Emilien Jeannière : « Certainement pas le N°1 incontestable »

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

C’est l’une de ces belles histoires dont le monde du sport raffole. Alors qu’il a sérieusement envisagé arrêter le cyclisme l’hiver dernier - il l’avait d’ailleurs annoncé à certains de ses proches -, Émilien Jeannière a finalement décroché un contrat professionnel l’année suivante, au sein du Team TotalEnergies, au terme de sa sixième (!) saison au Vendée U. Une belle leçon de résilience et, à vrai dire, une évidence pour un coureur qui remporte le Challenge BBB-DirectVelo 2022 et avait donc logiquement de vrais arguments à faire valoir pour passer au-dessus. Le futur néo-pro de 24 ans revient pour DirectVelo sur une année qu’il n’est assurément pas près d’oublier.

DirectVelo : Tu termines 2022 avec neuf victoires, 23 podiums, un nombre presque incalculable de Top 10, le titre honorifique de vainqueur du Challenge BBB-DirectVelo et, surtout, un contrat professionnel au Team TotalEnergies. Comment résumerais-tu cette année en quelques mots ?
Emilien Jeannière : C’était au-delà de mes espérances. L’hiver dernier, je suis reparti pour une nouvelle saison au Vendée U alors que j’avais hésité à continuer. J’ai failli arrêter le vélo. Mais je me suis dit qu’il fallait se donner une dernière chance. Je me suis fixé un cap précis dès la préparation hivernale : je voulais cibler la première partie de saison, jusqu’au Championnat de France, et faire un bilan à ce moment-là sur ma saison et mes possibilités pour 2023. Je ne voulais pas me retrouver dans l’inconnu en septembre, encore une fois. Soit je réalisais une grosse première partie de saison et la situation se débloquait pour la suite, soit je partais sur un DEJEPS à Poitiers, à la rentrée de septembre. 2022 allait, quoi qu’il arrive, être un tournant pour moi.

Et finalement, tu as enchaîné les gros résultats d’emblée !
Je m’étais fixé certains gros objectifs bien précis en tête : les manches de Coupe de France N1, les épreuves de Classe 2 et le Championnat de France. Au final, j’ai atteint quasiment tous mes objectifs. Sur le Championnat de France, ce n’est pas moi qui lève les bras mais ce triomphe collectif, et la façon dont on a couru ce jour-là, était équivalent à une victoire personnelle pour moi. On a fait un truc incroyable ce jour-là (victoire de Mattéo Vercher, NDLR). Je n’oublierai pas ce moment-là ni beaucoup d’autres que l’on a vécus, collectivement.

« IL ME MANQUAIT SANS DOUTE ENCORE QUELQUE CHOSE »

Rembobinons un instant la cassette. L’an passé, tu avais gagné trois fois, notamment sur la Flèche de Locminé et une étape de la SportBreizh, avant d’être stagiaire chez TotalEnergies durant l’été. T’étais-tu imaginé passer pro en 2022 ?
En cours d’année, je l’ai espéré. J’avais aussi fait un bon début de saison et le fait d’être stagiaire m’a fait penser que je n’étais pas loin du but. Malheureusement, je me suis cassé la main en juillet et ça m’a beaucoup ralenti pour la fin de saison. Les derniers mois de compétition ont été plus compliqués. J’ai compris qu’ils ne me fassent pas signer dans ces conditions-là. Je n’avais pas fait une saison complète. Il me manquait sans doute encore quelque chose. Malgré tout, j’ai senti pendant mon stage qu’il y avait une possibilité à terme. J’ai vu que je pouvais être au niveau et ça m’a motivé. Et puis, je pense que si je l’avais voulu, j’aurais pu trouver quelque chose en Conti en m’y prenant dès la fin du printemps, après ce que j’avais fait en début d’année. Mais si j’ai passé cinq ans au Vendée U à ce moment-là, c’était pour passer chez TotalEnergies, pas ailleurs.

Après avoir hésité à continuer, tu t’es donc lancé dans une sixième saison au Vendée U, ce qui sort largement des standards de l’équipe !
Dans un premier temps, je voulais vraiment arrêter. D’ailleurs, je l’ai annoncé à des membres de ma famille. Mais après réflexion, j’ai changé d’avis et je me suis lancé. J’ai discuté avec le staff. Ils ont eux-mêmes eu l’impression de ne pas avoir vraiment fait le tour de la question avec moi, comme s’ils avaient raté quelque chose et qu’il était possible de faire mieux. Ils voulaient m’aider à y arriver. On connaît la suite…

Tu ne t’es donc pas lassé…
Outre l’aspect purement sportif, j’ai aussi eu la chance de connaître de nouvelles aventures puisque depuis un an, je switche régulièrement entre Saint-Paul-en-Pareds (Vendée), à 20 minutes du manoir, et la Belgique, près de Bruxelles, où réside ma copine. Cette situation m’a permis de changer d’air, de changer parfois de routes d’entraînement. Ça m'a fait beaucoup de bien et l’air de rien, c’est aussi sans doute l’une des explications de ma grosse saison.

