La Grande Interview : Guillaume Gerbaud

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Médecin et cycliste. Cycliste et médecin. “La tête et les jambes… Fort en thème et en sport”. Plus de dix ans maintenant que l’on renvoie systématiquement Guillaume Gerbaud à sa double réussite sportive et scolaire. Scolaire pour ne pas dire professionnelle car depuis septembre et la présentation de sa thèse de doctorat en médecine, l’interne est devenu assistant spécialiste en médecine du sport au CHU de Limoges. Médecin donc mais encore et toujours cycliste également, coureur au sein de l’UV Limoges-Team U 87, en DN3. Retour sur un parcours singulier pour certains, d’extra-terrestre pour d’autres. Tout simplement lui-même, pour l’intéressé. Tentative de décryptage.

DirectVelo : Le vélo partage sans doute avec la médecine des histoires de lignées familiales. Te reconnais-tu là-dedans ?
Guillaume Gerbaud : Au niveau du vélo, un petit peu. Mon père a couru et la famille de son côté est assez passionnée de cyclisme, mes oncles notamment. Côté médecine, pas du tout. La vocation est née quand j’étais lycéen, je pense, quand au gré de diverses circonstances personnelles j’ai été sensibilisé à la souffrance. La vocation est venue de la volonté de la soulager. Cela dit, ma sœur est elle aussi médecin à présent. Donc c’est peut-être le signe de quelque chose (rires).

« LE VÉLO PARTICIPE À MON ÉQUILIBRE »

Ta récente évolution en terme de statut professionnel va-t-elle également provoquer des changements pour le cycliste que tu es au sein de l’UV Limoges-Team U 87 ?
Certes, mon travail est prenant et en plus, je vais devenir papa en 2018, ce qui va également bousculer mon emploi du temps. Mais le vélo participe vraiment à mon équilibre. Je compte bien accompagner le plus possible les ambitions du club.

Pourrais-tu disputer ta dernière saison en compétition en 2018 ?
Honnêtement je ne pense pas que ce soit ma dernière saison. Et puis par expérience je sais que j’aurais bien du mal à stopper le vélo : quand j’ai commencé médecine, on m’a dit “tu ne pourras pas continuer le cyclisme”. Puis quand j’ai débuté à l’internat, on m’a dit la même chose. Bref, rien n’a été très simple pour concilier les deux mais je crois que j’en ai vraiment besoin et je n’ai jamais réussi à arrêter même quand je l’avais décidé. Donc pour le moment, je continue et ce ne sera absolument pas en dilettante.

Ce besoin dont tu parles, il est avant tout dû au plaisir de la compétition ou à celui de la pratique sportive ?
J’ai toujours fait énormément de sport. Du football avant le cyclisme que j’ai d’ailleurs longtemps pratiqué loin de la compétition. J’ai un petit peu commencé la compétition en Cadet 2 je pense. Et encore… J’ai fini la saison de foot en mai et je me suis aligné sur quelques courses dans le sud, dans la région de Sorgues, alors même que j’étais en vacances là-bas avec mes parents. J’ai d’abord eu le goût du sport. Le virus de la compétition est venue dans un second temps. Aujourd’hui, j’ai les deux.

« UNE BONNE MANIÈRE DE SE RESSOURCER »

Tu sembles avoir progressé de façon régulière dans les rangs Juniors puis Espoirs : jusqu’à espérer devenir coureur cycliste professionnel un jour ?
Jamais. Cela dit, j’aurais aimé participer à quelques courses professionnelles. Pour l’expérience, j’aurais adoré. En fait, la médecine est une discipline extrêmement exigeante tant le niveau d’implication requis est élevé. En terme de temps bien sûr mais également en terme de disponibilité intellectuelle. Dans ces conditions, il est difficile de s’imaginer coureur cycliste professionnel. De toute façon, je n’ai jamais reçu de propositions formelles car je n’ai jamais été équivoque ou ambigu sur la question. J’ai voulu aller aussi loin que possible conjointement dans les deux disciplines. Et je crois ne m’en être pas trop mal sorti dans l’exercice.

Tu as eu des difficultés à être accepté en tant que cycliste par le milieu médical ?
D’une certaine manière, oui. Surtout dans l’idée d’être à la fois médecin et sportif de haut-niveau. On ne pense certainement pas faisable le fait d’être cycliste pro et médecin car le niveau d’exigence pour prétendre devenir un bon médecin est tel que je ne crois pas cela possible.


Idéalement, il aurait même été souhaitable que tu ne fasses pas du tout de vélo ?
Faire d’autres activités en parallèle est sans doute encouragé, même quand c’est fait très sérieusement et que cela prend du temps. Disons que c’est une bonne manière de se ressourcer.

