La Grande Interview : Jérémy Maison
Depuis l'hiver dernier, Jérémy Maison n'est plus coureur cycliste professionnel mais kinésithérapeute. Après quatre saisons au plus haut niveau, l'Icaunais s'est lassé du milieu et n'a pas trouvé de proposition suffisamment intéressante pour le pousser à prolonger l'aventure dans les pelotons. Le voilà donc désormais, à 26 ans, dans son cabinet. Et pour ses débuts dans sa nouvelle profession, l'ancien sociétaire de la FDJ puis d'Arkéa-Samsic promet s’être vite fait à son nouveau mode de vie et n’a pas été trop perturbé par l'épidémie de coronavirus. DirectVelo a pris des nouvelles de celui qui en profite pour revenir sur sa carrière de cycliste professionnel.
DirectVelo : Tu as mis un terme à ta carrière cycliste en octobre dernier, sur les semi-Classiques italiennes. Comment vas-tu depuis ?
Jérémy Maison : Ça va bien, j'ai repris une vie normale, où je peux faire des barbecues sans me prendre la tête (sourire). Ça faisait bien longtemps que ce n'était plus le cas, avec toutes ces années de vélo. J'ai loupé pas mal de choses et ça fait du bien de retrouver de petits bonheurs simples. Forcément, j'ai eu le temps de repenser à toutes ces années dans le monde du cyclisme. Parfois, je me dis que j'aurais pu faire mieux, puis je me dis que, finalement, c'était déjà pas mal et que j'aurais aussi pu faire moins bien. Je me demande si j'ai toujours fait les bons choix... Mais ce qui est fait, est fait, et je ne reviendrai pas en arrière.
Comment as-tu vécu les derniers mois, sans vélo, et sans reprise des compétitions en février dernier, par exemple ?
Bizarrement, je n'y ai pas trop pensé. Ça ne m'a pas tellement perturbé car je me suis tout de suite lancé dans mon nouveau métier. Lorsque j’ai su que je n’allais pas continuer l’aventure chez Arkéa-Samsic, j’ai vite senti que c'était plus ou moins foutu pour retrouver une autre équipe. Puis j’ai trouvé un emploi, dès mi-novembre. J'ai pu passer à autre chose rapidement. En fait, j’ai bien vécu la période hivernale. Ça m'a fait du bien de passer l'hiver à la maison, sans avoir à préparer la prochaine saison ni à rouler dans le froid, ce que je détestais (rires). Pendant le confinement, par contre, j'ai repensé à certains moments de ma carrière et ça m'a fait bizarre de me dire que c'était fini. Mais c'est tout...
Que retiendras-tu de ces années sur le vélo, justement ?
Je connaissais mon potentiel physique. J'ai vu ce que j'étais capable de faire, ou de ne pas faire, chez les pros pendant quatre ans. J'étais très bon chez les amateurs car j'avais un équilibre de vie qui m'allait très bien et qui me permettait de performer à ce niveau-là. Mais ma première fracture de la clavicule a été un tournant. Cette période marquait aussi la fin de mes études. Je ne faisais que du vélo et je ne connaissais rien à ce monde-là. J'ai toujours fait le métier à 100%, mais j'étais moins passionné que les autres. J'ai des copains qui ne sont jamais passés pros mais qui sont bien plus passionnés de vélo que moi.
Et quand tu dis que tu n'y "connaissais rien", tu n'exagères que très peu…
Lorsque je suis passé pro, je n'y connaissais toujours rien au vélo, vraiment. Je comprenais à peine le mécanisme des échappées et du peloton qui allait réguler l'allure derrière. À mes débuts, je faisais n'importe quoi, j'attaquais dans tous les sens. J'étais comme un fou dans ce peloton (rires). Je ne suivais pas les résultats ou les autres courses... Par exemple, quand je suis arrivé à la FDJ, je connaissais les têtes d'affiche de l'équipe, mais c'est tout. J'étais incapable de nommer la moitié des mecs du groupe.
Comment as-tu compensé ?
