Etoile de Bessèges : Des jets de bidons qui coûtent cher
Lors de la 49e édition de l’Etoile de Bessèges, qui s’est terminée ce dimanche avec la victoire finale du Varois Christophe Laporte (voir classements), de nombreux coureurs ont été sanctionnés par le jury des commissaires pour le motif suivant : « Jet de bidon dans la nature ». Au total, sur l’ensemble des trois étapes en ligne de l’épreuve gardoise, pas moins de seize coureurs - de onze formations différentes - se sont vus condamnés à une amende de 100 francs-suisses chacun, soit l’équivalent de 88,20 euros. “C’est une nouvelle directive de l’UCI qui a été mise en place à partir de cette saison 2019. C’est un nouvel article disciplinaire et les sanctions sont plus dures que par le passé (lire ici)”, confirme Ludovic Sylvestre auprès de DirectVelo. Membre du jury des commissaires lors de cette Etoile de Bessèges, il fait partie de ceux qui ont sanctionné ces seize coureurs.
Mais alors, quelle est donc cette nouvelle règle ? Celle-ci stipule qu’il est interdit de « jeter des déchets en dehors des zones de déchets », dites « zone verte » ou « zone de collecte ». “On tolère les bidons jetés au pied des spectateurs, sur le bord de la route, mais lorsque l’on voit des jets de bidons ou de déchets en pleine nature, à des endroits où personne ne peut les récupérer, il faut sanctionner”, ajoute Ludovic Sylvestre, qui tient également à préciser que les commissaires ont sensibilisé les directeurs sportifs de chaque équipe, ces derniers jours. “A l’occasion des premières épreuves européennes de la saison, notamment le Grand Prix d’ouverture La Marseillaise et l’Etoile de Bessèges, nous avons bien rappelé les règles, et nous les avons appliquées. Les objectifs sont à la fois de respecter l’environnement mais aussi de donner une bonne image de notre sport”.
Qu’en pense-t-on du côté des équipes ? Pour Yvon Ledanois, à la tête de la direction sportive de la formation Arkéa-Samsic la semaine passée, la règle semble limpide et logique. Surtout, il ne néglige pas le rôle des directeurs sportifs dans l’application de cette nouvelle règle. “Avant d’espérer que chaque coureur respecte les règles, je pense que c’est aux directeurs sportifs de les faire respecter. Peut-être que les autres directeurs sportifs ne connaissaient pas le nouveau règlement ? De notre côté, on a fait passer le message, et c’est peut-être pour cela que nous n’avons pas eu d’amende”, se félicite-t-il. Même son de cloche pour Andy Flickinger et l’équipe Delko-Marseille Provence. “Je comprends la nouvelle règle. Ca fait déjà quelques années qu’ASO met l’accent là-dessus. C’est une règle de vie et des habitudes à prendre. Il faut respecter la nature, c’est important, et les coureurs sont briefés là-dessus. A l’époque où j’étais chez Europcar, on avait eu des soucis à Liège-Bastogne-Liège, donc ce sujet n’est pas nouveau (1)”, tient-il à rappeler.
DES DIRECTEURS SPORTIFS COMPRÉHENSIFS… MALGRÉ QUELQUES INCOMPRÉHENSIONS
Tout ne semble pourtant pas encore si simple, à l’instant T. Prenons l’exemple de la Groupama-FDJ. Comme bien d’autres formations, elle a vu certains de ses coureurs sanctionnés sur les routes de Bessèges. Et Thierry Bricaud, le directeur sportif, admet être dubitatif. “Valentin (Madouas) et Bruno (Armirail) ont été sanctionnés. Pourtant, Bruno m’a dit qu’il avait jeté son bidon au pied d’un spectateur, comme il le fait toujours… Je comprends la règle pour les bidons qui sont jetés en l’air, n’importe où… C’est normal de sanctionner. Mais quand le bidon est ramassé, c’est complètement stupide. On dit aux coureurs de jeter les bidons au pied des spectateurs, et ils le font, ils ne sont pas bêtes. C’est vrai que certains ont de mauvais réflexes, mais je sais que la plupart des gars de chez nous font attention”. Alors, comment expliquer une telle situation ? D’ailleurs, les commissaires de l’UCI sont-ils réellement capables de voir tout ce qu’il se passe au coeur du peloton, dans le détail ? Sont-ils capables de parfaitement apprécier où un coureur lance-t-il un bidon, et ce pendant plusieurs heures de course ? “Ce n’est pas arbitraire. Il y a des choses que l’on tolère, d’autres non. C’est tout. Cela me semble totalement objectif”, promet Ludovic Sylvestre. Une chose est sûre : les commissaires ne comptent rien laisser passer. “Je ne sais pas si nous irons jusqu’à la tolérance zéro, mais en tout cas, nous allons faire preuve de rigueur. Nous voulons faire changer les mentalités, mais nous avons conscience que cela prendra du temps”.
Sensible au sujet, Andy Flickinger tient malgré tout à faire passer un message. “J’espère juste que les commissaires ne vont pas trop faire de zèle. Ce sont quand même de lourdes amendes. Les coureurs ne gagnent pas non plus énormément d’argent, alors il ne faut pas exagérer”. Thierry Bricaud souhaite lui aussi que tout rentre dans l’ordre dans les prochaines semaines. “On en fait peut-être un peu trop, mais c’est normal que l’on ne jette pas du plastique n’importe où. Maintenant, quand des gens balancent leur McDo dans les bois, c’est autrement plus dégueulasse. C’est une question d’éducation. Alors ce n’est pas une excuse, mais faisons attention à ne pas trop sanctionner non plus, car nos coureurs font attention”. Mais au fait, ces amendes sont-elles réglées par les coureurs ou sont-elles prises en charge par les équipes ? “C’est déduit des primes de course des coureurs”, répondent plusieurs directeurs sportifs. “Pour eux, ça fait quand même de grosses sommes, et ils font donc très attention”.
