Virginie Jacob : « Pas que du négatif dans le confinement »

Crédit photo Amélie Barbotin

Crédit photo Amélie Barbotin

Comment profiter du confinement pour progresser alors que les sorties sur la route sont interdites ? Virginie Jacob-Dalla Costa aide des sportifs dont des cyclistes à répondre à cette question. “Il y a plein de petites choses à travailler actuellement qui serviront plus tard”, assure la Savoyarde qui a la casquette de psychologue et de préparatrice mentale. L’ancienne cycliste du Chambéry CC a répondu aux questions de DirectVelo.

DirectVelo : Les cyclistes vont pouvoir retourner sur la route le 11 mai prochain. Est-ce une libération pour eux ?
Virginie Jacob-Dalla Costa : Faire du home-trainer était déjà difficile pour certains avant même le confinement. Ça ne correspond pas à ce qu’ils aiment dans le vélo. Ils apprécient les grands espaces, les paysages... Pour certains, c’est donc plus difficile que pour d’autres car ils aiment d’autres aspects que l’effort. Par ailleurs, ce sont des compétiteurs, et ils ne savaient pas vraiment quand les courses allaient commencer. “Je m’entraîne sur home-trainer mais pourquoi ?”. Les objectifs sont lointains. Ils ne peuvent pas se tester par rapport aux autres alors c’est difficile. L’effort sur home-trainer n’a rien à voir avec celui qui est fait sur la route, même si le matériel est de plus en plus sophistiqué. Le fait de pouvoir rouler et sortir le 11 mai, c’est une bouffée d’oxygène pour tous les Français. Et pour certains sportifs, ça va les sauver.

À ce point ?
Ils restent sereins car c’est leur passion et leur métier pour certains. La motivation est présente car il y a potentiellement des courses qui peuvent arriver à partir d’août. Mais en même temps, une lassitude s’est créée. Ils sont toujours dans le même lieu, ce qu'il y a autour d’eux ne bouge pas. Ils font toujours le même type d’effort sur home-trainer. Il y a très peu d’endurance, c’est surtout de l’intensité. Il y a de la lassitude. Même s’ils font des courses sur Zwift, qui est un vrai petit challenge, ça ne remplace pas la vraie course. J’ai eu cette semaine des coureurs, pourtant très motivés, qui m’ont dit que c’était dur. Ils ont pris deux-trois jours sans faire de home-trainer car ils n’en peuvent plus. Mentalement, c’est difficile même s’il n’y a pas que du négatif dans le confinement.

À quoi penses-tu ?
Un sportif peut faire du renforcement musculaire. Ils font d’autres « sports ». Le gainage permet de combler des lacunes, comme des soucis au niveau du dos. Ça les aidera pour la suite.

« LES SPORTIFS ONT DAVANTAGE DE TEMPS »

Est-ce le discours que tu tiens à un coureur ?
En tant que préparatrice mentale, je ne dis jamais des choses aux athlètes. Je les fais réfléchir. Par exemple, je leur demande ce qu’ils peuvent optimiser dans cette période de confinement pour continuer de s’améliorer. Je les amène à réfléchir par eux-mêmes aux qualités qu’ils ont, et comment les optimiser grâce à des exercices. Aussi bien les qualités physiques, que techniques, tactiques, mentales, d’organisation ou relationnelles. Tout ce qui contribue à la performance. J’ai eu pas mal de demandes en préparation mentale. Ça demande du temps, et là ils en ont davantage.

As-tu eu plus de demandes qu’en temps normal ?
J’ai eu plus de demandes et surtout des demandes plus précises, et de tous sports. Ça concerne notamment l’imagerie mentale. Comment garder un lien avec ma pratique ? Les cyclistes s’interrogent notamment sur les descentes. Le ressenti n’est pas le même que sur un home-trainer. Ou comment garder le lien avec la compétition. J’ai eu des questions sur la confiance : comment la garder ou comment l’augmenter ? Il y a des exercices à faire là-dessus. Sinon, un coureur qui pensait aux Classiques se demandait comment améliorer sa connaissance des parcours de ces épreuves. Encore une fois, je ne donne pas les réponses. Je les fais réfléchir et je travaille avec eux sur la construction d’un protocole individualisé.

