1981 : L’Open dans toutes les têtes

Crédit photo DirectVelo

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Il y a quarante ans, le cyclisme était divisé en deux : les pros à l’ouest et les amateurs à l’est. Les meilleurs coureurs de la planète ne pouvaient pas se rencontrer à cause d’un mot sur leur licence et des raisons plus politiques que sportives. Mais la saison 1981 a taillé une brèche dans le rideau de fer qui séparait ces deux cyclismes grâce à l’Open, ces courses ouvertes aux pros et aux amateurs. DirectVelo vous propose en cinq articles un retour sur cette saison qui a lancé le mouvement qui a mené à la licence unique, quinze ans plus tard.

Août 1981 à Prague. Le Championnat du Monde professionnel s'apprête à se dérouler pour la deuxième fois de l'autre côté. "L'autre côté" en 1981, pour le cyclisme pro circonscrit à l'Europe de l'Ouest, ce sont les Pays de l'Est, où le professionnalisme ne pousse pas dans le terreau socialiste de l'URSS et de ses pays "frères". Le Mur de Berlin vient de fêter ses 20 ans. Le rempart de béton, de barbelés et de miradors encercle Berlin-Ouest pour empêcher ceux de l'Est qui n'ont pas compris par eux-mêmes tous les bienfaits que leur apporte la RDA, d'envahir la moitié occidentale de la ville. Le Mur symbolise le mieux le "rideau de fer" annoncé par Winston Churchill en 1946. A cette époque, personne n'imagine que le Mur tombera huit ans plus tard et le dernier album d'Astérix, "Le Grand Fossé", est même une allusion au Mur de Berlin. Pourtant, le premier pays du camp de l'Est qui a reçu le Championnat du Monde, c'était la République Démocratique Allemande en 1960, pile un an avant que ses maçons élèvent le Mur.

C'est donc sur le circuit du Strahov dans la capitale de la Tchécoslovaquie que les pros vont aller se disputer le maillot arc-en-ciel. Le rendez-vous devait avoir lieu deux ans plus tôt. La Tchécoslovaquie a déposé sa candidature en 1974 pour le Mondial 1979 qui sera attribué aux Pays-Bas. La ville tchèque de Brno avait accueilli le Championnat du Monde Amateurs en 1969. Un autre pays de l'Est aurait dû recevoir encore plus tôt la course au maillot irisé. La Hongrie était candidate pour l'organiser en 1951 mais l'UCI lui préfère l'Italie, malgré une promesse donnée au Congrès de 1949. Pourtant la Hongrie est alors le seul pays de l'autre côté du rideau de fer à se rendre à l'assemblée de l'UCI.

« LE SPORT VERS LE RAPPROCHEMENT DES PEUPLES »

Un an après le boycott des JO de Moscou, par les Etats-Unis, le Canada, la RFA mais aussi la Chine Populaire, les Tchécoslovaques veulent donner une image pacifique. "Le sport vers le rapprochement des peuples", clame une grande pancarte au-dessus de la ligne d'arrivée à Prague, en lettres dorées et sur fond rouge, et en français dans le texte. D'ailleurs, la Course de la Paix a emprunté le circuit du Championnat du Monde au mois de mai précédent.

Mais la question qui trotte dans de nombreux esprits en 1981 c'est :"à quand un Championnat du Monde qui réunit les pros et les amateurs ?". Car le mot dans l'air du temps en cette année, c'est l'Open. Les courses ouvertes aux pros et aux amateurs. Germain Simon, le président de la FFC, veut dans un premier temps proposer à l'UCI que le Championnat du Monde du 100 km par équipes devienne Open, "dans l'esprit de la Coupe du Monde de football", précise-t-il. 100 bornes contre-la-montre, les pros en ont fait l'expérience au printemps dans la dernière étape du Tour de l'Oise.

BESOIN D’OUVRIR LES FENÊTRES

Si l'Open devient une demande pressante, c'est que le cyclisme pro a besoin de sang frais. S'il n'y a pas de Championnat d'Europe sur route, c'est que le Championnat du Monde ressemble un peu à un Championnat d'Europe de l'Ouest avec quelques invités. Après le Tour de France 1977 qui n'a attiré que dix groupes sportifs, les organisateurs demandent la permission à l'UCI de déclarer leur course Open si le manque de candidats professionnels se répète.

