Julien Thollet : « Redonner du sens à la Coupe des Nations »

Crédit photo Sarah Beziane / DirectVelo

Crédit photo Sarah Beziane / DirectVelo

Julien Thollet avait déjà tiré la sonnette d’alarme l’hiver dernier, évoquant le “Far West” du peloton Juniors (lire ici). DirectVelo a profité de sa présence au Tour du Pays de Vaud, manche suisse de la Coupe des Nations, pour faire le point avec de nombreux sélectionneurs nationaux. Tous s’unissent d’une seule voix pour réclamer une réforme profonde du calendrier de la Coupe des Nations, qu’ils trouvent aujourd’hui incohérent. Entre le nombre de manches trop important, des déplacements trop coûteux et un manque d’intérêt sportif avec de nombreux forfaits, plus personne ou presque ne semble s’y retrouver. Alors, que faire ? Présent à la commission route de l'UCI, où il se fait le porte-voix de tous les sélectionneurs U19, Julien Thollet réagit aux demandes des différentes nations et évoque le sujet délicat de la Coupe des Nations. Et du lien entre sélections nationales et équipes de marque. Entretien.

DirectVelo : De très nombreux sélectionneurs nationaux considèrent qu’il y a un problème avec le nombre de manches de Coupe des Nations et leur répartition dans le calendrier…
Julien Thollet : C’est le gros point d’alerte que j’ai soumis à l’UCI. Cette année, on a cinq manches qui se suivent depuis la Course de la Paix et jusqu’au Saarland. Ce sont, en plus, cinq courses par étapes. Il est nécessaire de redéfinir cette compétition car j’ai l’impression que l’UCI attribue simplement le label à tous les organisateurs qui en font la demande. D’un côté, tant mieux car ça crée une dynamique. Mais de l’autre, il faut garder une cohérence et ne pas oublier quel est le but de cette Coupe des Nations. Ce doit être le plus haut niveau et les plus belles confrontations entre les Juniors du monde entier. On doit redonner du sens à la Coupe des Nations.

Or, ce n’est plus le cas actuellement…
Très rarement, puisque chaque nation zappe plusieurs manches. C’est compliqué d’aller partout. On ne pouvait pas être en Italie car c’était pendant le Championnat de France… On a zappé aussi le Saarland. Et encore, on a un vivier et on peut tourner. Mais pour des nations qui n’ont que dix coureurs avec un niveau international, c’est plus compliqué. Il y a aussi un problème dans l’ordre des manches. On était à Prague, puis il fallait descendre en Italie, repartir en Bretagne, revenir en Suisse puis monter en Allemagne. En termes de charges et de déplacements, c’est un calendrier démentiel. Et ajoutons à cela qu’on parle de gamins que l’on sort de leur scolarité… Il y a trop de choses qui ne vont pas. 

« IL Y A CERTAINS PAYS QUE L’ON N’AFFRONTE PRATIQUEMENT JAMAIS »

Alors, que faire ?
Les sélectionneurs le disent tous : il faut réduire le nombre de manches. On retrouvera ainsi de la compétitivité et une confrontation entre les plus forts. Au Trophée Centre Morbihan, on n’a pas boudé notre plaisir de marcher fort mais il ne faut pas oublier qu’il y avait beaucoup d’absents et ça change la donne. On n’a pas fait la Course de la Paix, car il y avait le Championnat de France quelques jours plus tard. Le Saarland, c’est inenvisageable avec la Classique des Alpes en parallèle. Finalement, il y a certains pays que l’on n’affronte pratiquement jamais. Lorsque j’ai échangé avec Gabriel Berthelot (organisateur du Trophée Centre Morbihan, NDLR), il m’a confié sa surprise d’avoir si peu de nations au départ. Plus personne n’arrive à faire le plein alors qu’ils ont un label.

