La Grande Interview : Thibault Ferasse
De fêtard à jobeur. Futur coureur dans l'équipe de l'Armée de Terre, Thibault Ferasse était connu pour prendre le sport « en dilettante » jusqu'à cette année. C'est lui-même qui le reconnaît : « Je ne me prenais pas la tête, je profitais bien de mon hiver et des périodes qui suivaient mes objectifs ». Or, en 2015, il a presque tout changé de fond en comble. Ce qui lui permet d'obtenir un rôle protégé au sein du Team U Nantes Atlantique, une confiance décuplée ou encore le « plaisir de gagner » (il remporte trois victoires : Tour de Rhuys, étapes au Tour des Deux-Sèvres et au Tour Nivernais Morvan). Comme en récompense, Ferasse passe pro. Ce qu'il avait déjà, par contre, avant de pratiquer son sport avec plus de sérieux, ce qu'il a ancré en lui pour longtemps, c'est son goût aigu pour le travail. « Depuis que j'ai seize ans, je bosse en intérim », raconte-t-il. L'ex-fêtard s'est toujours donné à bloc sur son vélo (« C'est mon dieu », admirait Antoine Leplingard en juillet : lire ici). Son travail accompli, il sait souffler, prendre du recul et traiter le cyclisme comme un « plaisir » profond.
DirectVelo : Avec le vélo, c'est du sérieux ?
Thibault Ferasse : Depuis 2015, oui. Auparavant, j'étais un peu trop jeune dans ma tête, je prenais sans doute ce sport trop en dilettante. Et puis mes directeurs sportifs m'ont fait comprendre que j'avais le potentiel pour faire de belles choses, que ma carrière risquait d'être un gâchis. Je les ai écoutés.
Qu'as-tu changé dans ton approche ?
Pas la mentalité : j'ai toujours été un guerrier sur le vélo. J'ai progressé sur la vie à-côté : la nutrition, le sommeil, l'entraînement. Je sors moins à droite et à gauche, pour aller voir les copains, les copines. Je « fais le job », comme on dit.
« JE ME SUIS TOUJOURS FAIT MAL SUR UN VELO »
Il y a encore un an, tu étais précédé d'une réputation de fêtard...
Pourquoi m'en cacher ? Tout le monde le pensait. Et c'était vrai. Au stage de l'Equipe de France, au mois de février, Pierre-Yves Chatelon m'a dit : « Si tu étais moins fêtard, tu pourrais faire des trucs ». Il ne me connaissait pas mais il savait ma réputation ! Si on regarde mon mode de vie en 2014, je ne me prenais pas la tête, je profitais bien de mon hiver et des périodes qui suivaient mes objectifs. Et malgré ça, j'arrive à gagner la première étape du Tour de Mareuil et Verteillac, sur le Challenge National (lire ici). Je prenais le départ des courses en me disant : « On verra bien ce qu'il adviendra »...
Et cette désinvolture marchait !
Parce que je gagnais ? Oui, mais il fallait changer. Plus de sérieux qu'en 2014, c'était la clef pour progresser. Pour autant, j'ai besoin d'un « compromis ». Je n'ai pas abandonné l'envie de me faire plaisir. Je ne suis pas comme certains coureurs qui gèrent tout au millimètre et ne jurent que par les watts. Le matin, je me dis que je pars à l'entraînement avec les copains. C'est ça, mon vélo !
Donc, changement d'attitude en 2015 ?
Je suis devenu plus professionnel. Mais il ne faut pas croire que je ne bossais pas auparavant. Je me suis toujours fait mal sur le vélo.
Il paraît que tu t'es mis aux sorties de 6 heures ?