Quel est le principal risque pour un cycliste pendant le confinement ?
Pour un cycliste, le premier risque est de prendre beaucoup de poids. Quand nous avons tendance à nous ennuyer, les placards semblent proches… Ça peut aussi être une perturbation du rythme habituel, notamment de sommeil. Même si nous allons dormir plus tard, il ne faut pas se coucher à minuit. Il y a aussi la vie de famille ou de couple. Les cyclistes ne sont pas souvent chez eux. Pour certains, ils expérimentent cela et ça peut être perturbant. On se demande ce qu’on va faire de sa journée. L'entraînement ne dure pas 24 heures. Personne ne peut s’échapper… Mais c’est enrichissant.

« LE HOME-TRAINER PEUT GRILLER PHYSIQUEMENT OU MENTALEMENT »

Existe-t-il un « risque » mental à faire trop de home-trainer ?
Le risque est de faire trop ou alors pas assez de home-trainer. Certains ne se rendent pas compte que ça peut les griller, aussi bien physiquement que mentalement. Ils se battent contre la machine. C’est une sorte de contre-la-montre. Quand ils doivent rester à 360 watts avec la machine, il n’y a pas de descentes ou de moments plus faciles. La bataille contre la machine peut être euphorisante mais aussi déstabilisante.

Mais à l’inverse de beaucoup de sports, un cycliste peut se mesurer à des adversaires grâce aux plateformes virtuelles...
C’est intéressant. Je fais souvent le parallèle avec d’autres sports. Je pense au badminton où le sportif ne peut pas s’entraîner contre quelqu’un. Le cycliste, même tout seul chez lui, peut être dans une ambiance de compétition. Ce sont des compétiteurs, il ne faut pas grand chose pour les faire démarrer ! C’est un challenge, ça contribue à maintenir leur degré de motivation. Les autres sportifs avec qui je travaille ne peuvent pas le faire. Ces plateformes les mettent dans une situation qui s’apparente beaucoup à la réalité. S’ils sont complètement dedans, leur cerveau ne fait même pas la différence. Les pensées peuvent être identiques à celles qu’ils ont sur une course. Ils peuvent se dire par exemple “c’est dur, faut pas que je pète”.

C’est du dialogue interne…
Il est souvent négatif. Ils vont s’enfermer dedans et ont tendance à baisser les bras. C’est pour ça qu’on dit que la différence se fait au mental. Certains arrivent à s’encourager, et repartir sur des choses positives. Si un cycliste est envahi par le doute en temps normal en compétition, c’est intéressant pour lui de travailler sur le dialogue interne pendant une séance d’e-sport. Il faut apprendre tout de même à prendre du recul.

C’est un vrai risque…
Ce ne sont pas forcément les mêmes coureurs qui seront forts sur la route et en e-sport. Sur une plateforme, on ne peut pas déceler des informations sur son adversaire. Ces infos participent à la performance. On sait plus facilement quand c’est le bon moment sur la route… Il faut donc prendre du recul par rapport aux performances réalisées en ligne.

« L’ÉQUIPE PRO SAIT CE QUE FONT SES COUREURS ACTUELLEMENT »

Est-ce qu’un coureur pro en fin de contrat est l’athlète qui « souffre » le plus de la situation ?
J’aborde toujours le sujet de l’après-vélo avec eux, pour savoir s’ils y ont déjà pensé. Ceux qui sont en fin de contrat sentent s’ils vont être gardés ou non, même s’ils ont parfois des surprises. Ils le savent notamment avec les résultats de l’année précédente ou du début de saison. Le sérieux mis pendant le confinement est également important car il y a une équipe autour d’eux, ils ne sont pas seuls. L’équipe pro sait ce que font ses coureurs actuellement.

Il y a aussi la fin de saison à prendre en compte….
Moi, je leur demande l’objectif qu’ils se donnent pour cette fin de saison. Comment ils vont s’y prendre, les moyens qu’ils vont mettre en place pour atteindre leurs objectifs… Je leur demande aussi s’ils ont envie de rester ou non dans l’équipe, ce qu’ils recherchent s’ils veulent partir. Le choix peut être financier, et c’est normal, mais pas seulement. J’aborde avec eux la non-reconduction de contrat. Est-ce qu’ils y ont pensé ? Qu'est-ce qu’ils aimeraient faire ensuite ? Comment ça peut se passer par la suite dans la vie de couple ou de famille ? Pour certains, il y a de l’inquiétude. Ils ne se sentent pas prêts à arrêter. D’autres ont une carrière plus longue, et sentent qu’ils sont moins motivés. Parfois, physiquement, ils se sentent plus en difficulté pour récupérer et voient les jeunes qui poussent.