« J’AI ADORÉ ÊTRE CAPITAINE DE ROUTE »


Et dans l’autre sens, comment tes études de médecine étaient-elles perçues au sein du peloton ?
Je n’ai jamais ressenti de rejet du milieu cycliste quant à mes études. Certes, à l’époque, lorsque j’ai débuté, moins de coureurs suivaient des études supérieures mais j’étais globalement accepté comme j’étais.

Et qu’en est-il des possibles préjugés, plus ou moins humoristiques, qui mêlent la médecine, le cyclisme et le dopage ?
Je n’ai jamais été confronté à de telles remarques même si à quelques occasions, j’ai eu vent de propos de ce genre. Notamment quand je marchais bien dans des périodes où les études ne me laissaient que peu de temps pour m’entraîner. Et puis également quand j’ai fait un peu d’encadrement et que certains de mes gars marchaient fort. Mais globalement, cela reste marginal et je n’y ai jamais réellement prêté attention.

Que retiendras-tu en premier lieu de toutes ces années passées sur le vélo ?
J’ai adoré être capitaine de route lorsque j’étais à l’Océane Top 16. Le côté fédérateur de la tâche, le sentiment d’être intégré à un collectif tout en sachant prendre ses responsabilités, c’est quelque chose qui a beaucoup compté pour moi. D’autant plus que Marc Staelen, dont j’étais et je suis toujours très proche, courait dans l’équipe.

« UN EXERCICE TRÈS STIMULANT POUR MOI »

C’est la personne qui a le plus compté pour toi dans le milieu sportif ?
Sportivement ? sans aucun doute. Il est vraiment un ami très proche d’ailleurs. Ensuite comme tous les cyclistes qui évoluent à un certain niveau, l’entourage est primordial. Les proches font énormément pour supporter les absences dues aux entraînements, aux week-ends de course etc. La famille proche doit accepter tout cela et ce n’est pas toujours facile.

Ta spécialité médicale est, entre autres, la médecine du sport. Envisages-tu de l’exercer dans le milieu du cyclisme ?
Je suis déjà médecin de l’équipe de France de cyclo-cross et il est possible qu’à terme je sois sollicité pour d’autres disciplines, notamment la route. C’est un exercice qui allie mes deux passions et qui est très stimulant pour moi.


Quand on parle médecine du sport, on parle aussi de l’accompagnement du sportif de haut-niveau…
Je pense que l’accompagnement du sportif de haut-niveau peut sans doute s’améliorer. Le grand public ne se rend pas compte de la pression physique et psychologique qui s’exerce sur un sportif de haut-niveau : il y a dans bien des situations un accompagnement qui pourrait être optimisé.

« ON SOUS-ESTIME LE CÔTÉ NÉVROTIQUE DU SPORTIF »

Et tu aimerais travailler à cette tentative d’amélioration ?
Complètement ! La médecine du sport s’adresse à toutes les formes de pratiques sportives qui sont toutes intéressantes, dès la pratique loisir. Mais le sportif de haut-niveau est souvent très seul, pas toujours accompagné au niveau psychologique et du point de vue du médecin du sport c’est vraiment passionnant. Et très utile car le sport de haut-niveau rime parfois avec détresse morale et physique.

C’est une “détresse” que tu as déjà pu ressentir à titre personnel ?
Pas nécessairement. Par contre, je ressens le caractère “exceptionnel” de la physiologie du sportif de haut-niveau. Quand je n’ai pas mon quota de vélo, je ne me sens pas bien, je suis nerveux et pas forcément facile à vivre (rires). On sous-estime sans doute le côté névrotique du sportif de haut-niveau.

C’est-à-dire ?
On ne s’en rend pas toujours compte mais par besoin, il y a des athlètes qui vont aller courir sur vingt kilomètres à 6h du matin, ou qui vont relever d’autres défis physiques de ce type, parfois insensés. Tout cela, encore une fois, par besoin.

« IL FAUT ÊTRE HORS-NORMES »

Et que faudrait-il faire ?  
J’ai envie d’accompagner ce type de personnalités qui ne sont pas stricto sensu “normales”. Il y a un côté hors-normes dans le sport de haut-niveau qui est, certes, passionnant, mais qui fragilise les individus.

Cela fonctionne-t-il dans les deux sens selon toi ?
Tout à fait. Il faut être, y compris psychologiquement, hors-norme pour être sportif de haut-niveau. Mais c’est également vrai dans l’autre sens : le sport de haut-niveau transforme la psychologie des individus qui se focalisent sur des objectifs, tout en s’éloignant des standards de la vie quotidienne. Le retour à la réalité peut parfois être compliqué. Avoir connu ce type de problématique sur le vélo me servira, j’espère, à accompagner au mieux ce type de profils à l’avenir. 

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