Le parfum de Rik Van Looy

Crédit photo Grote Prijs Rik Van Looy

Crédit photo Grote Prijs Rik Van Looy

On l'appelait Rik II, pour le différencier de Rik I, Van Steenbergen, pour qui il a fait l'équipier en début de carrière. Pour son premier Paris-Roubaix en 1956, Rik Van Looy se met au service de son aîné et roule des kilomètres en tête. "C'est qui ?", demande Louison Bobet à Van Steenbergen. "J'étais fier", commentait le triple vainqueur de l'épreuve. Mais le plus jeune doit attendre le retrait du plus haut-niveau de son aîné pour endosser son premier maillot arc-en-ciel en 1960. Jusque là, Rik I était le patron de l'équipe de Belgique au Championnat du Monde et tirait les ficelles à son avantage. Les deux coureurs seront de nouveaux unis pour des courses de 6 Jours à la fin de la carrière de Rik Van Steenbergen.

TOUTES LES GRANDES CLASSIQUES

L'Empereur d'Herentals a replié ses ailes à deux jours de son 91e anniversaire. Il a été pro à cheval sur trois décennies de fin 1953 à 1970. Il participe au Giro 1955, est hors délai à la 8e étape mais cinq jours plus tard, il gagne deux kermesses coup sur coup. Il a pris de la caisse et il ne va pas s'arrêter. À partir de 1958, il entame sa moisson de grandes classiques : Milan-San Remo, Paris-Bruxelles. L'année suivante c'est son premier Tour des Flandres puis Paris-Tours en fin de saison. Il va toutes les gagner. Après Paris-Roubaix (trois fois) et Liège-Bastogne-Liège, il va boucler la boucle avec la Flèche Wallonne en 1968, au bout d'une  échappée en compagnie de José Samyn, alors qu'on annonçait son déclin, un mois plus tôt à Paris-Nice. Aucun autre coureur n'y est arrivé, même pas Eddy Merckx.

Rik Van Looy  n'a pas toujours été chanceux au Tour des Flandres mais en 1962, le destin, ou plutôt les horaires des chemins de fer, lui donnent un coup de pouce. Alors qu'il a pris le départ malade, il profite d'un passage à niveau fermé pour sprinter dans les toilettes de la maison de spectateurs. Ça ne l'empêche pas de gagner le Ronde en solitaire quelques kilomètres plus loin. Rik Van Looy est vite au sprint mais c'est avant tout un attaquant. André Darrigade dit de lui en le comparant aux autres coureurs Flamands de sa génération : "Rik est le plus correct. Il ne se cache jamais et lutte à visière découverte" (Coups de Pédale n°193).

LA GUÉRILLA DU TOUR 1962

Pour l'aider à laminer ses adversaires avant de porter l'estocade, Rik Van Looy peut compte sur sa "garde rouge" de la Faema, son équipe à partir de 1956. On y retrouve Noël Foré, Armand Desmet, Joseph Planckaert et Edgar Sorgeloos à qui il cède les bénéfices de la vente de casquettes à son effigie. D'autres comme Martin Van Geneugden sont carrément liés par contrat avec Van Looy et pas avec l'équipe. Avec ses coéquipiers il va aussi mettre le feu dans les courses par étapes car dans les bons jours, il peut passer les cols pas trop loin des meilleurs. En 1959, il termine 3e de la Vuelta puis 4e du Giro. En 1960, il attaque dès le début de l'avant-dernière étape Trente-Bormio. Il franchit trois des quatre cols en tête et termine ce Tour d'Italie avec le prix du meilleur grimpeur.

Il attend 1962, à 28 ans, pour débuter dans le Tour de France. C'est l'année du retour des équipes de marques et ce n'est donc pas un hasard. Jusque là, la fédération belge ne voulait pas lui mettre toute une équipe à disposition pour la Grande Boucle et les intérêts commerciaux de la Faema ne trouvaient pas leur compte avec leur coureur phare sous le maillot bleu Nattier de l'équipe de Belgique, pendant les trois semaines du Tour. Donc le voilà au départ de Nancy et ça ne va pas tarder à barder. Jacques Anquetil le tient pour son rival le plus dangereux car il peut faire basculer la course à tout moment. Dès la première étape, il fait le coup du ravito. Anquetil, Altig, Nencini, Baldini ou encore Anglade accrochent les wagons. Mais Poulidor et Bahamontès laissent huit minutes dans l'affaire. Emballé, c'est pesé, le Tour est perdu. Le lendemain, la course arrive à Herentals et Van Looy... se fait arranger par André Darrigade qui prend le maillot jaune.  Le Belge devra attendre 1965 pour porter la tunique jaune, une seule fois, à Liège. Jusqu'aux Pyrénées, c'est la guérilla permanente mais il chute dans la 10e étape Bayonne-Pau, repart mais, touché aux reins, il doit abandonner. Il reviendra en 1963 pour gagner le maillot vert.

LES GUÉGUERRES BELGES

Chez Faema-Flandria, il a Guillaume Driessens comme directeur sportif. Mais leurs chemins se séparent à la fin de 1963 quand Driessens retourne chez Flandria. Rik II part chez la marque concurrente, Solo-Supéria. À partir de là, il jure la perte de son ancien coureur et ordonne à ses coureurs de ne pas relayer Van Looy, y compris pendant le Championnat du Monde 1964, disputé sous le maillot d'une équipe de Belgique divisée. La carrière de Rik Van Looy se déroule à un moment où le vélo découvre à ses frais la volatilité des investissements des marques extra-sportives.

À la fin de 1962, Van Looy quitte Faema-Flandria. À la naissance du divorce, le coureur ne veut pas disputer le Tour de France en 1963. Il commence sa saison en Italie sans commanditaire et c'est là qu'il trouve un extra-sportif, la marque GBC. La petite troupe de Van Looy fusionne ensuite avec l'équipe des cycles Libertas. Mais la saison n'est pas un grand cru pour le double Champion du Monde qui se fracture la clavicule à l'entraînement. Il abandonne le Giro ce qui provoque l'arrêt des paiements de la GBC. Rik Van Looy verse ses gains du Tour de France pour payer ses coéquipiers. Pour boire le calice jusqu'à la lie, au Championnat du Monde, à Renaix en Belgique, il n'arrive pas à remonter son coéquipier Benoni Beheyt. L'Empereur d'Herentals parle de trahison et de pacte signé avant le départ. La carrière de Beheyt aura du mal à s'en remettre.

« UN VÉLO AUSSI PROPRE QUE S'IL ÉTAIT NEUF »

L'Empereur d'Herentals "en imposait", raconte Jean-Marie Leblanc qui a couru avec lui. Dans le livre "Jean-Marie Leblanc, gardien du Tour de France" de Christophe Penot, il raconte comment il le voyait arriver au départ des kermesses qu'ils disputaient, "toujours avec un vélo aussi propre que s'il était neuf, vélo monté de boyaux neufs et une guidoline blanche neuve ! (...) C'était Monsieur Van Looy, et il me revient même qu'il était toujours parfumé, qu'il mettait de l'eau de toilette pour courir les kermesses".

Après avoir succédé à Rik I, Rik II va voir naitre un aiglon dans son équipe pendant quelques mois. Eddy Merckx débute chez les pros avec Van Looy, chez Solo-Supéria, avant de prendre son envol chez Peugeot. Il n'y avait pas de place pour deux.

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