La Grande Interview : Anthony Turgis

Un coup de force dans la Côte d'Ans, un coup tactique dans les replats qui mènent au vélodrome, un coup de rein dans le dernier sprint. Liège-Bastogne-Liège Espoirs a mis en avant les différents atouts d'Anthony Turgis, même si le coureur du CC Nogent-sur-Oise ne semblait pas destiné à enlever un tel monument ce printemps. Lui était assez ambitieux, selon sa formule : "Pour pouvoir gagner, mieux vaut viser la victoire". Il gagne peu, mais bien. Peu, mais sur tous les terrains. Solide puncheur et sprinter doué, le Francilien est par ailleurs un adepte des pavés (deuxième de Paris-Roubaix Juniors 2012) et des courses en circuit (Champion de France Cadets 2010). Sans parler du cyclo-cross, où il emmagasine les bouquets comme un fleuriste. Anthony Turgis, bientôt vingt ans, parle à DirectVelo.com de ce qui fait sa force. Et en particulier de son arbre généalogique qui comporte des cyclistes à toutes les branches, dont son grand frère Jimmy, professionnel au Team Roubaix-Lille Métropole.

DirectVelo.com : Tu semblais sûr de ton coup avant Liège-Bastogne-Liège Espoirs. Quand ton frère Jimmy t'encourage à te battre pour un Top 5 avant le départ, tu lui réponds que tu vises un meilleur résultat...
Anthony Turgis : J'aurais déjà été très heureux de finir cinquième. Mais je voulais faire mieux que l'an passé, quand j'étais arrivé pour la cinquième place. En 2013, je me sentais moyen toute la course puis j'avais bien négocié la Côte d'Ans. Dans le sprint, le lanceur s'était écarté un peu tôt et je ne pouvais pas remonter mes adversaires à l'extérieur, alors que je m'étais retrouvé à la corde. Du coup, j'avais terminé vingtième. En, 2014, je m'étais promis de faire mieux. Bien sûr, je n'ai jamais eu la certitude de gagner. Mais pour pouvoir gagner, mieux vaut viser la victoire.

Tu es le premier Français à t'imposer sur la « Doyenne » depuis Christophe Kern en 2002.
Après ma victoire, j'ai reçu beaucoup de félicitations. C'est à ce moment que j'ai étudié le palmarès et que j'ai vu plein de grands noms. J'ai pensé : « T'as fait un grand truc ! » C'est vrai, peu de Français ont gagné. La concurrence internationale est très élevée. Du coup, Liège-Bastogne-Liège Espoirs, c'est encore mieux qu'un titre de Champion de France.

« JE PEUX M'ADAPTER »

Contrairement à la course WorldTour, les grimpeurs triomphent rarement dans la version Espoirs de « Liège ». A quel registre de coureur penses-tu appartenir ?
Chez les pros, l'arrivée de l'épreuve se situe au sommet de la Côte d'Ans, ce qui favorise les grimpeurs. Chez les Espoirs, il faut encore rouler cinq kilomètres de plus pour atteindre vélodrome. Donc les coureurs complets peuvent revenir au moment où les grimpeurs coincent. Je fais partie des polyvalents : j'ai la chance de pouvoir compter sur une pointe de vitesse et de passer assez bien les bosses. En fait, je peux m'adapter aux différentes sortes de parcours.

Pourtant, tu ne gagnes pas si souvent. Ton dernier succès remonte à 2012. Et comme 2010 fut une autre saison accomplie, on pourrait se dire que tu marches une année sur deux !
Je ne vois pas les choses ainsi. Quand je suis dans la première année d'une catégorie, j'essaie de prendre beaucoup de plaisir et je travaille pour combler mon retard sur les coureurs les plus âgés. J'apprends... Puis je marche l'année suivante. J'ai progressé de cette façon chez les Juniors et maintenant chez les Espoirs. En 2013, j'ai rejoint la catégorie des moins de 23 ans et j'ai mis du temps à m'adapter. Les dirigeants du CC Nogent-sur-Oise avaient mis en garde les jeunes comme moi : il faut être patient. Arnaud Démare n'a gagné qu'une seule course dans sa première saison Espoirs, en été. Par contre, il a accumulé les succès l'année suivante.

Comme sur Liège-Bastogne-Liège cette année, tu t'étais promis de faire une belle performance sur le Trophée Madiot Cadets en 2010, lors de la manche de Châteaubriant. Qu'est-ce qui t'avait motivé ?
Un an plus tôt, sur cette course, j'avais été impliqué dans une chute. J'avais tapé le trottoir : perte de conscience, fracture du rocher et de la clavicule. Alors j'étais revenu pour faire quelque chose. Le parcours me convenait bien : on avait un chrono et une étape en ligne qui ressemblait à un cyclo-cross, avec plein de petites accélérations à donner. J'ai gagné les deux étapes et le classement général.

« LES PAVES ME MANQUENT »

La grande épreuve qui te tient à cœur, c'est Paris-Roubaix ?