Qu’est-ce que ça changerait si la saison ne repartait pas ?
S’il n’y a pas de course, c’est qu’il y a derrière une vraie raison sanitaire. On est cycliste ok, mais il y a un danger. Bien sûr économiquement, ça sera compliqué si la saison ne repart pas. Les coureurs seraient vraiment inquiets. C’est leur travail et ils peuvent le perdre. Des coureurs vont rester sur le carreau. Si nous enlevons l’aspect sanitaire ou économique, j’avoue que je ne sais pas comment ils vont gérer la situation. Chacun est différent. Certains vont couper, avec un besoin de souffler, car ils ne pourront autant s’investir sans course et tenir un niveau d’exigence jusqu’à fin octobre. Les entraîneurs devront repenser autrement leur programme. Le fait de sortir s’entraîner sera une bonne chose. Mais pour ceux qui ont comme motivation première de courir, ça sera compliqué. Ils s’entraînent tous pour la compétition, mais pour certains c’est beaucoup plus que pour d’autres.

La relation entraîneur-entraîné est très importante pendant cette période...
Complètement. La relation entre un entraîneur et un coureur doit être de proximité. Le rôle de l’entraîneur est d’amener de la sérénité à l’athlète. Le coureur doit, lui, écouter les moments où il est moins bien. Il doit y avoir une adaptation des séances en fonction du moral du coureur afin que l’athlète garde sa motivation. Le rôle de l’entraîneur est fondamental. Il est censé très bien connaître le sportif. Il doit y avoir de l’écoute, surtout à cette période où faire du home-trainer peut être démotivant.

« LA SITUATION OBLIGE UN SPORTIF À ÊTRE TRÈS CRÉATIF »

Travailles-tu avec de nouveaux sportifs depuis le début du confinement ?
Il y a quelques nouveaux ou certains que je voyais une fois dans l’année dans une structure. Soit ils sont venus d’eux-mêmes, soit de la part de leur entraîneur. Ils ont plus de temps et ont saisi l’occasion. Nous faisons un premier entretien, puis nous débutons un travail. C’est toujours en réponse à des objectifs. J’ai deux casquettes. En psycho proprement dit, j’ai eu deux athlètes pour qui c’était vraiment difficile. Mais sinon, c’est surtout de la préparation mentale, ça aide les sportifs à garder le moral. Ils travaillent mentalement et se rendent compte qu’ils progressent. C’est une motivation pour eux de se dire qu’ils auront des acquis supplémentaires au niveau mental à la reprise. Ils se disent qu’ils passeront devant certains qui étaient au même niveau et qui n’ont pas fait de prépa mentale.

Les sportifs se posent-ils plus de questions qu’en temps normal ?
Ils se posent des questions sur leur reprise. Par exemple : “est ce que je vais tout perdre ?”. Également sur leur activité physique. Pour les sports d'intérieur, notamment de raquettes, ils se posent des questions sur leurs sensations. C’est là où l’imagerie mentale est intéressante. J’ai même une triathlète qui me dit qu’elle a progressé dans sa technique de natation alors qu’elle ne nage pas en ce moment. Juste avec l'imagerie mentale…Elle a fait le mouvement en se regardant dans un miroir ou en se filmant. Elle s’est rendue compte qu’elle ne fait plus l’erreur qu’elle commettait auparavant. La situation oblige un sportif à être très créatif, car son chez lui n’est pas forcément son lieu d’entraînement. J’ai deux jeunes en badminton qui prennent la haie pour un filet.

Et pour un cycliste ?
Un cycliste peut travailler sa gestuelle. Lors d’une séance d’intensité, il peut tourner les jambes de manière carrée. Il peut le travailler sur home-trainer pour s’améliorer. Il peut aussi relâcher son corps en plein effort pour éviter de gaspiller de l’énergie. Pour relâcher son corps, il peut être utile de fermer les yeux. C’est le bon moment pour le faire. Quand on en a pris l’habitude, ça vient tout seul à partir du moment où nous l’avons décidé… Il y a plein de petites choses à travailler actuellement qui serviront plus tard.

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