Anthony Delaplace : « Super motivé pour être au départ du Tour »
Anthony Delaplace, 35 ans dont déjà quinze chez les pros, repart pour un seizième exercice, toujours chez Arkéa-B&B Hôtels, lui qui n'a connu que deux équipes (il a débuté chez Saur-Sojasun). Le Normand n'aime pas la routine et pour son début de saison il devrait retrouver le calendrier français "alors que ça fait cinq-six ans que je ne l'ai pas fait". Le 6e de la Polynormande, capitaine de route du WorldTeam, reste motivé surtout quand il voit le Tour de France traverser toute la Normandie en juillet prochain. Avec son expérience, il est un bon témoin pour parler de l'évolution du peloton.
DirectVelo : Arrives-tu encore à innover dans la préparation ?
Anthony Delaplace : J'essaie, avec mon entraîneur Kevin Rinaldi, de toujours innover, enfin c'est lui plutôt. Quand on arrive au stade de ma carrière, c'est toujours délicat d'innover. Les bases hivernales sont toujours les mêmes, du fond, un bon volume. J'arrive à aller chercher des petites nouveautés dans les exercices. Je n'aime pas trop la routine, on essaie de changer des petites choses mais les bases restent les mêmes, ça ne sert à rien de tout révolutionner à mon âge.
« LES RECORDS C'EST BIEN MAIS C'EST AUSSI LE TERRAIN QUI PARLE »
Tu arrives encore à battre des records ?
Les records, j'en bats tous les ans, sur cinq, dix, vingt minutes mais tout le monde bat ses records. Les records, c'est bien mais ce sont aussi le terrain et les compétitions qui parlent. Les battre, ça veut dire que je progresse encore malgré mon âge avancé. Le niveau global a tellement évolué que le principal c'est le classement et les résultats.
Que penses-tu de tes résultats de cette année ?
Depuis deux ans, j'ai plus un rôle de capitaine de route, de faire le lien entre les jeunes et le directeur sportif, quand il y a des décisions à prendre en course ou hors course. On ne m'attend plus pour gagner. J'ai aussi ma chance sur certaines courses comme le Championnat de France à la maison, où j'arrive devant pour la place de 4. Quand je me retrouve devant, comme à la Poly, j'essaie de jouer la gagne. J'ai quatre-cinq chances dans la saison, il ne faut pas se louper. En termes de travail d'équipe, j'ai été à la hauteur de ce qu'attendait l'équipe, c'est le principal pour moi.
« IL Y A EU L'AVANT COVID ET L’APRÈS COVID »
Les saisons sont-elles de plus en plus longues ?
Tout le monde dit ça, mais j'ai toujours commencé à la Marseillaise et terminé à Paris-Tours. Cette année, le Tour de Lombardie était décalé d'une semaine. J'ai repris en Australie et j'ai terminé mi-octobre en Italie, c'est vrai que ça fait long mais les saisons n'ont pas augmenté. En revanche, l'intensité des courses a évolué. Il y a quinze ans, à Bessèges, on pouvait partir en vestes thermiques et ça c'est fini. Il faut être à 100% dès Bessèges, sinon c'est compliqué.
Depuis quand as-tu senti ce changement ?
Il y a eu l'avant Covid et l'après Covid. D'autres sports, comme la course à pied, battent leurs record depuis le Covid aussi. Il y a eu un cap de passé dans tout ce qui est autour de la performance. La nutrition est devenue hyper poussée dans les équipes, même le suivi psychologique, le matériel qui a encore franchi un cap. Toutes ces petites choses font que ça ne débranche plus en course.
« J'AI TOUJOURS CHERCHER L'ÉQUILIBRE ENTRE LA FAMILLE ET LE VÉLO »
Tu pars souvent en stage en altitude ?
Je n'en ai pas fait cette année comme je n'ai pas disputé de Grand Tour. J'essaie d'en faire seulement quand je fais un Grand Tour. C'est le passage obligé pour les leaders comme Kévin Vauquelin ou les jeunes coureurs mais dans mon cas, un stage personnel de huit jours à monter des cols me réussit autant qu'un stage de trois semaines en altitude. Avec des enfants et une femme à la maison, j'ai toujours cherché l'équilibre entre la famille et le vélo. Dans mon rôle d'équipier, ce n'est pas ce qui fait la différence.
Tu n'as pas fait de Grand Tour cette année, c'était un choix ?
J'avais dit à l'équipe que j'étais vraiment motivé pour le Tour, ils m'ont mis premier remplaçant, c'est le sport, il faut respecter les choix et l'équipe a fait un super Tour sans moi. Pour la fin de saison, j'avais dit que je préférais faire Poly, Limousin, Plouay, m'amuser sur ces courses plutôt que d'aller au Tour d'Espagne. L'équipe avait assez de jeunes pour faire une équipe pour la Vuelta. L'an prochain, le Tour traverse la Normandie, il y a Rouen, le chrono à Caen, Bayeux, Vire, on est gâté. Je suis super motivé pour être au départ,
« IL FAUT ÊTRE SÉRIEUX »
Ton résultat à la Poly montre que tu sais rester sérieux au mois de juillet...
Il faut être sérieux et c'est ce qui explique aussi ma longévité. Je me suis bien reposé cinq-six jours après le Championnat de France. J'ai bien travaillé le mois de juillet à la maison. Ce n'est pas parce que tu ne fais pas le Tour que la saison est finie. J'étais motivé pour les mois d'août-septembre.
Tu as été Champion de France Juniors en 2007, tu te serais vu à l'époque passer pro directement l'année d'après ?
Non pas du tout. En deuxième année Juniors, je commençais à me dire, "si je pouvais en vivre, ce serait super". Le rêve c'était de passer pro mais c'était lointain. Maintenant, Axel Bouquet, qui est Manchois comme moi, sort des Juniors et passe l'an prochain. Parfois j'ai du mal à me dire qu'ils ne passent pas par la case amateurs. C'est l'évolution du vélo, on devient un peu comme le foot, il faut vivre avec son temps mais on fera le point dans dix ans.
« JE PRÉFÈRE UN SYSTÈME DE MONTÉE-DESCENTE À LA PÉDALE »
Tu sens l'effet de la chasse aux points dans le peloton ?
Les équipes du Top 10 mondial ne parlent pas trop de points, mais pour les équipes comme nous, ça existe. Il y a quatre-cinq équipes qui sont en bascule pour le maintien en WorldTour. Si on fait des résultats, on aura des points. Il y a toujours des stratégies de mise en place. Quand les coureurs de la Conti montent avec nous, quand ils se retrouvent devant on les sacrifie pour un coureur de la WorldTour car leurs points ne compteraient par pour l'équipe. C'est le système qui est comme ça, il faut s'adapter. Je préfère un système de montée-descente à la pédale plutôt qu'à coups de millions. Ça donnait une motivation quand on était Continental Pro pendant trois ans, ça a maintenu jusqu'au bout tous les coureurs dans la performance pour décrocher le Graal. Maintenant, il faut y rester.
Tu es encore en contrat pour combien de temps avec l'équipe ?
J'ai resigné une année. À mon âge, je fais année après année. Si je signe deux ans et que j'en ai marre au bout de cinq mois... La motivation est là, je prends toujours beaucoup de plaisir à encadrer les jeunes et à me faire mal sur mon vélo. L'équipe me fait toujours confiance. J'ai conscience que la fin est proche, je vais bientôt prendre une décision. J'aimerais bien choisir ma fin de carrière.