J'étais déterminé. J'ai tout fait pour réussir. Le fait de passer pro m'a prouvé que je n'avais pas fait tout ça, plein de sacrifices, pour rien. Mais au fil du temps, les choses ont changé et j'ai moins trouvé ma place dans le peloton. Être pro est très différent d'être simple coureur amateur. Ce n'est pas du tout le même monde.
« C'ÉTAIT UNE ANNÉE EXCEPTIONNELLE »
Irais-tu jusqu'à dire que tu n'étais pas fait pour ce monde professionnel ?
Oui, sans doute. Tout ça m'est tombé dessus comme ça. Pas par hasard, car c'est venu grâce à mes performances chez les Espoirs, bien sûr. Mais je ne savais pas ce qui m’attendait par la suite, je ne m’étais pas projeté. Dans un premier temps, le cyclisme n'était que synonyme de plaisir pour moi. Je n'oublierai jamais ma saison 2014 au VC Toucy. On avait une vraie bande de potes, et je ne le dis pas pour la formule. C’était une année exceptionnelle. On s’amusait beaucoup. J’avais toujours les études en parallèle et je me plaisais dans ce que je faisais. Mais chez les pros, ce n’était plus pareil.
Pourquoi ?
Ce n’était pas ce que j’attendais. Je me suis donc cassé la clavicule d’entrée, le premier hiver, et ça m’a mis un coup au moral. Pour le reste, encore une fois, c’est comme si je n’étais pas fait pour ça… Je ne me sentais pas toujours à ma place. Dans ma famille, personne n’est vraiment de ce milieu, contrairement à beaucoup d’autres cyclistes. C’est un milieu d’habitués, très stéréotypé. Je n’avais pas la culture qu’il faut, sans doute. Quand je suis arrivé à “la Française” (Groupama-FDJ), j’ai perdu tous mes repères. Je ne faisais plus rien aux sensations, comme avant. C’était devenu mon métier. Je faisais ce qu’on me demandait de faire, c’est tout. Sans toujours tout comprendre, d’ailleurs. Je n’ai jamais eu une grande science de la course. J’ai compris que je ne ferai pas une grande carrière.
Après deux ans à la Groupama-FDJ, tu as tout de même décidé de tenter une seconde aventure avec Arkéa-Samsic !
Warren (Barguil) m’a demandé de le rejoindre dans l’équipe. Je me suis dit qu’il fallait tenter. Je n’ai pas abordé cette nouvelle expérience professionnelle de la même façon que la première. Je me suis dit que j’allais être plus et mieux aiguillé. Surtout, j’allais me retrouver dans un confort d’équipier. L’objectif initial, c’était d’aller sur les courses avec Warren et de faire partie des deux-trois coureurs de l’équipe qui allaient l’accompagner le plus loin possible en montagne. Tout en ayant ma carte à jouer de temps en temps sur des courses de moindre importance. Mais j’ai senti, encore une fois, que j’étais quand même un cran en-dessous physiquement et que je ne pouvais pas jouer avec les meilleurs.
Finalement, l’aventure s’est arrêtée après deux ans, là aussi…
Je voulais partir de l’équipe depuis un petit bout de temps. Je me suis cassé la clavicule en juillet et je n’ai pas pu courir de l’été. Ensuite, dans ma tête, c’était fini. J’ai commencé à chercher une place ailleurs, dans d’autres équipes, car je n’avais pas fait une croix sur le cyclisme professionnel. Plusieurs dirigeants m’ont dit qu’ils me prendraient pour 2020 mais ce n’était que des paroles en l’air et ça ne s’est jamais fait. C’est comme ça, c’est sans doute le milieu… Avec ma copine, on s’est fait balader par quelques équipes. J’ai quand même continué de chercher jusqu’au bout pour ne pas avoir de regrets, puis je suis devenu kiné (rires).
Qu’as-tu appris de ces quatre saisons professionnelles, toi qui étais arrivé à la FDJ sans véritable repères ?
