Mathias Le Turnier : « Je deviens légitime »
Révélé par la Ronde de l'Isard, dont il termine 2e du classement final, dimanche, Mathias Le Turnier (Océane-Top 16), 21 ans, prend toute sa place parmi les meilleurs Espoirs français dans la montagne. Avant de disputer le Tour de Gironde, entre vendredi et dimanche, il revient pour DirectVelo sur sa prestation inattendue au plus haut niveau, dans les cols des Pyrénées.
DirectVelo : Aurais-tu pu renverser la Ronde de l'Isard pour t'emparer du maillot jaune ?
Mathias Le Turnier : Deux occasions se sont présentées. L'une sur la 3e étape, dite de « transition » parce qu'il n'y avait pas de col, mais en réalité très difficile, une succession de bosses sous la chaleur. J'ai attaqué un peu avant la flamme rouge et Bjorn Lambrecht (le leader au classement général) n'est pas venu avec moi. J'ai creusé l'écart dans une petite cuvette, juste avant la remontée qui menait à l'arrivée. Puis j'ai un peu coincé, à cause de la violence de l'effort. Mais on n'était pas loin de combler les huit secondes qu'il me manquait au classement général. Derrière, le Team Wiggins s'est mis à rouler. Alors qu'ils n'avaient pas d'intérêt au classement général et que nous arrivions pour une place d'honneur, compte tenu qu'il y avait une échappée devant nous. J'aurais pu me rapprocher ou prendre le maillot ce jour-là. Dommage !
L'autre moment où tu as cru en tes chances de victoire, c'est dimanche, dans le dernier col, sous une averse de grêle ?
Bjorn Lambrecht a perdu le contact et j'ai basculé au sommet de la Core avec une vingtaine de secondes d'avance. Si j'avais gardé cet avantage au bas de la descente, il lui aurait été difficile de revenir. Mais, il a justement fait une descente très forte. Je pensais m'en sortir assez bien, mais il est revenu plus fort et plus vite que moi, en prenant tous les risques. Je n'ai pas réussi à le surprendre. Donc, je ne peux pas avoir de regret. Cette 2e place constitue une satisfaction : je remplis un objectif, le travail paie. Et je peux montrer de quoi je suis capable.
« UNE BELLE AVENTURE DE SE BATTRE POUR UN MAILLOT JAUNE »
Courir pour la victoire sur une épreuve de référence, c'est stressant ou stimulant ?
J'ai surtout eu peur sur la 3e étape, peur que la Lotto-Soudal U23 joue avec ses trois coureurs bien placés au classement général, que je me retrouve isolé. C'était vraiment possible : les favoris ont commencé à s'attaquer au bout de 20 km et les coureurs de l'Equipe de France ont remis ça dans le final. Les pièges étaient nombreux.
Tu étais davantage serein dans la montagne ?
Le premier jour, j'ai vu que j'étais dans le coup. Nous étions six à nous disputer la victoire au sommet de Goulier-Neige. Je commençais à m'imaginer finir dans le top 5, voire mieux. Le lendemain, j'ai couru comme un outsider, en me faisant un peu oublier dans le peloton. Quand je suis remonté à la 2e place, il a fallu prendre mes responsabilités. C'est une belle aventure que de se battre pour un maillot jaune.
Et les 8°C au sommet du Portet d'Aspet sous la pluie ? Et l'averse de grêle dans la Core ? Tu es l'un des rares grimpeurs qui n'a pas bu la tasse...
Au début, ça allait. Mais dans la dernière descente, je n'ai pas eu le temps de fermer ma veste ni d'enfiler mes gants... Les dix derniers kilomètres avant de rejoindre la vallée ont été compliqués... Mais je supporte assez bien le froid. On avait eu de la grêle et de la neige à l'Essor Basque, du vent et de la pluie au Grand Prix Gilbert Bousquet, mais je m'en étais bien sorti [Mathias Le Turnier est néanmoins tombé malade de la grippe après cette dernière épreuve, alité cinq jours et perdant l'équivalent d'un mois de sa forme, pendant tout le mois d'avril, NDLR].
« IL FAUDRAIT DAVANTAGE DE CONFRONTATIONS EN MONTAGNE »
Pourquoi te révèles-tu au plus haut niveau maintenant ? Que t-a-t-il manqué jusqu'ici ?
Certainement du temps : mes études [en BTS comptabilité] me prenaient 35 h par semaine, sans horaire aménagés, et je ne pouvais jamais m'entraîner plus de deux heures dans la semaine. Ma progression a sans doute été freinée. Cette année, je ne fais que du vélo et je peux voir la différence.
Tu étais dans l'ombre ?
Oui, on peut dire ça. Chez les Juniors, j'étais toujours remplaçant en Equipe de France pour les manches de la Coupe des Nations ou les Championnats du Monde, jamais titulaire. J'ai quand même été sélectionné en Equipe de France l'an passé pour le Tour des Pays de Savoie [et pour le Tour du Doubs également, mais il s'est cassé la clavicule avant de prendre le départ, NDLR – lire ici]. Certains pensaient que d'autres coureurs avaient davantage ma place que moi. Heureusement, je termine deux fois 6e d'une étape en Savoie. A présent, je sors de l'ombre. Ma Ronde de l'Isard me rend « légitime ».
On te retrouve en effet au même niveau que des grimpeurs qui sont cotés depuis un an ou deux chez les Espoirs, les David Gaudu, Léo Vincent, Aurélien Paret-Peintre et Rémy Rochas. Quelles relations entretiens-tu avec eux ?
Nous sommes en bons termes. On se connaît bien et on se respecte. David Gaudu m'a dit qu'il ne m'attendait pas à ce niveau à Goulier-Neige ou à Ax 3 Domaines. Le problème, c'est qu'on ne se confronte pas assez. Il manque des épreuves de montagne internationales en France. On a la Ronde de l'Isard, le Tour des Pays de Savoie, et le Tour du Val d'Aoste qui se déroule à moitié en Italie. Beaucoup de courses se ressemblent : elles sont faites pour des coureurs passe-partout. Manque de bol, les équipes pros veulent des spécialistes dans tel ou tel registre. Pourquoi ne pas faire plus de courses de montagne ou de contre-la-montre ?
A propos, comment est ton chrono ?
Je me débrouille. Chez les Juniors, j'ai eu mes premiers résultats dans ce domaine, pas dans la montagne [4e du contre-la-montre à Trélon en 2012 et 5e à Arguenon-Vallée Verte en 2013, NDLR]. L'an passé, je termine 5e du Championnat de France Espoirs du contre-la-montre. J'aurais bien voulu faire une autre performance sur la Boucle de l'Artois, en avril, mais j'ai eu la grippe. Bon, mon gabarit n'est pas complètement taillé pour l'exercice. Mais j'aime le chrono et je le travaille régulièrement à l'entraînement.