Xavier Jan : « J’entends le mécontentement »

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Le Grand Prix d'Isbergues 2023 a été la seule occasion de voir cette saison l'équipe de France Espoirs au départ d'une Classe 1 française. Il fallait remonter au week-end de la Classic Loire-Atlantique et de Cholet-Pays de la Loire 2022 pour retrouver la précédente participation d'une équipe de France à une manche de Coupe de France. Mais les apparitions du maillot bleu dans les courses pros se font de plus en plus rares, surtout depuis que la Ligue Nationale de Cyclisme (LNC) a rappelé les conditions de participation à son calendrier pro. Cette absence illustre aussi la sensation du monde amateur de ne pas être écouté et reconnu par le monde professionnel. Xavier Jan, président de la LNC, revient pour DirectVelo sur le regard du monde du professionnalisme sur celui des amateurs.

DirectVelo : Verra-t-on encore une équipe de France, composée de coureurs amateurs, lors de certaines Classe 1 françaises ?
Xavier Jan : On a mis deux conditions. La première : il ne peut pas y avoir une équipe de France si l’ensemble des équipes françaises ne sont pas accueillies sur la compétition. Sachant qu’au moment d’avoir décidé de ce critère, on n’avait pas encore réglementé l’accès au statut professionnel. On pouvait donc se retrouver dans une situation où l’on aurait eu un nombre d’équipes professionnelles françaises supérieur aux capacités d’accueil des organisateurs. Si, pour une raison X ou Y, un organisateur n’était pas en mesure d’accueillir toutes les équipes, on ne devait pas avoir une équipe de France à la place d’une formation professionnelle française. Depuis, on a réglementé l’accès au statut professionnel pour définir un nombre limite d’équipes pro, avec le maintien d’obligations réciproques d’accueil ou de participation des équipes françaises au calendrier français, dans le respect de la réglementation UCI pour le WorldTour. Le second facteur, c’est que ce soit une vraie équipe de France et non pas un assemblage de deux-trois structures amateurs qui enfileraient un maillot de l’équipe de France. On veut une vraie sélection, avec des coureurs de tout le territoire, accompagnée par le staff de l’équipe de France. Là, ça ne pose aucun problème.

« IL FAUT S'ASSURER QU'ON AIT DE VRAIES ÉQUIPES DE DN »   

En 2024, il devrait y avoir 21 équipes en N1, contre 28 cette saison. Qu’en pense la Ligue par rapport à la pyramide du cyclisme ?
Cette diminution est également dûe à la disparition de plusieurs équipes historiques, ce qui interroge. Contrairement à ce que j’ai pu lire, la Ligue n’est pas chargée du maintien, ou de trouver des solutions ou des partenaires à ces équipes. On a deux phénomènes : celui mondial de la création des équipes réserves de WorldTeam. Les équipes se rendent compte que c’est plus facile de faire passer des jeunes en WorldTour de cette façon-là. Le phénomène de vases communiquant entre les deux équipes aide aussi pendant la saison quand on a plusieurs blessés. 21 N1 ? Je ne sais pas si c’est suffisant ou trop. Pas assez, sûrement pas. Il faut s’assurer que l’on ait de vraies équipes de DN avec un niveau sportif homogène. Pas des équipes qui tiennent sur deux ou trois coureurs. Si on veut élever le niveau global, il faut de belles confrontations, pas 30 mecs qui font la course et le reste du peloton qui ne peut que suivre. Il y a plein de questions à se poser.

La Ligue peut-elle s’ouvrir au monde amateur et si oui, comment ?
Aujourd’hui, si la question est d’ouvrir le calendrier professionnel à des équipes amateurs, c’est clairement non. Tout simplement parce qu’un comité d’organisation doit répondre aux obligations réglementaires internationales, avec l’accueil d’un certain nombre d’équipes étrangères. Eu égard au plateau fourni déjà par les équipes françaises, on est déjà dans les limites d’accueil. C’est donc inenvisageable de rajouter des clubs amateurs. D’autre part, il y a une obligation de respect d’un cahier des charges du monde professionnel pour les équipes Continentales. Ces obligations entraînent des droits. On ne va pas s’ouvrir à des équipes, aussi bien structurées soient-elles, et malgré toute notre bienveillance, au risque de décourager les équipes de formation. Pour autant, ça n’empêche pas de réfléchir avec la Fédération. On a entamé un travail de réflexion dans ce domaine, sur la formation. Ce sera l’un des gros chantiers à venir.

Que pouvez-vous apporter au monde amateur ?  
Je ne vais pas rentrer dans le détail mais il y a cette interaction existentielle malgré tout. S’il n’y a pas d’équipes pros, il n’y a pas de débouchés. S’il n’y a pas de débouchés, il n’y a pas de possibilité pour les meilleurs amateurs de passer professionnel. Si on a des équipes mais que l’on n’est pas en capacité d’alimenter le secteur pro, ça pose problème aussi. Là, on a une multiplication des équipes réserves. Dans les échanges que l’on a avec la fédération et notamment la DTN, on a évalué une capacité à alimenter le secteur pro de 25 à 30 coureurs par an. À un moment donné, ça peut poser problème par rapport au nombre d’équipes de développement et de Continentales existantes. On doit donc trouver des solutions ensemble.

« ÇA VA DEMANDER UNE GÉNÉRATION AVANT D'EN RÉCOLTER LES RÉSULTATS »

Le monde amateur a l’impression de ne pas être entendu…

J’entends une certaine impatience voire exaspération du monde amateur, qui a le sentiment de ne pas être entendu. Il faut créer des conditions de dialogue. Je veux être moteur sur ce dossier. On a engagé des choses. Même s’il y a eu des petits freins, on avance. Le but du jeu n’est pas de mettre une rustine. Je sais que ça peut être très compliqué à entendre, c’est un vieux serpent de mer qui est là depuis des années et des années… Quand je suis arrivé à la tête de la Ligue il y a trois ans, c’était directement l’un de mes engagements. Il faut essayer d’en sortir quelque chose de cohérent. Si on va dans un sens pour ensuite aller dans un autre, ce n’est pas la peine. Encore une fois, j’entends le mécontentement. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens qui réfléchissent, qui avancent et bougent. Le monde professionnel est aussi contraint de s’adapter à la tendance au niveau international. Je ne suis pas langue de bois : la formation, ça prend du temps. Même si on sort des pistes, des propositions qui deviendront des solutions ou pas, ça va demander une génération entière avant d’en récolter les résultats.

Tu demandes donc du temps ?
Je ne suis que président de la Ligue, je ne suis pas manager d’équipe. Notre devoir, c’est de renouer un dialogue, entre la Fédération et la Ligue. Mais à un moment donné, il faudra que tout le monde soit capable de laisser ses a priori au vestiaire et avancer ensemble. Travaillons en intelligence, mais ce n’est pas le seul dossier, il y en a beaucoup. On n’est pas 50 à bosser dessus, ce n’est pas la Ligue de football. Si dans deux-trois ans, on n’a rien sorti du chapeau, alors oui, on pourra nous dire que ce n’est pas bien. Mais n’oublions pas que les journées ne font que 24h.

Mots-clés