destin. Il n'a jamais profité de l'académie qui rassemble les meilleurs Espoirs britanniques ni jamais porté le maillot de son équipe nationale, sans doute parce qu'il a débuté la compétition "une année trop tard". Le natif de Cambridge s'est alors tracé un chemin sur le continent. D'abord en Belgique (Terra Footwear-Bicycle Line) puis en France (licence au Hennebont Cyclisme en 2013, au Team U Nantes Atlantique en 2014). Il a cherché des mécènes pour garantir son expédition. Appris en accéléré la vie à l'étranger, la langue, les us et coutumes du peloton. "Je ne me plains jamais", confie-t-il à DirectVelo.com. La pluie, les doutes, la souffrance, Douglas Dewey en parle dans le détail mais sans pathos, souvent avec ce rire qui accompagne ses récits, à travers son blog très fourni (lire ici), les interviews et chroniques qu'il accorde aux médias anglais. L'écriture est son jardin secret. "J'essaie de ne pas seulement parler des courses", dit-il. Mais, actualité oblige, il doit quand même raconter par le menu ses deux succès de 2014, sur les Plages Vendéennes en février et la Flèche de Locminé dimanche dernier.
DirectVélo : Tes deux victoires en ce début de saison on été acquises dans un style de « poursuiteur ». Est-ce ta spécialité ?
Douglas Dewey : A l'origine, je me débrouille bien en contre-la-montre. J'ai été Champion de Grande-Bretagne Espoirs en 2012 et quatrième chez les Elites en 2013. Sur une course en ligne, j'aime bien placer une attaque, « la » bonne attaque, et tout donner à 100% jusqu'à la l'arrivée. Pour ma première victoire cette saison, sur les Plages Vendéennes, je suis sorti avec Lilian Calmejane (Vendée U) à dix kilomètres de la fin et je l'ai attaqué au niveau de la flamme rouge. Je sprinte plutôt bien mais je ne voulais prendre aucun risque, d'autant plus que le peloton se rapprochait. Sur la Flèche de Locminé, je suis parti avant un virage, à cinq kilomètres de l'arrivée.
D'où te vient ce goût du contre-la-montre ?
C'est une discipline populaire en Grande-Bretagne. Les courses en ligne sont difficiles à organiser à cause des frais de sécurité. On a le choix entre deux calendriers et deux organisations : British Cycling, l'équivalent de la FFC, et Cycling Time Trial, qui propose des contre-la-montres. J'ai commencé le vélo par une saison complète de chronos. A l'époque, je me levais parfois à 4h30 parce que le premier départ est donné à 6h... C'est assez mauvais pour la santé ! [rires] Mais si tu veux courir, tu as guère le choix. En plus, les contre-la-montres avaient lieu le samedi matin. Autant dire que tu ne peux rien faire avec tes amis le vendredi soir. Pour un étudiant, c'est assez lourd à la longue. Alors, au bout d'un an, je me suis concentré sur les courses en ligne.
« J'AVANCE AVEC MES JAMBES ET MON CERVEAU »
Pourquoi as-tu commencé le cyclisme à dix-huit ans ?
Le cyclisme est devenu un sport attractif en Grande-Bretagne, avec Froome, Wiggins et Cavendish. Mais ce n'est pas ce qui m'a décidé. J'avais testé plusieurs sports auparavant : tennis, cricket, football... Mais j'étais moyen partout. Mon frère m'a initié au VTT et ça m'a plu. C'est ainsi que je me suis mis à la route et à la compétition. A dix-huit ans, je reconnais que c'est assez tard.
Est-ce un problème d'avoir commencé « tard » ?
Si j'avais commencé un an plus tôt, j'aurais peut-être pu entrer dans le système de formation de British Cycling, l'Academy réservée aux coureurs Espoirs. Quand je suis devenu Champion de Grande-Bretagne Espoirs du contre-la-montre devant plusieurs gars de l'Academy, j'ai discuté avec l'entraîneur national. Mais j'avais déjà 22 ans. Je n'ai jamais fait aucune course en sélection de Grande-Bretagne. Depuis le départ, je me suis débrouillé en-dehors du système. Et maintenant, je dois faire la guerre avec les jeunes si je veux passer pro !
Comment surmonter l'obstacle de l'âge ?
La plupart des équipes professionnelles préfèrent recruter un coureur de vingt-et-un an plutôt qu'un mec de vingt-cinq ans. Elles se disent qu'elles vont pouvoir le faire progresser sur une période plus longue. Mais moi aussi j'ai encore une bonne marge de progression ! Et comme j'ai un peu plus de vécu qu'à vingt-et-un ans, j'avance autant avec mes jambes que mon cerveau.
