Bonif : L'usine à gaz fait pschitt...
Eureka ! Le 15 mai 2013, l'Union Cycliste Internationale a enfin trouvé la formule magique. Elle a trouvé la solution pour animer les courses à étapes. L'UCI va expérimenter au Tour de Pologne un tout nouveau système pour attribuer des bonifications. A la fin de chaque étape, un classement sera établi en cumulant les places aux sprints bonifications et aux classements des grimpeurs. Les trois premiers de ce classement, remis à zéro tous les jours, recevront 30", 20" et 10" en cadeau. Pat McQuaid se frotte les mains à l'avance : "les coureurs vont aborder certaines parties de la journée avec une motivation supplémentaire".
Ce classement qui est un mélange de combiné et de combativité aurait pu s'appeler la Combinativité mais il est baptisé "classement de l'attractivité". Des représentants des principales parties prenantes du cyclisme se sont creusé les méninges pour arriver à cette trouvaille qui n'a duré qu'une année.
LE GP WOLBER A 80 ANS D’AVANCE SUR LE TOUR DE POLOGNE
C'est dommage, au lieu de se gratter la tête, il fallait essuyer la poussière des archives. Car d'autres avant eux avaient déjà eu l'idée d'un classement journalier pour attribuer des bonif.
Dans les années 30, L'Auto organise le Grand Prix Wolber, un petit Tour de France pour les jeunes coureurs, l'ancêtre du Tour de l'Avenir. Un petit conservatoire et aussi un laboratoire. En 1933, Jacques Goddet, le directeur de course, expérimente un nouveau système de bonifications dans les deux dernières étapes. Les trois sprints intermédiaires donnent 1'-30"-20"-10" aux quatre premiers mais distribuent aussi des points 5, 3, 2 et 1 points. L'ordre d'arrivée donne aussi 10, 5, 4 et 2 points. L'addition de tous ces points donne un classement dont les quatre premiers touchent encore des bonif : 3'-2'-1'-30". Cette combinativité-attractivité avant l'heure n'a connu qu'une édition.
Toutefois, en 1979, les Rush Simca du Tour de France reproduisent un système ressemblant. Cette année-là, seules cinq étapes sont concernées par les Rush bonifications. Les cinq Rush de chaque étape donnent 10"-6"-3" mais aussi des points. Les trois coureurs qui marquent le plus de points à chacune de ces étapes reçoivent en bonus 20"-10"-5". Mais là encore, l'expérience n'a duré qu'un été.
POUR LES FORTS EN MATHS
L'année précédente, les organisateurs avaient imaginé un règlement qui devait, pensaient-ils, récompenser les attaquants. Pour gagner 20" à chaque Rush, le premier à passer la ligne doit avoir 20" d'avance sur le peloton principal ou régler au sprint un groupe qui représente moins d'1/5 du peloton au départ de l'étape et qui compte au moins 20" d'avance sur le peloton.
Le coureur calcule vite et comprend très vite comment contrer ce règlement. Dans la 10e étape Biarritz-Pau, le Rush est placé après la descente du col de Marie-Blanque. Hinault, Pollentier, Zoetemelk et Kuiper se retrouvent en tête. Echappée royale avec les favoris du Tour. Ils sont donc quatre alors qu'il y avait 106 rescapés au départ. S'ils arrivent ensemble au Rush, trois favoris feront cadeau de 20" au quatrième. Alors ça tergiverse, ça se regarde et ils laissent rentrer le groupe du maillot jaune Joseph Bruyère. Hinault remporte le sprint devant 22 coureurs. Un de trop pour glaner les 20".
De cette usine à gaz sensée favoriser les attaquants, naît une guerre de tranchées. Elle fait long feu.
Mais ces calculs d'apothicaire ne sont rien comparé à l'imbroglio du GP du Midi-Libre 1987. Les trois premiers du classement du Prix de la Montagne de chaque étape sont bonifiés de 8"-5"-2". Le dernier jour, Julian Gorospe est en tête de ce classement journalier devant deux coureurs ex-aequo : Michel Bibollet et Patrice Esnault, porteur du maillot rouge et or de leader. Ce dernier a besoin des 5" de bonif pour gagner le classement final. Après une heure de délibération, les commissaires donnent la 2e place à Esnault. L'équipe Reynolds de Gorospe est furieuse. Deux jours avant, devant un cas semblable d'ex-aequo, les commissaires avaient pris une décision qui aurait classé Esnault 3e et donc, donné la victoire finale à l'Espagnol.
