Articles les plus lus en 2014 : Interview Sandy Casar
Jusqu'au 31 décembre 2014, DirectVelo vous propose de relire les articles et les interviews consacrés aux amateurs ou aux néo-professionnels les plus lus cette année.
Cinquième volet, avec la Grande Interview de Sandy Casar, redevenu cyclo-crossman chez les amateurs. L'interview est parue en décembre 2014.
Leçon d'humilité. Triple vainqueur d'étape dans le Tour de France, Sandy Casar écume les cyclo-cross régionaux cet hiver, simplement, "pour le plaisir". Le voilà redevenu amateur. Du nom de celui qui "aime" se dépasser à travers l'effort physique ("Je suis dans le sport depuis que je suis né !"). De par son statut également, puisqu'il a pris sa licence au VC Pacéen, en Normandie, et qu'il vient de terminer 4e du Championnat régional, à 2'35'' de Julien Roussel (VC Rouen 76) mais devant Anthony Delaplace, toujours en activité pour Bretagne-Séché. "J'ai eu mes hauts et mes bas […] Bien sûr, au début, tu ressens un grand vide", dit-il à propos de sa retraite sportive, décidée l'hiver passé, à 34 ans. Après 14 saisons de présence indéfectible auprès de Marc Madiot, Casar se consacre à sa famille et à ses projets de reconversion. Il garde néanmoins quelques activités dans le vélo, pour ASO et la FDJ.fr. Et surtout, il conserve de la passion et du "plaisir" pour un sport dont il regrette les stratégies modernes, stéréotypées : "On voit des coureurs qui n'ont aucun sens tactique et qui s'imposent quand même !", confie-t-il à DirectVelo.com. Classé 2e de Paris-Nice en 2002, 6e du Tour d'Italie quatre ans plus tard, Casar ne s'encombre pas de regrets. Ces prochaines années, il s'est promis de disputer une saison pleine de cyclo-cross, en amateur.
DirectVelo.com : Pour un ex-professionnel, tu possèdes une voiture de dimension modeste. C'est ce détail qui a surpris les concurrents du Championnats de France Masters de cyclo-cross, quand tu t'es garé près de l'aire de départ...
Sandy Casar : Ce n'est pas parce qu'on a gagné de l'argent qu'il faut en faire n'importe quoi. Mes parents n'étaient pas riches du tout, ils m'ont appris à faire attention... D'ailleurs, c'est sans doute cette éducation qui m'aide aujourd'hui à m'en sortir dans ma reconversion.
Les mêmes témoins disent que tu étais plutôt discret sur la grille de départ.
Ce n'est pas parce qu'on est un coureur professionnel, ou un ex-professionnel, qu'on est au-dessus des autres. Ce qui nous différencie, c'est simplement d'avoir, à un moment donné, des qualités physiques ou une réussite supérieures à la moyenne. Le cyclo-cross est une discipline intéressante parce qu'elle nous remet à niveau : un pro sur route souffre face aux meilleurs crossmen amateurs.
Est-ce ton cas ? As-tu galéré pour ton retour à la compétition ?
Oui. Depuis septembre j'ai disputé une quinzaine d'épreuves. La première fois, au bout de 500 mètres, je me demandais ce que je faisais là et comment j'allais m'en sortir. Il m'a fallu deux tours et demi pour me remettre de l'effort produit au départ ! Je n'avais pas roulé depuis six mois... Le vélo est ingrat. Si tu arrêtes, il faut reprendre quasiment à zéro. En face de moi, il y avait des amateurs qui venaient de mettre un terme à leur saison sur route et qui étaient, du coup, très performants. J'ai eu besoin de presque trois mois, avec trois entraînements hebdomadaires, pour retrouver mon meilleur niveau... ou plutôt un niveau « acceptable ».
« SUR ROUTE, JE SATURE »
Finalement, tu te classes 4e du Championnat régional de Normandie (lire ici). Pas mal pour un « retraité » ?
A Flamanville, c'était un beau parcours, qui sollicitait de la force et de la technique. J'avais couru un an plus tôt sur ce circuit, avec le maillot de la FDJ. D'entrée, je me trouvais dans les dix premiers. Puis, j'ai pris la roue de celui qui termine 3e [Damien Fleury, de l'AC Bayeux] et j'ai perdu du temps sur une petite erreur technique. Mais je me suis fait plaisir !
Pourquoi as-tu replongé dans la compétition ?
J'ai toujours voulu disputer une saison complète de cyclo-cross. Chez les amateurs, j'ai été vice-Champion régional, mais ce n'était pas ma discipline de prédilection, je compensais mes lacunes techniques par la puissance. Et chez les pros, il fallait privilégier la route. Seul Francis [Mourey] parvient vraiment à concilier les deux. Arnold [Jeannesson] a essayé, mais ça n'a pas été facile. Pour ma part, je roulais en cyclo-cross pour tester mon état de forme, trouver une motivation pendant la période hivernale. Mais cette discipline a de bons côté en-soi : elle est plus conviviale que la route. Malheureusement, je ne ferai certainement pas une saison entière cet hiver : il me reste un à deux cyclo-cross maximum [à Tillières-sur-Avre le 20 décembre et à Camors le 28, NDLR]. Je ne suis pas qualifié pour le Championnat de France Elite et, de toute façon, je ne m'estime pas prêt.