La domination de Bernard Hinault alliée au protectionnisme des Italiens qui restent de leur côté des Alpes, n'aide pas à l'émergence de nouvelles têtes d'affiche dont le sport professionnel a besoin. La moyenne d'âge des cinq premiers du Tour 1980, décapité par l'abandon d'Hinault, approche les 33 ans. "Je dis que le cyclisme a besoin d'une ouverture car il y a une certaine lassitude qui est en train de s'opérer. La supériorité d'Hinault va lasser un peu le public, déclare en octobre 1981 Maurice De Muer, le directeur sportif des Peugeot, la maison d'en face des Renault-Gitane et qui est aussi un peu lassé de se faire battre par le Blaireau. Je crois qu'il faut donner une évolution. Laquelle ? Ça reste à définir mais cet Open est bon. Plus il y aura de confrontations de ce genre-là, plus le cyclisme sera intéressant". Un an avant lui, Jean-Pierre Danguillaume, son confrère de Miko-Mercier, spectateur intéressé du Tour de l'Avenir 1980, est séduit par le spectacle. "Les courses pros sont plus dures que les courses amateurs mais les Amateurs dérangeraient certaines habitudes, ça ferait du bien pour les journalistes, les directeurs sportifs mais pour les coureurs, je ne sais pas...". Et ça tombe bien car en 1980, deux coureurs amateurs sont sortis du lot.

L'INVITÉ DE DERNIÈRE MINUTE

Sur le circuit de Moscou, taillé sur mesure pour lui, Sergeï Soukhoroutchenkov a écrasé la course pour la médaille d'or olympique, à la manière de Bernard Hinault, un mois plus tard, sur le circuit de Sallanches pour devenir Champion du Monde. Soukho, comme tout le monde l'appelle en Europe de l'Ouest, arrive en grand favori au Tour de l'Avenir au mois de septembre pour réaliser le triplé après ses deux succès en 1978 et 1979.

Mais rien ne se passe comme prévu. Dans l'équipe russe, le capitaine, c'est le directeur technique Viktor Kapitonov - "il était dur et méchant" dira Soukho à L'Equipe en 2013 - et le leader c'est l'équipe, pas un coureur même Champion olympique. Viktor Kapitonov envoie quatre Soviétiques, dont Yuri Barinov, vainqueur de la Course de la Paix, dans une échappée qui relègue Soukho à cinq minutes au général. Mais qui installe aussi dans un fauteuil un invité de dernière minute, moustachu et inconnu au bataillon, Alfonso Florez. Le lendemain, le Colombien se pare de jaune et ne le lâchera plus malgré la démonstration de Soukho dans l'étape de Morzine et celle du Grand Colombier.

LA DÉCOUVERTE DE LA COLOMBIE

Et si un coureur de 28 ans, qui en fait 35 avec sa moustache, dont personne n'a entendu parler, arrive à taper l'armada soviétique, c'est que ces derniers sont prenables. C'est rassurant pour les pros qui sentent bien qu'ils ont beaucoup à perdre avec l'Open en cas de défaite humiliante. Mais surtout, le duel Florez-Soukho a été superbe et l'équipe colombienne est plus facile d'abord que les maillots rouges. Et ça, dans un sport qui repose encore beaucoup sur la presse, c'est très important. Les interviews des coureurs russes sont difficiles. À la barrière de la langue, s'ajoute celle de l'interprète - qui n'est peut-être pas seulement interprète - et toute parole qui déborde est impossible. L'URSS avait de l'avance sur la communication encadrée des équipes du WorldTour.

La découverte de la Colombie, pour le vélo, c'est la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb ! Car une course amateurs écrasée par des athlètes d'État face à de jeunes coureurs de l'Ouest qui n'ont pas encore la caisse ou le niveau des pros, c'est aussi une voie à sens unique. Alors que là, les Colombiens offrent une vraie confrontation, et en plus ils ne risquent pas d'envahir la France avec leurs chars. "C'est une grande révolution, s'exclame Félix Lévitan, directeur du Tour de France, sur TF1 après le duel de l'étape d'Avoriaz. Mais la grande révolution, c'est ce que nous préparons pour les années futures, avec de grandes confrontations Open. Je suis persuadé que les directeurs sportifs présents aujourd'hui ont pris autant de plaisir que j'ai pu en prendre à voir les Colombiens et les Soviétiques décidés à relever le gant". Il annonce ainsi la perspective d'un Tour de l'Avenir Open en 1981, avant, peut-être, le Tour de France.

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