Fariba Hashimi, afghane et libre

Crédit photo Florian Frison / DirectVelo

Crédit photo Florian Frison / DirectVelo

Sportivement, le triomphe de Kasia Niewiadoma pour quatre secondes face à Demi Vollering, lors de l’ultime étape du Tour de France au sommet de l’Alpe d’Huez, restera à coup sûr comme le moment le plus fort de la saison cycliste du côté des féminines. Mais loin, très loin de la folie du Tour, du bruit sourd du public massé sur le bitume et du crépitement du flash des appareils photos, une histoire bien plus marquante encore, tant elle dépasse le simple cadre du sport, s’est écrite sur les hauteurs du département le moins peuplé de France. En Lozère, lors de l’étape-reine du Tour de l’Ardèche (autre clin d'œil pour une épreuve qui a tant œuvré et compté pour le cyclisme féminin avant l’émergence d’un nouveau calendrier ces dernières saisons), à quelque 300 km de l’ascension aux 21 virages, une pionnière a écrit son histoire samedi dernier. Et l’histoire tout court. Son nom ? Fariba Hashimi. Sa particularité dans le peloton ? Être afghane.

ÉCHAPPÉE AUX JEUX OLYMPIQUES

“Je n’aurais jamais imaginé pouvoir gagner sur une telle course même si je croyais en moi. Mais je l’ai fait ! Je suis tellement heureuse ! C’est grâce aux filles, au staff… Je remercie tout le monde. Cette victoire est dédiée à beaucoup de gens. Elle est pour moi, pour ma sœur, pour ma famille, pour mon équipe et pour mon pays…”. Ce succès - le premier d'une Afghane au niveau UCI -, la jeune femme (21 ans) est allé le chercher avec les jambes, le cœur et les tripes. Un temps seule en tête, elle n’a pas été découragée par le retour de Léa Curinier et Célia Le Mouël, ni par l’accélération de Dominika Wlodarczyk dans le final. Elle a, au contraire, trouvé la force d’en remettre une et de repousser définitivement ses adversaires pour l’emporter en solitaire (voir classement), maillot de l’Afghanistan floqué sur le corps en tant que Championne nationale sur route. “Devant, j’ai trouvé le temps long. Ça m'a rappelé mon échappée aux Jeux Olympiques ! J’avais passé de nombreux kilomètres devant à Paris (79, NDLR) mais j’avais fini par avoir des crampes…”, rigolait-elle auprès de DirectVelo, dimanche au départ de la sixième et dernière étape du TCFIA.

Cette victoire, c’est l’aboutissement d’une première année pleine sur le vélo, une année pleine de promesses. “L’an passé, elle s’était cassée la clavicule et n’avait pas du tout couru pendant plusieurs mois. Cette saison, c’est la première fois qu’elle court toute l’année. Elle a énormément progressé, elle a un sacré potentiel”, se réjouit Anna Wiese. La Polonaise est à la fois la directrice sportive du Centre Mondial du Cyclisme, formation de Fariba Hashimi, et sa coach personnelle. Forte tête, son athlète lui donne régulièrement du fil à retordre. “Le truc, c’est qu’elle suit rarement les consignes (rires). Elle attaque souvent à des moments où elle ne devrait pas le faire, lorsqu’on lui a demandé de rester au chaud au peloton. Et c’était le cas encore sur cette étape qu’elle gagne ! Elle en a trop fait mais elle était tellement forte qu’elle ne l’a pas payé. Elle n’avait pas à passer tout ce temps seule en tête à dépenser de l’énergie inutilement. Elle a besoin d’être canalisée, elle doit mieux comprendre comment fonctionnent les courses cyclistes”.

« IL Y A 20 MILLIONS D’AFGHANES QUI SOUFFRENT »

Voilà pour le volet sportif. Mais il y a encore bien plus important que “ce rêve et cette passion” pour Fariba Hashimi. Avec sa grande-sœur Yulduz, elle aussi coureuse au CMC et présente en Ardèche, elle a fui l’Afghanistan en 2021, grâce à l’appui de l’Italienne Alessandra Cappellotto, ancienne Championne du Monde et présidente du CPA féminin rencontrée à Kaboul (lire ici). “On lui doit beaucoup”, insiste Fariba. Depuis, cette dernière a un pied à terre italien à Vicence, en Vénétie, mais elle passe pratiquement toute la saison à Aigle, au siège de l’UCI, avec le CMC. Si son père vit désormais en Allemagne, elle explique ne plus être en mesure de voir le reste de sa famille, dont ses deux autres sœurs et quatre frères. “On a une grande famille mais ils sont en Afghanistan. Or, je ne peux plus y mettre les pieds et eux ne peuvent pas quitter le pays”. Une situation qui lui arrache le cœur et à laquelle elle compte mettre un terme au plus vite.