« EN BELGIQUE, C'EST LA GUERRE DES LE KILOMETRE ZERO »
Adam Yates est un peu plus jeune que toi mais il a démontré qu'un Britannique pouvait passer pro sans le « système » habituel de British Cycling. Après deux saisons et demie en France, il a en effet rejoint Orica-GreenEDGE cet hiver...
Je ne le connais pas personnellement, mais son exemple est encourageant. Pour ma part, j'ai rapidement compris qu'il me faudrait quitter l'Angleterre pour réussir.
Tu es donc parti en Belgique ?
Mon club anglais avait un partenariat avec la Belgique, donc j'ai couru la fin de saison 2011 avec Terra Footwear-Bicycle Line. Je vivais près de Courtrai, au cœur du cyclisme belge mais aussi un peu au milieu de nulle part. Nous n'avions pas d'autres distraction que le vélo. C'était efficace ! J'ai prolongé avec l'équipe pour une saison complète, grâce au soutien du Dave Rayner Fund [un organisme caritatif qui finance les jeunes coureurs britanniques expatriés. David Millar, Dan Martin ou Adam Yates ont entre autres bénéficié de ce programme, NDLR.]
Tu sembles t'être bien adapté au cyclisme flamand : début 2012, tu t'es imposé sur Gent-Staden...
Encore une fois, j'ai gagné en réalisant un contre-la-montre, dans les vingt-cinq derniers kilomètres ! Le cyclisme flamand, c'est quelque chose ! [il rit] Comme le terrain est plat, il faut saisir la moindre opportunité pour faire la différence. Les gars sont très nerveux et attaquent sans arrêt ! Dès le kilomètre zéro, c'est la guerre. Mais au moins, tu apprends à courir !
« CELUI QUI DONNE LE PLUS DE LUI-MEME »
Tu dis avoir un « cerveau » en plus des « jambes ». Tu penses avoir un mental de battant ?
En fait, je ne me plains jamais. Que l'on soit sur une course par étapes, sous la pluie, dans le froid... Rien ne me dérange. Je veux toujours finir la course et tout donner à 100%. Ce n'est pas le plus fort qui gagne mais celui qui donne le plus de lui-même. Ça a l'air simple dit comme ça, mais c'est un des casse-têtes du coureur cycliste. Et je m'en sors plutôt bien.
Tu as forcément tes moments de découragement ?
Oui, j'en ai eu et j'en aurai encore. Mais même les pros doivent avoir l'impression d'être de la merde certains jours ! Souvent, tu doutes quand tu manques de résultats. Heureusement, mon entraîneur [Jon Sharples, de TrainingSharp, NDLR] regarde mes fichiers SRM et il me rassure sur mon état de forme. Tiens, des moments de découragement, on a pu en avoir quelques-uns l'an passé, quand on vivait dans la caravane.
La caravane ?
C'était ma première saison en France, au Hennebont Cyclisme. J'étais avec un autre Anglais, Sam Allen. Entre deux déménagements, on s'est retrouvé dans une caravane dans le jardin de Tony Mills [le Britannique, professionnel entre 1962 et 1968, réside aujourd'hui en Bretagne, NDLR]. Quand il pleuvait, la vie en caravane n'était pas super marrante tous les jours. Là aussi, on était très concentré sur le vélo ! Rouler, dormir, manger...
« LA MEILLEURE INSULTE DANS LE VELO ! »
Tu t'es déjà fait quelques copains dans le peloton français.
Oui. Dans l'échappée de Locminé, j'ai retrouvé Luc Tellier (VC Pays de Loudéac) avec qui j'étais déjà dans la bonne sur Nantes-Segré, le week-end avant. On ne se quittait plus en course !
Il paraît aussi que tu t'es fait traiter de « cochon d'Anglais » par un concurrent sur le Grand Prix du Pays d'Aix ?
[Il éclate de rire.] Plus exactement, c'était « English pig » ! En anglais dans le texte... Bon, rien de grave, tout le monde peut s'énerver dans le peloton. Mais c'est la meilleure insulte que j'ai jamais entendue dans le vélo !
Le style de vie en France, tu y as pris goût ?
Que ce soit en cyclisme ou dans la vie de tous les jours, je trouve les gens plus détendus qu'en Angleterre. Je ne sais pas quel sera mon avenir dans le vélo, mais je me vois rester en France plus tard. Ici, il y a les meilleurs vins et les meilleures femmes !
Crédit Photo : Team U Nantes Atlantique