Mattis Lebeau : « Une nouvelle vie commence »
Il a donc franchi le pas. La semaine passée, à l’occasion des Championnats du Monde de Zurich, en Suisse, Mattis Lebeau a disputé sa première compétition chez les para, en catégorie C4. Une décision mûrement réfléchie pour un coureur qui performe chez les valides, sous le maillot de Charvieu-Chavagneux IC, et qui a même un temps espéré passer pro avec le Team Nice Métropole Côte d’Azur. Le voilà désormais lancé dans un projet sur plusieurs années, avec en ligne de mire les Jeux Paralympiques de Los Angeles 2028. Et l’avenir s’annonce radieux puisque pour son baptême du feu, il a déjà décroché deux médailles, dont le titre mondial lors de l’épreuve chronométrée. DirectVelo a échangé avec l’Azuréen à Zurich, en zone mixte, après le second triplé des Français lors de la course en ligne. Entretien.
DirectVelo : Te voilà Champion du Monde… de paracyclisme !
Mattis Lebeau : J’ai de naissance une atrophie musculaire, le pied bot. C’est un handicap aujourd’hui invisible même si, à la naissance, j’avais les pieds complètement tordus et que j’ai été opéré à mes quinze mois. Depuis, j’ai toujours couru en Élites avec les valides et ça marche plutôt pas mal. J’ai donc eu du mal à passer le cap. Ce n’était pas facile de se dire que j’ai un handicap et que je suis éligible aux courses para. Il m’a fallu trois ans de réflexion, depuis Tokyo 2021. Un pote vers chez moi, qui court avec nous, m’a dit qu’il fallait que je me renseigne. Il avait évoqué la situation de Kévin (Le Cunff), similaire à la mienne. Et à ce moment-là, je n’étais pas du tout au courant que je pouvais être éligible. J’ai eu le temps de mûrir le projet.
« SWITCHER AVEC CHARVIEU »
Il y a peu de temps encore, tu envisageais un passage chez les pros sur la route…
Je pouvais toujours l’espérer cette année, sachant que je fais une bonne saison en Élites. Je l’avais toujours dans un petit coin de ma tête, j’espérais passer à l’échelon supérieur mais à 25 ans, ça commence à faire vieux pour les équipes pros. Alors je me suis rabattu là-dessus pour essayer de gagner ma vie.
Avec une projection à long terme, sur Los Angeles 2028 par exemple ?
Tout à fait, je suis parti pour faire les deux pendant ces prochaines années : continuer ma carrière Élite et en même temps para. Je compte faire quelques manches de Coupe du Monde en Para et switcher avec Charvieu sur le reste de la saison 2025.
Te sens-tu à ta place au milieu des para ?
Encore une fois, j’ai eu du mal à passer ce cap-là. Il y a des coureurs à qui il manque une jambe et ils sont dans la même catégorie que moi. Ça fait bizarre, ce n’est pas facile. Mais le handicap, je l’ai. Cette catégorie est faite pour ça alors je me dis que oui, je suis à ma place. Je ne suis pas un imposteur. Une nouvelle vie commence.
« MON SEUL REPÈRE, C'ÉTAIT KÉVIN »
Comment as-tu été accueilli dans le monde du paracyclisme ?
Je n’ai pas eu trop de retours mais le premier ressenti a été bon. Les gars de l’équipe de France m’ont présenté à d’autres nations. Ça s'est bien passé. J’arrive sur ma première course, directement sur le Championnat du Monde, et je gagne le chrono d’emblée. J’imagine que pour certains, ça doit faire bizarre. Sportivement parlant, je ne savais pas trop ce qu’il allait se passer, où j’allais me situer. Mon seul repère, c’était Kévin et ce qu’il faisait en para, dans la même catégorie. Il a été médaillé olympique cet été alors je me doutais que je n’allais pas être ridicule mais j’attendais de voir sur la route malgré tout. Finalement, j’ai gagné le chrono et je décroche une nouvelle médaille sur la route, c’est parfait (les Bleus ont réalisé par deux fois le triplé avec donc Mattis Lebeau, Kévin Le Cunff et Gatien Le Rousseau, lequel a été titré lors de l’épreuve sur route où les deux routiers lui ont offert la victoire, NDLR).
D’autant que tout s’est décidé presque au dernier moment…
La validation s’est faite quelques jours avant le chrono, avec le médecin. J’avais fait un dossier médical en amont, en août, que j’ai envoyé à l’UCI. Ma présence était prévue. Il restait juste à savoir dans quelle catégorie j’allais être, C5 ou C4, et finalement ça a été C4. Comme j’ai les deux pieds handicapés, ça me met dans cette catégorie-là. Il a été confirmé que j’ai une perte de puissance au niveau des deux jambes, mais je ne sais pas de combien. C’est compliqué à mesurer, pour moi le premier. Mais c’est comme ça. Me voilà dans ce monde-là et je compte bien y rester un moment.