Oui. Je l'ai découverte en 2012, chez les Juniors. J'aime beaucoup cette course parce que le vainqueur est obligé d'aller la chercher. Rien à voir avec un sprint ! Quand tu es battu, tu n'as pas de regrets parce que tu es tombé sur plus fort que toi. Moi, j'ai terminé deuxième derrière le Danois Mads Würtz Schmidt, et il était le meilleur. J'ai fait ma première rencontre avec les pavés la veille de la course. Au début, on restait sur les bas-côtés tellement le pavé nous secouait. On se disait : « Demain, on aura mal ! » Mais en compétition, tu es tellement concentré pour ne pas lâcher les roues que les secteurs pavés défilent vite.

Est-ce que tu t'entraînes parfois sur le tracé, comme le font certains cyclistes du Nord ?
Non. Mais les pavés me manquent. L'an passé, on a emprunté le secteur Madiot lors du Grand Prix de Pérenchies. Mais ce n'est pas suffisant. Du coup, à l'entraînement, il m'arrive de rouler sur des îlots centraux quand je vois des pavés ! Juste pour le plaisir...

Ton coéquipier Félix Pouilly, un autre passionné de Paris-Roubaix, dit de toi que tu es une force de la nature. Ses propos te touchent ?
C'est surtout un jeu. A une époque, on faisait un petit challenge entre nous selon les résultats de chacun. En course, Félix pense que je suis très fort parce que je n'ouvre pas la bouche. Il me demande : « T'as pas fatigué ? » Mais le truc, c'est que je respire par le nez ! (rires)

« ON SE POUSSE A ALLER VERS LE HAUT »

Dans la famille Turgis, qui ne pratique pas le vélo ?
Ma grand-mère ! A part elle, tout le monde en fait. Ma mère a couru, de même que ses trois frères. Du coup, mes cousins et cousines sont sur le vélo. Mon grand-père , lui, a donné envie à mon père, qui nous a donné envie à notre tour. Moi j'ai commencé à cinq ans. J'ai pris mon grand-frère Jimmy comme exemple. Le petit dernier, Tanguy, s'inspire de Jimmy et moi.

Vous vous stimulez entre frères ?
Oui, le dimanche soir on discute de nos courses et on regarde les vidéos ou les photos de ce qu'on a fait dans le week-end. On se pousse à aller vers le haut. Souvent, on rigole avec Tanguy, parce que s'il veut faire mieux que Jimmy et moi, il a intérêt à gagner de grandes courses ! (rires)

Toi, tu es le premier de la famille à avoir décroché un titre de Champion de France !
C'était en 2010, à Brécey, en Normandie. J'ai remporté l'épreuve Cadets (devant Lucas Destang et Thomas Garcia, NDLR). Toute la famille a pleuré. Certains ont pu contenir leurs larmes, mais de justesse...

« MON FRERE JIMMY EST TROP GENTIL »

De quelle façon Jimmy t'apporte-t-il son aide ?
Il est mon entraîneur depuis la mort d'Hervé Boussard en juin (lire ici). L'an passé, nous courions ensemble au CC Nogent et il m'aidait autant que possible. J'étais touché mais je voulais qu'il pense à lui aussi. Pas question qu'il m'emmène un sprint parce que si nous avions chuté tous les deux, je m'en serais voulu. Jimmy a très bon cœur. Il est sans doute trop gentil, même si c'est naturel de vouloir tout donner pour un frère. Sur les Championnats de France de cyclo-cross 2013, il voulait me laisser un passage alors qu'il aurait pu se concentrer sur sa propre course.

Sur ces mêmes Championnats, tu étais prêt à mettre pied à terre pour l'encourager (lire ici) !
Tous les deux, nous avions moins préparé l'événement que les autres. On s'entraînait surtout pour la saison route. Mais le parcours était boueux et physique, donc on s'est trouvé à notre avantage. J'ai eu un incident mécanique au départ et je me suis arrêté au stand. Quand je suis reparti, j'ai entendu que Jimmy était troisième de la course. Je le cherchais du regard sur le parcours. J'aurais tellement souhaité l'encourager de plus près ! Finalement on se classe troisième et huitième. Jimmy, j'ai toujours voulu l'aider pour qu'il gagne. Je sais à quel point il travaille sur son vélo et je voudrais qu'il ait une belle carrière. Quand nous courions ensemble au CC Nogent, j'ai toujours tout donné pour lui dans les bordures.

Il y a beaucoup de coupes dans la maison familiale ?
Les chambres en sont remplies. Alors, on en donne certaines pour les événements qu'organise l'US Métro (le club dirigé par le père d'Anthony Turgis, NDLR).

Le trophée de Liège-Bastogne-Liège, c'est sacré ?
Ah oui ! Il est déjà exposé dans le salon. En général, quand je rentre des courses, je dépose le bouquet et la coupe sur la table et je les laisse là pendant deux jours, le temps que mes parents décident de ce qu'on en fait. Cette fois, la coupe a vite été placée sur la cheminée !

Crédit Photo : www.directvelo.com
 

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