Un autre sujet revient régulièrement sur la table : celui de la présence d’équipes réserve en Coupe des Nations. Faut-il faire marche arrière ?
Gabriel Berthelot me l’a dit clairement, ça leur ouvre des portes et ça leur permet d’attirer certains partenaires. On connaît l’importance du marché économique dans le sport et plus particulièrement en cyclisme. Il faut le prendre en compte. Est-ce qu’on n’est pas en train de changer de modèle ? La question se pose, y compris pour une épreuve comme le Tour de l’Avenir, il faut en avoir conscience. Quoi qu’il en soit, on est actuellement sur un système hybride qui n’apporte pas entière satisfaction. Comme il y avait trop peu de nations au départ, on a demandé à l’UCI d’assouplir l’accès à ces compétitions. Peut-être faudrait-il, en effet, faire machine arrière et redimensionner le calendrier UCI, en travaillant sur une Coupe des Nations exclusivement réservées aux nations. Le débat est posé depuis plusieurs mois, on y travaille. Mais ces équipes réserve existent, elles ont professionnalisé le peloton Juniors, on ne peut pas faire semblant de ne pas le voir. Il faut s’adapter. 

Certains se demandent d’ailleurs ce qu’apportent encore les sélections nationales !
Attention, il ne faut pas opposer les équipes mixtes, les réserves et les sélections. On doit travailler en bonne intelligence. L’équipe de France est utile, c’est une évidence. Il n’y a qu’à voir ce qu’il s’est passé sur les deux dernières manches, au Morbihan et au Pays de Vaud. Axel Bouquet et Camille Charret sont deux jeunes qui ont une progression linéaire mais qui n'étaient pas passés dans les radars de ces équipes réserves. Grâce à l’équipe de France, ils ont eu accès à de très grosses épreuves internationales. C’est encore plus marquant pour de petites nations qui peuvent faire émerger de jeunes talents. Si on sort les sélections du jeu, on va laisser du monde sur le bord de la route, c’est une certitude. Mais c’est déjà un peu le cas, certaines nations ne viennent plus sur des manches car leurs meilleurs éléments sont déjà au départ avec des équipes de marque. 

« LE PROBLÈME, C’EST QU’ON N’A PAS LES MÊMES ARMES »

Se pose également la question de l’équité sportive, car certains coéquipiers habituels se retrouvent adversaires et inversement…
Il y a forcément un problème d’équité. Au Morbihan, Baptiste Grégoire se retrouve à rouler pour Eliott Boulet dans le final sous le maillot de la Groupama-FDJ, avec Paul Seixas et Aubin Sparfel en adversaires. D’un côté, ça fait partie du processus de formation car ce type de situation existe chez les Élites, lorsque Thibaut Pinot, Romain Bardet et Warren Barguil doivent faire cause commune sur un Mondial. Le problème, c’est qu’on n’a pas les mêmes armes. Les équipes de marque sont composées de coureurs qui bossent ensemble toute l’année. On n’a pas ça en sélection. L’exemple le plus marquant, selon moi, c’est le chrono par équipes de l’Eroica. Les GRENKE-Auto Eder gagnent devant les Decathlon AG2R La Mondiale. En face, on a du mal à lutter. Mais c’est révélateur, on ne joue plus dans la même cour. Il faut simplement se dire que les deux systèmes n’ont pas la même vocation. Je reste malgré tout persuadé que l’on a besoin des nations. Si les sélections se désengagent, on risque de laisser un grand vide.

Les sélectionneurs ne sont-ils pas frustrés de se faire, parfois, taper dessus par des équipes mixtes ou des réserves d’équipes pros ?
C’est forcément frustrant mais on relativise cette situation. Ces équipes recrutent dans le Monde entier, ils ont des éléments individuels très forts et travaillent ensemble toute l'année. Mais il y a une pression exercée sur les athlètes qui n’existe pas en sélection nationale. L’avantage, au milieu de tout ça, c’est qu’on ressent plus que jamais une entraide entre toutes les nations. Porter le maillot des Bleus, ça veut encore dire quelque chose et c'est aussi pour ça que Paul Seixas a fait le choix de courir avec nous au Pays de Vaud. C'était une volonté de sa part. 

L’arrivée de ces équipes de marques en Juniors, avec des moyens financiers parfois importants, n’habitue-t-elle pas désormais les coureurs à un certain confort dès leurs 16 ou 17 ans ?
C’est encore un vaste sujet… Pour l’anecdote, en équipe de France Juniors, on a accès au camping-car qu’utilisent les Espoirs de Pierre-Yves Chatelon. Mais honnêtement, je me le suis toujours interdit. On parle de Juniors ! Le cyclisme a cette particularité d’être un sport d’extérieur et de nomades. Il faut entretenir la flamme, donner envie aux gamins d’aller chercher ce confort dans les catégories supérieures. S’ils l’ont déjà en Juniors… On place le curseur très haut mais il ne faut pas oublier que même si certains sont de plus en plus matures très jeunes, on parle là de grands ados. Apprenons-leur les bases, les valeurs essentielles, avant de leur payer de belles chambres d’hôtels d’emblée.  