« JE NE RISQUE PAS DE BAISSER LES BRAS »

Tu vas donc passer pro après six saisons chez les Élites, à une époque où des coureurs passent pro en sortant des rangs Juniors. Franchir le rubicon à 24 ans, ça change quoi ?
Je me suis posé la question plein de fois. En Junior 2, j’ai gagné sur une manche de Coupe de France (une étape des Boucles Sud-Avesnois, NDLR), j’ai gagné une étape du Valromey et j’ai terminé 2e du Championnat d’Europe (le fameux doublé avec Nicolas Malle lauréat et un certain Tadej Pogacar 3e, NDLR). C’était en 2016 mais si j’avais été J2 en 2022 et que j’avais réalisé cette saison-là, je serais sûrement passé dans une Conti. Mais peu importe. Ces six années en Amateurs m’ont servi. J’ai connu des galères et tout ça m’a forgé, ça m’a donné de l’expérience.

Tu as démontré des qualités de résilience…
Je pense que ça va m’aider chez les pros. Quand ce sera dur, je ferai tout pour me relever et me convaincre que ce ne sont que de mauvais moments à passer, comme j’en ai déjà connus par le passé. Je ne risque pas de baisser les bras. Je ne l’ai pas fait avant, alors pourquoi le faire chez les pros… Si j’ai déjà pu m’en sortir, je pourrai le refaire.

Comment expliques-tu avoir passé un tel palier en 2022 ?
Certains me demandent, et se demandent, comme j’ai fait pour réaliser une telle saison, aussi régulière, avec tant de bons résultats. Car je marchais bien avant mais pas autant. Je pense que j’ai capitalisé sur tous les moments difficiles du passé, toutes mes expériences. J’ai fait un très bon hiver, j’ai fait évoluer mon programme d’entraînement et j’ai pu m’appuyer là-dessus dès les premières courses. Ensuite, on sait que ça tourne beaucoup à la confiance. Je n’oublie pas non plus l’évolution de la préparation mentale, qui a été importante pour moi.

« JE NE SAIS PAS SI J’AURAIS EU LES RESSOURCES MENTALES… »

Y a-t-il eu un moment précis, durant cette saison, qui t’aurait servi de déclic ?
Le début de saison m’a fait du bien mais si je devais citer une course, je dirais la Flèche du Sud, fin mai. J’ai abordé cette saison sans vouloir me prendre la tête avec une histoire de contrat pro, je voulais juste prendre un maximum de plaisir pour ce qui pouvait potentiellement être mes dernières courses. Mais à partir de la Flèche du Sud, et avec tout ce que j’avais déjà fait précédemment, j’ai commencé à me dire qu’il y avait moyen de passer pro. D’un côté, au bout d’un moment, je me suis dit qu’il serait incompréhensible que je ne passe pas professionnel. Mais d’un autre côté, j’étais quand même inquiet. Il y a toujours le doute… Finalement, j’ai eu un accord verbal début juin, après avoir informé le staff du fait que j’avais d’autres contacts, et j’ai signé juste avant le Championnat de France.

Tu es le vainqueur de notre Challenge BBB-DirectVelo. Te sens-tu dans la peau du meilleur Amateur de la saison ?
Non, non… Honnêtement, mon avantage aura été d’avoir réalisé une saison pleine et d’avoir une bonne pointe de vitesse. Que ce soit pour la victoire, pour la 5e ou la 10e place, je suis allé chercher des points sans arrêt grâce aux sprints. Un grimpeur n’a pas autant d’opportunités de scorer. Le Challenge, je l’ai toujours suivi. Certaines saisons, on a vu des coureurs au-dessus de la mêlée, largement dominer le classement. Je pense à Geoffrey Bouchard ou Jérémy Cabot. Cette année, on n’était pas dans cette configuration-là. Pour moi, il y a une dizaine coureurs qui se tiennent et qui auraient tous pu l’emporter. Je n’étais certainement pas le N°1 incontestable. Des mecs comme Mickaël Guichard, Ewen Costiou ou Mathis Le Berre, entre autres, étaient au moins aussi forts que moi.

Toujours est-il que tu as été le plus régulier !
Je ne me sens pas dans la peau du meilleur mais je me suis quand même battu pour cette place (sourire). Ce Challenge est plaisant. Au début, je n’y pensais pas trop. Mais en fin de saison, je m’y suis intéressé de plus en plus. Je pensais qu’il serait compliqué de rester en tête. J’avais l’impression de piocher un peu et je me disais que j’allais me faire déborder sur les dernières courses. Finalement, j’ai trouvé un second souffle notamment grâce au Challenge (BBB-)DirectVelo. C’est devenu un petit objectif perso et ça m’a motivé à m’appliquer jusqu’au bout. L’air de rien, ça m’a un petit peu fait gagner Paris-Connerré (sourire). Je voulais aller marquer des points pour défendre ma première place. Si je n’avais pas été placé au Challenge, je ne sais pas si j’aurais eu les ressources mentales pour aller encore gagner début octobre, sur ma dernière course de l’année. Ce Challenge, je l’avais déjà joué en 2016 lors de ma saison de J2. J’avais terminé 3e, de mémoire (derrière Tanguy Turgis et Nicolas Malle, NDLR). J’ai pris beaucoup de plaisir à le rejouer cette année.



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