Physiquement, j’ai compris où étaient mes limites. Sur la fin, je ne progressais plus vraiment. Je stagnais. Alors je me dis que je n’aurais sans doute pas plus progressé. Il n’y avait plus rien à faire de ce côté-là (sourire). Par contre, j’ai beaucoup appris d’un point de vue tactique. En même temps, je partais de tellement loin ! J’ai côtoyé plein de coureurs et de directeurs sportifs différents. J’ai essayé de me nourrir de l’expérience et des connaissances de chacun. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’avais quitté “la Française” après deux ans. Je voulais voir autre chose et savoir comment ça se passait dans une autre équipe, par curiosité et pour continuer d’apprendre. J’ai accumulé des repères, j’ai appris à lire la course, même si je ne serais jamais devenu un fin tacticien non plus.
« JE N’AI RESSENTI AUCUN MANQUE »
Ces lacunes tactiques ont-elles pu t’empêcher de faire carrière ?
Je ne sais pas… Il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte. D’autres coureurs sont passés par la fenêtre et ils avaient du talent. Je pense à Loïc Chetout, par exemple, qui s’est retrouvé sur la touche en même temps que moi. C’était un bon coureur et en plus, il a une gueule comme on dit (rires). De mon côté, je savais que j’allais vite me faire à une vie sans vélo. Après m’être cassé la clavicule l’été dernier, j’ai passé trois semaines à la maison, sans vélo. Et ça ne m’a pas manqué du tout. Je n’ai ressenti aucun manque. J’ai compris que s’il fallait que ça s’arrête un peu plus tard, je m’y ferais sans doute plus facilement que d’autres.
Tu n’as donc rien ressenti de particulier au moment de tes dernières courses, sur Milan-Turin ou le Tour du Piémont ?
Si, quand même. J’en ai profité au maximum et j’ai tout donné jusqu’au bout. Je voulais quitter le milieu avec fierté. Sur ces dernières courses italiennes, j’étais ému mais content à la fois. C’était spécial.
Durant ces dernières saisons, tu as plusieurs fois regretté le manque d’honnêteté de certains dans le peloton…
Je crois que dans certains domaines, beaucoup de coureurs pensaient les mêmes choses que moi mais la différence, c’est que quand j’ai quelque chose à dire, je ne peux pas le garder pour moi. Il faut que ça sorte. Ce comportement m’a porté préjudice plusieurs fois. Je n’avais pas envie de changer la personne que j’étais pour m’adapter au milieu. J’ai toujours maintenu le cap que je m’étais fixé.
Bien que ce milieu ne semblait pas fait pour toi, tu as donc tout de même eu l’occasion de te reconnaître à travers d’autres coureurs ?
Bien sûr. Je me suis reconnu en Brice Feillu, notamment. C’est d’ailleurs un très bon ami et actuellement, on échange toutes les semaines ou presque. En plus, on a la même passion pour le bricolage (sourire). En ce moment, je bosse sur le métal, le bois, le placo, le béton… Sans oublier la peinture. Plus rien ne me résiste (rires). Pendant le confinement, j’ai fermé le cabinet et j’en ai profité pour faire des travaux, c’est pour ça… Pour en revenir à Brice, il aime les choses simples, les petits moments en famille, les fous rires. Comme moi…
Ces moments simples, ces fous rires, tu pensais les retrouver chez les pros comme au VC Toucy ?
Je ne pensais pas que ce serait aussi “fermé”. Chez les pros, tu as des protocoles, tout est contrôlé. Tout peut être interprété, dans la presse, sur les réseaux sociaux… Parfois, l’ambiance est particulière. J’ai vu des mecs passer trois heures le nez sur le téléphone dans le bus, sans décrocher un mot. Ce n’est vraiment pas mon truc. Bon, attention… Ce n’était pas l’enfer non plus, loin de là ! Franchement, à “la Française”, il y avait une superbe ambiance quand même, notamment la première année. J’ai aussi passé de très bons moments. Fin 2017, le groupe a changé, il y a eu beaucoup de départs, notamment de coureurs dont j’étais proche. Je pense notamment à mon ami Arnaud Courteille, et qui est un super mec, vraiment gentil. Tout ça m’avait aussi poussé à changer d’air.