“De grosses sommes” : Samuel Leroux ne dira pas le contraire. Coureur de la formation Natura4Ever-Roubaix Lille Métropole, il confirme à DirectVelo qu’il va devoir lui-même payer une amende de 100 francs suisses, lui qui fait partie des coureurs sanctionnés sur l’Etoile de Bessèges. Le garçon promet pourtant être de bonne foi. “Je n’ai simplement pas fait attention. Je ne suis même pas sûr du moment auquel j’ai été sanctionné, mais je crois que c’est lorsque je suis descendu à la voiture de mon DS, en fin de course, pour récupérer des bidons pour mes coéquipiers”, raconte-t-il après coup. “Dans le feu de l’action, je n’ai pas fait gaffe et j’ai dû jeter un bidon comme ça, c’est vrai… Mais juste après, j’ai volontairement jeté un bidon aux pieds d’un enfant”. Le Nordiste a accusé le coup à la lecture du communiqué des commissaires, le soir-même. “Je comprends la sanction. Mais déjà, à chaud, il faut se dire que l’on ne fait pas forcément attention. En fin de course, quand tu es à bloc, tu n’es pas totalement lucide. Et puis : être sanctionné, d’accord, mais là, c’est de ma poche et ça fait cher. Ils devraient peut-être revoir le prix des amendes à la baisse”.
CHANGER LES MENTALITÉS, ET TROUVER D’AUTRES SOLUTIONS
Interpellé par la teneur de la discussion, et concerné par la question, son coéquipier Pierre Idjouadiene a tenu, lui aussi, à donner son avis sur le sujet. “Je suis le premier à faire attention et à me sentir concerné par l’environnement. Franchement, je ne pense pas être près de me faire sanctionner pour le jet d’un déchet dans la nature ! Mais il faut quand même faire attention à ne pas sanctionner dans tous les sens. Pour l’instant, avec la règle actuelle, on est un peu dans le « pas vu, pas pris ». Le problème, c’est que certains vont prendre des amendes alors qu’ils sont honnêtes et qu’ils n’ont simplement pas fait attention dans un moment très chaud de la course, pendant que d’autres font vraiment les cons”. Le Lorrain, ancien sociétaire du CC Etupes, explique avoir souvent été frustré du comportement d’autres coureurs. “Combien de fois, alors que ça roule tranquille dans le peloton, à mi-course, j’ai vu des mecs balancer leurs bidons en pleine forêt, dans une rivière ou dans un champ ? Parfois, il suffirait qu’ils attendent 200 mètres de plus pour le filer à un enfant dans un village... Les mecs pensent que leur bidon est biodégradable et qu’il va disparaître en trois jours ou quoi ? La réalité, c’est que si tu reviens là quatre ans plus tard, le bidon y sera sans doute toujours. C’est scandaleux”, peste-t-il. “En plus, les mecs sont au milieu du peloton, donc les commissaires ne les voient pas”. Pour autant, Pierre Idjouadiene avoue volontiers qu’il se voit mal aller faire la remarque aux autres coureurs du peloton, en pleine course.
De (trop) nombreux coureurs n’auraient donc toujours pas conscience de l’importance de l’enjeu. Ludovic Sylvestre fait le même constat, et les amendes risquent d’être encore nombreuses dans les jours et les semaines à venir. Et selon lui, c’est bien pour la bonne cause. “Il y a encore énormément de travail à faire. L’UCI a modifié ses articles mais on s’est rendu compte, en discutant avec les directeurs sportifs, que tout le monde n’était pas au courant de ces modifications. C’est donc à nous de faire de la pédagogie avec les directeurs sportifs, puis aux directeurs sportifs eux-mêmes de le faire à leur tour avec les coureurs. Malheureusement, la protection de l’environnement n’est pas quelque chose de culturel dans le monde du vélo”, concède-t-il. “Même sur la plus grande course du Monde, en juillet, nous voyons encore des gestes regrettables. Il faut que ça change, et nous faisons tout pour que ce soit le cas”.
Pierre Idjouadiene a bien quelques idées pour améliorer cette situation. “Il y a quand même beaucoup de coureurs comme moi qui gardent leurs papiers dans les poches, notamment. Mais on peut sûrement faire mieux pour nous faciliter la vie. Par exemple, les zones vertes, c’est très bien, mais il faudrait peut-être qu’il y en ait une ou deux de plus sur une étape. Sur des circuits de vingt ou trente bornes, tu peux mettre une zone verte de 200 mètres et comme ça, à tous les tours, les coureurs sauront quoi faire et prendront la bonne habitude”. Le message est passé.
(1) En 2012, un collectif de onze associations wallonnes de défense de l'environnement avait porté plainte contre une vingtaine de participants à Liège-Bastogne-Liège après les avoir identifiés sur les images de la course en train de jeter leurs bidons et leurs déchets sur la chaussée. Ces actes tombaient sous le coup de la loi belge qui impose à "toute personne qui détient des déchets d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion dans des conditions propres à limiter les effets négatifs sur les eaux, l’air, le sol, la flore, la faune, à éviter les incommodités d’une façon générale, sans porter atteinte ni à l’environnement ni à la santé de l’homme".
Un an plus tard, une dizaine de coureurs entendus par la police ont dû s'acquitter d'une amende de 500 euros.
En France le Code pénal interdit aussi tout dépôt de déchet sur la voie publique en dehors des emplacements désignés à la collecte. L'infraction est même considérée comme plus grave quand le jet se fait depuis un véhicule.