Pas tous les week-ends, mais parfois il faut en passer par là. J'ai été inspiré par d'autres coureurs. Ceux de l'Equipe de France, bien sûr, ou des gars de ma région : Jimmy Engoulvent, Yohann Gène, Angelo Tulik (Team Europcar). J'ai rencontré des gens qui croient en moi, notamment Pascal Deramé et Sébastien Cottier, mes directeurs sportifs au Team U Nantes Atlantique. Il faut les remercier de m'avoir ouvert les yeux ! Je fais aussi partie d'une académie d'entraîneurs : ils sont plusieurs à me suivre et à échanger entre eux. Mon référent, c'est Fabien Aoustin, qui s'occupe aussi de Bryan Coquard et Jérôme Pineau. La mayonnaise prend bien. Je me sens tiré vers le haut.
« MIEUX VALAIT FAIRE CYCLISTE QUE BOULANGER »
Comment exerces-tu le « compromis » au quotidien, entre la recherche de « plaisir » et un investissement plus « professionnel » ?
Je coupe. Depuis l'âge de seize ans, j'ai toujours travaillé pendant les vacances scolaires. Mes études [un bac pro en métallerie, NDLR] m'ont aidé à trouver du boulot en intérim. Il y a dix jours, je bossais encore. Ça me permet de changer d'air, de côtoyer des personnes qui n'y connaissent rien [au cyclisme]. Une fois que tu as terminé le travail, tu te dis que le vélo est « facile »... Ce sont mes parents qui m'ont appris ça.
Que font-ils ?
Mon père est boulanger, il se lève quand il fait encore nuit. Ma mère est boulangère. Parfois, ils rapportent des pains au chocolat à la maison. Voilà pourquoi je suis obligé de m'entretenir en permanence, même en hiver ! [rires] Plus sérieusement, je trouve ce métier très beau mais je n'aurais pas pu l'exercer. Il me faut absolument mes heures de sommeil.
Combien ?
Neuf à dix, sieste incluse. Dans l'équipe, je me fais chambrer avec ça. Je suis souvent le dernier à table, le matin. Je préfère encore rater le p'tit déj' et passer directement au repas d'avant-course, du moment que je gagne vingt minutes de sommeil. Dans ces conditions, mieux valait que je fasse cycliste que boulanger.
Qui t'a initié à ce sport ?
Plutôt mes oncles. Et ma nourrice ! Je passais du temps chez elle quand j'étais petit, compte-tenu que mes parents étaient très occupés. Son fils, Pascal Le Lay, est un fou de cyclo-cross, titré Champion de Bretagne [Junior en 1999, Espoir en 2002]... J'allais sur les circuits tout petit, par exemple à Pont-Château pour les Championnats du Monde ou les manches de Coupe du Mode. L'atmosphère était grandiose. A treize ans, j'ai commencé à rouler, en cyclo-cross bien sûr. Le mari de ma nourrice était agriculteur, alors j'allais beaucoup à la ferme. La gadoue me plaisait bien [rires]. Ça m'a aidé pour le cross : plus il y avait de gadoue, plus j'étais content !
« TOUT ETAIT AFFAIRE DE MOMENT ET DE VOLONTE »
Pour ta saison de décollage, qu'as-tu appris du cyclisme ?
La dimension professionnelle. Le plaisir de gagner. A l'exception du début d'année, où j'ai été contrarié par des problèmes de santé – dentaires notamment –, je pouvais me présenter au départ des courses avec de réelles chances de gagner. Ce n'était plus « On verra bien ». Mais plutôt : « Je veux gagner ! ».
Les chances sont d'autant plus ouvertes que tu ne te contentes pas d'utiliser ta pointe de vitesse ?
Je me suis donné l'obligation d'attaquer. Dans le peloton, je ne me sens pas bien. Non pas que j'aie peur de frotter, mais je n'attends jamais le sprint. Idéalement, j'aime le panache.
Chez les pros, ce sera un peu différent ?
C'est vrai, les échappées sont moins récompensées que chez les amateurs. Mais je m'adapterai. J'ai beaucoup appris en 2015 et, de même, je m'apprête à ouvrir bien grands les yeux et les oreilles en 2016.