« JE VAIS RESSERRER MES EXIGENCES »

Faut-il deviner un malaise et une opposition entre les sélections et les équipes de marque ?
Pas forcément. On doit travailler main dans la main. Decathlon AG2R La Mondiale, par exemple, travaille très bien depuis quinze ans. J’ai toujours été assez proche de la structure, on a toujours échangé de façon intelligente malgré les désaccords. Je connais Alexandre (Chenivesse) depuis longtemps. Quand je trouvais qu’il allait trop loin, je lui disais et il a su faire un pas en arrière quand c'était nécessaire. Inversement, on écoute aussi ce qu’ils ont à nous dire. 

Comment se passent les sélections en Coupe des Nations ? Les équipes nationales gardent-elles la priorité absolue, ou une équipe réserve a-t-elle le droit de garder son coureur ?
Là encore, on tâche de travailler en bonne intelligence. En tant que sélectionneur national, je ne peux pas cacher qu’il est intéressant pour moi de voir quinze Français au départ de Paris-Roubaix sous différents maillots. La Coupe des Nations, c’est le fil rouge de la saison pour les nations. On essaie de bien y figurer. Dans un premier temps, on doit assurer notre quota de places pour le Mondial. C’est chose faite. Maintenant, on va basculer dans la préparation des Championnats d’Europe et du Monde. Je vais resserrer mes exigences vis-à-vis des équipes de marque. J’ai besoin de travailler dans les meilleures conditions avec certains athlètes. Il faut que les mecs bossent les uns pour les autres, avec les Bleus. C’est capital. Cette année, certaines choses ne se sont pas passées de la meilleure des façons et il faut corriger le tir. 

Comme ?
Tout n’a pas été idéal à l’Eroica. Aubin (Sparfel) et Paul (Seixas) n’ont pas été capables de s’entendre à ce moment-là, ce n’est pas un secret. Ils se connaissent depuis un moment, il a pu y avoir une rivalité. Au Pays de Vaud, les deux ont gagné, c’est nickel. Apparemment ils se sont serrés la main après l’arrivée - photo ci-dessous -. Maintenant, on doit construire là-dessus. J’ai besoin de ces deux talents chez les Bleus, je les veux impliqués à 100% et prêts à se battre l’un pour l’autre.

« JE NE VEUX PAS D’UN RAPPORT DE FORCE »

Mais que se passe-t-il si une équipe refuse de te laisser un élément ?
On est en prépa des grands Championnats, comme je le disais à l’instant. Si on refuse, alors on refuse aussi que ce garçon participe au Mondial. Au passage, il faut savoir que lorsqu’une équipe de marque veut s’aligner sur une épreuve comme le Tour du Pays de Vaud, elle demande systématiquement l’autorisation via le comité régional puis la Fédération. Dans l’absolu, on pourrait s’y opposer.

Cela pourrait être interprété comme une menace !
Ce n’est pas une menace, je ne rentre pas dans ces trucs-là. On n'est fâchés avec personne. Que ce soit avec Decathlon AG2R, la Groupama-FDJ ou d’autres, on travaille bien. On discute régulièrement. J’explique simplement que j'ai besoin de travailler dans les meilleures conditions avec les athlètes, de prévoir les calendriers et une préparation spécifique. On veut tous la même chose : emmener les athlètes au plus haut niveau grâce à une planification cohérente. Franchement, les équipes n’ont pas intérêt à nous priver de leurs meilleurs éléments.

L’équipe de France doit donc rester au cœur du projet de développement d’un Junior et il faut voir les meilleurs U19 mondiaux en Coupe des Nations…
Tout simplement. Aujourd’hui, un Junior peut porter un nombre presque incalculable de maillots dans la saison. Le système actuel met tous les acteurs en difficulté. Je ne veux pas d’un rapport de force, je veux simplement rappeler l’importance de nos Fédérations et des sélections nationales. Un Junior a beaucoup trop de structures et d’interlocuteurs autour de lui aujourd’hui, me semble-t-il. En clin d'œil, je pourrais répéter que c’est le Far West en ce moment. Mon rôle est d'assainir tout ça.  


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