LA BONIF DE LA BONIF
Les organisateurs qui font le choix des bonifications - qui ne sont pas obligatoires rappelons-le - le font toujours pour animer leur course et récompenser les combatifs. Ils n'ont pas lésiné sur les formules et les règlements. Une des idées directrices est de tenir compte de l'écart creusé par les attaquants.
En 1931, Henri Desgrange fait revenir les bonifications dans le Tour de France mais sous conditions. Pour empocher trois minutes, le vainqueur de l'étape doit avoir creusé un trou d'au moins trois minutes sur son second. Le cas se produit deux fois seulement. Mais cette idée n'est pas une idée de H.D., c'est seulement une copie de ce qui se pratique déjà ailleurs.
En 1929, au Tour des Pays Basques le vainqueur d'une étape avec au moins une minute d'avance reçoit trois minutes de rabe. La même année, le Critérium des Aiglons organisé par des journaux concurrents de L'Auto s'en inspire pour établir "un système destiné à éviter les arrivées en peloton". Si un coureur passe en tête la ligne d'arrivée avec plus d'une minute d'avance sur le deuxième, il bénéficie d'une bonification de cinq minutes. Si deux coureurs se présentent ensemble au poteau d'arrivée avec une minute d'avance, ils reçoivent chacun trois minutes, et une seule minute s'ils sont trois. L'originalité de ce système est de répartir également les bonifications entre tous les échappés qui vont au bout. Mais on imagine bien qu'un équipier peut simuler un problème mécanique pour faire pencher l'effectif de l'échappée du bon côté de la balance.
La bonification n'est activée qu'une seule fois dans ce Circuit des Aiglons quand Joseph Wauters gagne la 2e étape avec deux minutes d'avance.
LA BONIF A RALLONGE
Le Tour d'Italie 1934 s'inspire un peu des Aiglons et module ses bonifications en fonction du nombre d'arrivant dans la roue du vainqueur. Trois minutes pour un vainqueur en solitaire, deux minutes s'il arrange un groupe de dix coureurs maximum et seulement une minute s'il règle un peloton.
Henri Desgrange, jamais content, se remet au travail en 1934 et refait tourner sa machine à vapeur. Après avoir favorisé les sprinteurs, il veut doubler la mise des coureurs échappés. Le vainqueur d'étape (y compris du contre-la-montre), en plus des deux minutes prévues, reçoit une rallonge de bonif égale à son avance sur le deuxième.
Les grimpeurs doivent aller chercher leur cadeau en haut des grands cols. Pas de bonification fixée à l'avance. Elle est égale à l'écart entre le premier et le deuxième au sommet. Mais que ce soit pour les arrivées ou pour les cols, le patron du Tour a prévu un plafond de deux minutes.
JACQUES GODDET TROP GENEREUX
H.D. a vu le désastre que pouvait engendrer ce règlement s'il n'était pas encadré. En 1932, le Grand Prix Wolber, encore lui, veut encore et toujours encourager l'égrenage du peloton avant l'arrivée. Si un groupe de quatre coureurs maximum arrive pour la victoire avec un temps d'avance sur les premiers poursuivants, ils reçoivent comme bonification cette avance divisée par le nombre de coureurs de l'échappée. Le 2e jour, Maurice Archambaud, futur recordman de l'Heure, gagne l'étape avec 13'23" d'avance. Comme il est seul, il ne les partage avec personne et se retrouve en tête du général avec un matelas de 26'46". La course de Jacques Goddet, directeur de course en herbe, est pliée.
La réalité du terrain ramène toujours les organisateurs et leurs tentatives d'influencer la course à l'immuable adage du vélo : ce sont les coureurs qui font la course.
Retrouvez tous les articles de notre dossier spécial Bonifications dans le Tour de France.