Le plaisir que tu éprouves dans les sous-bois, tu pourrais peut-être le goûter aussi sur des courses sur route, avec une licence amateur ?
Non, parce qu'il faudrait que je m'entraîne trois fois plus qu'en cyclo-cross, que je me déplace trois fois plus loin pour courir. Et, de façon générale, je sature avec la route.
Fatigue physique ?
En effet, j'ai couru les deux dernières années de ma carrière avec des douleurs récurrentes au dos. Par-dessus tout, j'ai eu une mononucléose qui m'a affaibli. Je n'arrivais pas à récupérer. En 2013, pour ma dernière saison, j'ai eu l'impression d'être spectateur et non pas acteur des compétitions sur lesquelles j'étais engagé. Depuis, je me sens mieux. J'ai connu une petite chute qui a réveillé les maux de dos cet hiver, mais la douleur est passée.
« TU NE TE RELACHES VRAIMENT QUE LORSQUE TU ARRETES »
Donc, tu as principalement pris ta retraite sur route à cause d'un sentiment de lassitude ?
Oui. J'en ai eu assez d'être si souvent absent de chez moi. Partir en vue d'une course d'un jour, c'était facile. Mais il fallait que je me déplace pour des épreuves d'une semaine ou plus, compte-tenu de mes caractéristiques. Autrefois, je souhaitais avoir un enfant une fois ma carrière finie. Les choses se sont passées différemment, mon fils a aujourd'hui deux ans. J'ai perdu mon père très tôt. Alors je veux profiter du temps passé avec mon fils. Ma vie, ce n'est pas que le sport...
Certains athlètes dépriment lorsqu'ils se retirent. Pour toi, c'est le contraire ?
J'ai eu mes hauts et mes bas, mais j'étais préparé à cette situation. Quand tu es cycliste professionnel, tu es certes environné de confort et (un peu trop) assisté, mais tu vis 365 jours par an sous une énorme pression, sans t'en apercevoir. Dès que tu te réveilles, tu penses au cyclisme. Tu ne te relâches vraiment que le jour où tu arrêtes. Bien sûr, au début, tu ressens un grand vide. Soudain, plus personne ne s'occupe de te réserver un billet d'avion ou de t'organiser un rendez-vous. Arrêter ma carrière, c'était mon choix. J'imagine que la situation est plus douloureuse lorsque c'est l'équipe qui prend l'initiative de ne pas renouveler le contrat. Dans mon cas, la rupture n'est pas totale : j'ai la chance de conserver un pied dans le cyclisme, en travaillant à la vacation pour ASO ou la FDJ.
Une manière de rester en contact avec la « famille du cyclisme » ?
Le vélo est une partie de nous. Quand nous arrêtons, quand nous devenons spectateurs, nous continuons de vibrer. Sur le Tour, quand je voyais Thibaut Pinot à la télé, j'avais envie de l'aider dans le peloton.
Lorsque tu te lèves aujourd'hui, quelle est la première chose que tu fais ?
Je mange et je m'occupe de ma famille. L'ordre de priorité est inversé. Avant, c'était le vélo d'abord, et je casais ma famille dans le temps qui me restait... Maintenant, c'est la famille puis le travail (j'envisage d'ouvrir une station de lavage auto) et enfin le sport.
« JE NE REGARDAIS PAS CE QUE FAISAIENT LES AUTRES »
Tu ne pourrais pas te passer de pratiquer le sport ?
Impossible d'arrêter totalement. Je suis dans le sport depuis que je suis né ! Au commencement, j'accompagnais mon père sur les courses de vélo. A six ans, je me suis mis à la course à pied. Le vélo est venu ensuite. Le sport c'est un équilibre. Ce n'est plus une priorité mais ça reste une nécessité quand même. Si j'ai changé le volume des entraînements, je n'ai rien modifié de mon état d'esprit : le sport a toujours été un loisir pour moi.
Même lorsque tu étais coureur pro ?
Mais oui ! La dernière année, à cause de mes galères, je ne me suis pas fait plaisir. Toutes les autres, oui. Y-compris lorsque le cyclisme traversait ses « problèmes »...
A propos de dopage, plusieurs coureurs et managers te présentent comme un coureur qui a été « volé » par d'autres, qui ont acquis leurs résultats en trichant. En tires-tu une certaine amertume ?
J'ai toujours évité de me poser la question en ces termes. Autrefois, on ne savait pas exactement ce qui se passait, on devait s'en tenir à des suspicions. Or, moi, je ne juge pas sans savoir. Je regardais ce que je faisais à mon niveau, pas ce que faisaient les autres. J'ai toujours donné le meilleur de moi-même. Ce n'est pas l'accumulation des cas de dopage qui m'a poussé à arrêter le vélo. Au contraire, la tournure plus saine que prend ce sport aurait dû m'inciter à continuer !