Pour ce faire, elle écrase les pédales sur sa bicyclette. “La situation est catastrophique là-bas. Les femmes n’ont même plus accès à l’éducation, plus à rien… Il y a 20 millions d’Afghanes qui souffrent mais je sais qu’elles sont toutes fortes. Je veux leur montrer que tout est possible. Je veux que le monde entier voit que nous, les femmes afghanes, sommes fortes et fières”, lâche-t-elle avec tant de détermination dans la voix que d’émotion. “Je lance un appel à tout le monde : s’il vous plaît, aidez-nous ! Regardez ce qu’il se passe en Afghanistan. Combien de temps va-t-on laisser les Afghanes dans cet enfer ?”. Bien sûr, Fariba Hashimi n’envisage pas une seule seconde de faire le voyage retour. “Je ne retournerai pas là-bas. Les Talibans ne veulent pas de moi. Je suis une femme libre, je veux faire du vélo. Les Talibans forcent les femmes à rester chez elles… Les Afghanes ne peuvent même plus s’exprimer dans la rue, elles n’ont même pas l’autorisation de sortir seules ! C’est quoi ce délire ?”, interroge-t-elle.

UNE VOIX QUI PORTE MAIS QUI N'EST PAS SANS CONSÉQUENCES 

Sa priorité désormais : faire carrière pour permettre à ses proches de venir les rejoindre, sa sœur et elle, en Suisse ou en Italie. “Ma famille vit toujours là-bas mais j’espère de tout cœur que j’aurai un jour les moyens de les faire venir ici avec moi. Mais je pense aussi à toutes les autres familles qui vivent un véritable cauchemar. J’espère que la situation va évoluer, que l’on va au moins permettre aux jeunes filles d’aller à l’école, plaide-t-elle encore. Je suis allée dans plein d’autres pays musulmans et aucun n’est dans une situation comme celle-là. Ces Talibans sont fous”, ose-t-elle clamer, forte et courageuse. Sa voix porte et elle le sait. Tout comme elle a conscience que ce n’est pas sans risque, alors que des membres de sa famille ont dû déménager plusieurs fois au pays. “Les Talibans sont mécontents que ma sœur et moi soyons eu Europe à faire du vélo, bras et jambes nues…”, décrit-elle posément, cheveux au vent, dans un bon niveau d'anglais - elle parle également italien -. "Ils veulent faire payer ma famille"

Fariba Hashimi est lancée vers son destin et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Après tout, l’histoire ne fait sans doute que commencer. “Elle est la première Afghane à gagner en UCI et ça signifie beaucoup. J’espère que ça pourra donner espoir à d’autres filles qui ont de grands rêves, elles aussi. C’est beaucoup d’émotion”, concède Anna Wiese. Sa coach “pense déjà à la suite” et sait qu’une fois ses lacunes gommées, sa protégée pourrait devenir une très grande athlète. “Elle doit encore beaucoup apprendre. Physiquement mais aussi techniquement et tactiquement. Mais je sais à quel point elle est motivée et j’ai hâte de voir la suite”. Après ce brillant succès au Mont Lozère, où elle aura résisté au retour de Thalita De Jong, 10e du dernier Tour de France, Fariba Hashimi espère-t-elle avoir tapé dans l'œil de grandes formations mondiales ? “J’ai toujours rêvé de devenir une cycliste professionnelle. C’est mon rêve. C’est pour ce rêve-là que j’ai quitté l’Afghanistan et c’est toujours pour ce rêve-là que je vais continuer de m'entraîner très dur. Le cyclisme est l’un des sports les plus difficiles mais il a l’avantage de récompenser les solides, celles qui ont le courage de se faire très mal. Et pour moi, ce n’est pas un problème”, plaisante avec malice la 8e du dernier Tour de l’Avenir. “Je sais que j’ai une grosse marge de progression, beaucoup de choses à apprendre, mais j’ai très envie de le faire dans une grande équipe”. Le combat ne fait que commencer.


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