Et de toi, qu'as-tu appris ?
[Il hésite.] Rien de nouveau. Je me doutais que je pouvais progresser : tout était affaire de moment, de volonté. Mine de rien, j'ai de l'orgueil. J'ai toujours voulu être le meilleur.
Mais c'est rarement possible : les victoires sont plus rares que les défaites ?
Oui, mais j'ai un état d'esprit de gagneur. Je n'ai pas peur de gagner. Depuis ma première saison chez les Espoirs, en 2013, j'ai appris à lever les bras. D'abord en deuxième catégorie, puis en première, ensuite sur le Challenge National en 2014. J'essaie de lever les appréhensions. En début de saison, on se demande si on est capable de concrétiser. Le plus dur, c'est de remporter la première course. Et on se débloque. Alors, j'essaie de me débloquer d'entrée. C'est d'autant plus facile quand tu as « jobé » ! Franchement, je préfère mon approche du cyclisme en 2015. Comme je suis devenu plus sérieux, j'ai pris davantage confiance.
« J'AI L'HABITUDE DE BOSSER »
Tu as donc obtenu quelques responsabilités dans ton équipe ?
Les saisons d'avant, j'ai beaucoup appris de Lorrenzo Manzin [néo-professionnel à la FDJ], de Fabien Schmidt, ou de Mathieu Cloarec, Vincent Colas... J'ai roulé pour ces gars. C'est ainsi que j'ai pris de la caisse et que je me suis fait le moteur. Quand ils sont partis à l'intersaison, j'ai pris un rôle plus de « leader ». J'ai bien aimé. Mais je suis prêt à occuper n'importe quelle place dans un effectif.
Soldat de rang dans l'équipe de l'Armée de Terre ?
Je suis très content de rejoindre cette équipe, parce qu'elle dégage quelque chose... [Il cherche.] J'aime son côté soudé, sa solidarité. De l'extérieur, on a l'impression que c'est un groupe très familial. J'ai hâte d'en faire partie. Par ailleurs, il s'agit d'un choix de carrière car, au-delà de l'équipe, on rejoint l'Armée de Terre.
Ce qui comporte des avantages et des inconvénients ?
Il faudra que je fasse mes classes pendant plusieurs semaines, au lieu de profiter de la trêve hivernale. Mais comme j'ai l'habitude de bosser, ce n'est pas ça qui va me déranger...
A quel moment as-tu pensé que tu pouvais passer professionnel ?
Assez tard. Sur la Polynormande, début août, je termine 13e, au sprint, tout en ayant été offensif toute la course (revoir le classement). Je ne pensais pas au sprint, car ça me semblait trop aléatoire. Alors, j'ai attaqué... J'étais étonné qu'il me reste des forces à la fin. Là, j'ai compris que passer pro n'était plus seulement un rêve mais une possibilité réelle.
« RESTER AUTONOME »
Tu parlais des coureurs qui « gèrent tout au millimètre ». As-tu l'impression qu'ils sont majoritaires dans le peloton ?
Pas forcément. Etonnamment, en Equipe de France, j'ai vu pas mal de mecs qui partageaient ce goût du vélo plaisir, qui aimaient la rigolade, qui passent du temps entre copains...
Sans « obsession des watts », donc ?
Attention, je n'ai rien contre les watts ! Je travaille avec un capteur de puissance cette saison, c'est un super outil pour progresser et bien se connaître. Mais je ne veux ni m'entraîner ni courir en restant le regard accroché sur le compteur. Si je veux aller à gauche ou à droite, j'y vais. Si je veux accélérer dans une bosse, c'est moi qui décide. J'aime bien rester autonome.
Tu roules autour de Nantes ?
J'habite dans un endroit idéal : à dix minutes de Nantes, à dix minutes de la campagne. Désormais, je répartis mon programme : les routes de campagne pendant la saison, la ville pour faire la fête... en hiver seulement !
Crédit photo : www.directvelo.com