Avec le recul, tu ne ressens pas de colère ni même de déception ?
Peut-être que j'aurais pu avoir davantage de résultats si ces problèmes-là n'avaient pas existé. Quelquefois c'est un regret. D'autres fois, je me dis qu'on ne saura jamais exactement ce qu'aurait pu être ma carrière dans un autre contexte. On ne peut pas revenir en arrière.
« LE CYCLISME ACTUEL EST ELOIGNE DE MES CONCEPTIONS »
Marc Madiot a dit de toi fin 2013 : « C’est un dinosaure, un coureur d’instinct qui ne trouvait pas trop sa place dans le cyclisme nouveau, celui des oreillettes et des courses stéréotypées » (site de la FDJ.fr). Dans ces conditions, comment pouvais-tu prendre du plaisir ?
Le cyclisme actuel n'est pas mauvais en soi, mais il est éloigné de mes conceptions. Il faut l'admettre, j'ai pris moins de plaisir sur la fin de ma carrière. Les premières années étaient plus « familiales ». Aujourd'hui, je crains que les jeunes coureurs n'aient plus la même chance : le cyclisme est devenu un boulot et une équipe WorldTour une entreprise. On est passé de 20 à 30 coureurs par effectif, si bien qu'on ne se connaît plus trop entre nous. Je ne suis pas non plus fan des capteurs de puissance. Pourquoi rendre des comptes à un entraîneur ou à un directeur sportif sur cette base-là, alors que le principal, au fond, c'est de donner le meilleur de soi-même ? Quant aux tactiques de courses elles sont devenues plus stéréotypées, c'est vrai.
A cause des oreillettes ?
Les oreillettes ne sont qu'un outil. Le vrai souci, c'est l'évolution des enjeux. On fait la course autour d'un seul coureur, celui qui est en théorie le plus à même de s'imposer. C'est comme au poker : on sait avec quelles cartes on a le plus de chances de gagner. Mais ça ne marche pas toujours ! D'ailleurs, souvent, il vaut mieux assurer une deuxième place que prendre des risques pour gagner. Il vaut mieux se retenir d'attaquer alors qu'on a un boulevard devant soi, et rester aux côtés du coureur protégé.
Les instincts sont bridés ?
Oui. Ce n'est pas le coureur qui prend telle décision, mais le directeur sportif. Cela pose un vrai souci. On voit des coureurs qui n'ont aucun sens tactique et qui s'imposent quand même !
L'apprentissage du cyclisme commence dans les années amateurs ?
Oui, mais d'après ce que j'ai entendu, les jeunes ne peuvent plus progresser aux contact des anciens. On les pousse hors du vélo parce qu'on pense régler la question du dopage, mais d'un autre côté, on prive les jeunes de points de repère dans l'apprentissage tactique. Les vieux sont utiles dans un peloton, parce qu'ils sont « marlous ».
« J'IGNORAIS QUE J'ETAIS GRIMPEUR »
Toi-même, tu as fait partie d'une grande équipe de l'époque, Jean Floc'h-Mantes. Est-ce dans ce groupe que tu as fait tes classes ?
En partie, oui. Auparavant, mon père m'avait appris beaucoup de choses. Jean-Floc'h, c'était une grand club, l'un des trois plus forts de l'époque, avec le Vendée U et le CC Etupes. Il a fusionné avec Mantes-la-Ville, où j'étais licencié. Comme je n'étais que Junior 2e année, j'ai fait la plupart des épreuves de mon côté. Je trouvais énorme d'être dans cette équipe. D'ailleurs, à l'époque, je ne pensais pas passer pro : Jalabert ou Museeuw dominaient les classement, je regardais les courses à la télé et je me disais que ces hommes-là étaient hors de portée. Tout s'est précipité après mon titre de Champion de France du contre-la-montre Espoirs [en 1999, Sandy Casar devance Nicolas Fritsch et Sylvain Chavanel, NDLR].
Le chrono... Tu démontres qu'on peut briller dans l'exercice chez les amateurs et devenir un bon grimpeur chez les professionnels !
J'étais sans doute déjà grimpeur à l'époque mais je l'ignorais. Chez moi, entre la région parisienne et la Normandie, les bosses les plus longues font 3 ou 4 km. Les rares fois où j'ai affronté la montagne en compétition, c'était sur la Classique des Alpes et sur le Tour du Béarn.
Te reverra-t-on sur les épreuves de cyclo-cross l'an prochain ?
Peut-être. Tout dépend de mon emploi du temps, de ma famille, de ma reconversion... Mon prochain objectif sportif serait plutôt un marathon, mais je pourrais bien refaire une saison complète de cyclo-cross. Le week-end, je croise des concurrents de 70-75 ans, alors...
Tu te vois courir à cet âge ?
Si je peux encore faire de bons résultats, pourquoi pas ? Mais il me reste encore quelques années d'ici-là !
Crédit photo : Aurélien Regnoult - www.directvelo.com