« MONTER UNE COURSE, L'ANNÉE PROCHAINE OU D’ICI DEUX ANS »
Tu évoques la gentillesse d’Arnaud Courteille. N’étais-tu pas toi-même “trop gentil” pour ce milieu ?
Peut-être. Je ne sais pas si on peut vraiment être “gentil” dans ce milieu. En tout cas, pas quand on est un leader. Mais après, ça veut dire quoi exactement être gentil ? C’est compliqué… Ce qui est sûr, c’est que le fait d’être gentil n’empêche pas d’être un grand compétiteur, je pense. Si tu es gentil, compétiteur et honnête, c’est déjà plutôt pas mal.
As-tu quelconque regret ?
J’aurais aimé faire le Tour de France. C’est d’ailleurs ce qui m’avait poussé à partir chez Arkéa-Samsic. Je n’avais pas le niveau pour être dans les huit du Tour à la FDJ, je le savais très bien. Chez Arkéa, ils m’avaient promis que je serais dans l’équipe du Tour, j’en ai la trace écrite. Alors j’ai tenté le coup. C’est le seul regret que j’ai car pour le reste, j’ai disputé toutes les courses que je rêvais de faire. J’ai participé à Liège-Bastogne-Liège, au Tour d’Espagne, et surtout au Dauphiné ! C’est LA course que je rêvais de faire depuis petit. Pour moi, c’est la plus belle. Celle-là, et le Tour Down Under, en Australie. Je voulais vraiment découvrir ces courses-là et mes voeux se sont réalisés. Alors je ne peux pas me plaindre.
Au cabinet, t’arrive-t-il de faire référence à ta carrière de coureur cycliste professionnel avec tes patients ?
Oui car il y a un réel lien entre tout ça. Quand tu es suivi par un kiné, que tu essaies de te remettre d’une gêne physique, ça peut s'apparenter à l’entraînement d’un athlète de haut-niveau. Plus encore sur les retours de blessure, que j’ai moi-même connus bien sûr. Il y a un gros aspect psychologique, mais aussi les notions de rigueur et de récupération qui sont très importants pour retrouver toutes ses aptitudes.
Tu pourrais donc travailler plus spécifiquement pour des athlètes à l'avenir...
Pour l’instant, j’ai besoin de couper du monde du vélo. Je ne me voyais pas du tout dans le staff d’une équipe. Pas maintenant. J’aurais trop eu le regard du coureur qui venait juste d’arrêter. Je ne sais pas si j’aurais été légitime dans ce rôle-là. J’ai envie de m’ouvrir à d’autres sports qui me passionnent aussi, comme le football. Pourquoi pas rentrer dans une structure sportive, à terme. Pas forcément à très haut-niveau. Je pense par exemple à la section féminine de l’AJ Auxerre, juste à côté de mon cabinet. Un beau projet est en train de se monter avec les filles. Je commence à avoir quelques athlètes qui viennent au cabinet. On a des échanges très intéressants. Je pourrais être intéressé à l’idée de bosser pour une équipe de football, oui.
Et le vélo, c’est fini ?
Niveau pratique, c’est pratiquement le néant par moments (rires). Je peux faire une sortie de vingt kilomètres avec ma copine, voilà… Blague à part, j’essaie de retrouver la passion du vélo et ça passera sûrement par le monde amateur. J’ai des idées en ce sens. Dans mon département de l’Yonne, le cyclisme de haut-niveau est quasi-inexistant. J’ai envie d’aider, j’ai plusieurs idées en tête mais je dois encore y travailler. Je pense au VC Toucy, notamment. J’ai envie de rendre ce qu’on m’y a donné. Je ne les lâche pas. J’aimerais aussi, pourquoi pas, monter une course, l’année prochaine ou d’ici deux ans. Mais chaque chose en son temps.