Michel Callot : « La démagogie fait du mal à nos clubs »
Quand le conseil municipal de Plumelec a rejeté l'organisation du Championnat de France 2020 à la mi-juin, les chances d'organiser la course au maillot tricolore à la date du 23 août semblaient minces. Pourtant les services de la FFC avec le comité d'organisation et la Région Bretagne ont réussi à rebondir à Grand-Champ (lire ici).
Michel Callot, en marge de ces Championnats, revient pour DirectVelo, sur l'importance d'organiser des Championnats en France et sur les dossiers à venir de la FFC.
DirectVelo : Qu'est-ce que ça représente de pouvoir organiser un Championnat de France cette année ?
Michel Callot : Un Championnat de France Elite pour les hommes et les femmes, c'est devenu exceptionnel dans le sport français cette année. Par rapport à ça, c'est une performance d'avoir pu aller jusqu'au bout de la démarche et d'organiser une manifestation de cette nature.
Pour la fédération cela permet à nos meilleurs coureurs de s'exprimer, à leurs équipes de se rendre visibles à travers la compétition suprême sur le territoire national. C'était essentiel à mes yeux qu'il n'y ait pas cette perte de chance de pouvoir courir un Championnat de France dans cette année si particulière.
Et organiser le Championnat d'Europe en France qu'est-ce que ça apporte à la fédération ?
Il faut être objectif. C'est une opportunité dont on a bénéficié plus que quelque chose qu'on a provoqué, contrairement au Championnat de France qu'on a complètement porté. C'est une chance d'avoir chez nous une grande fête du vélo qui s'est prolongée en Bretagne pendant plus d'une semaine. Ça donne un éclairage sur le cyclisme en France. Et pour nos coureurs, c'est l'avantage de jouer à domicile.
DES ÉCONOMIES ET UNE RÉDUCTION DU CONTRAT D'ASSURANCE
Où en sont les finances de la FFC après cette longue période sans course ?
La perte de chiffre d'affaires est importante. Notre budget est réduit de 3,7 millions d'euros. Mais nous avons mobilisé un certain nombre de solutions pour éviter une situation dramatique pour la fédération. Première solution, faire le maximum d'économies. Nous avons ainsi utilisé les dispositifs publics de chômage partiel avec le consentement des salariés qui ont été consultés et qui ont fait preuve d'une belle solidarité. Nous avons économisé sur les frais généraux. Les dépenses liées à l'activité sportive se sont comprimées toutes seules puisqu'il n'y avait pas de déplacement de l'équipe de France. Tout ça a permis de compenser une partie des pertes. Nous avons aussi mené deux négociations importantes qui ont porté leurs fruits : la première avec notre assureur à qui nous avons réussi à faire entendre que, n'ayant pas eu de compétitions ni d'entraînements pendant longtemps, ça justifiait une très forte réduction du contrat d'assurance. La seconde avec l'Agence nationale du sport, nous avons trouvé un arrangement financier qui nous permet d'assainir l'exercice 2020. Au bout du compte, la fédération devrait finir l'exercice à l'équilibre, sans casse importante, là où on avait budgété un excédent de 300 000 euros, à un moment où on a juste commencé à reconstituer nos fonds propres. C'est important de ne pas casser cette dynamique. Mais nous avons la capacité de financer un vrai plan de relance notamment à destination des jeunes et des organisateurs qui sont nos deux priorités.
Que prévoit ce plan pour les organisateurs ?
Nous allons passer une convention avec chaque comité régional pour qu'ils puissent réinvestir une partie de l'argent économisée sur l'assurance au profit des organisateurs. Chaque région doit nous proposer son propre plan plutôt que d'avoir un plan unique car il y a une telle diversité de structuration du cyclisme sur notre territoire qu'il est important que chaque comité utilise le mieux possible cette manne pour pouvoir aider là où c'est utile.
« UN ENTHOUSIASME À RETROUVER LA COMPÉTITION »
Quelles sont les remontées des comités de l'application du protocole sanitaire décidé par la FFC ?
C'est compliqué pour plusieurs raisons. D'abord ça rajoute des lourdeurs parfois importantes dans les organisations. On le voit dans certaines interpellations de clubs organisateurs à qui on transfère des charges supplémentaires. Même si on essaie de donner le maximum de précisions et en essayant de doser les mesures à mettre en oeuvre, sans être excessif mais en sécurisant les organisations. Là ça rejoint la deuxième difficulté : le territoire français est loin d'être homogène. La difficulté par rapport à la circulation du virus plus ou moins forte selon les territoires, ce sont les réactions de préfets ou de maires qui sont différentes selon les territoires. Cela nous oblige à accompagner les organisateurs pour s'adapter à des demandes qui peuvet être plus complexes.
Comment répondent les clubs ?
Dans ce contexte, je suis très satisfait de la manière dont réagissent nos clubs. D'abord ceux qui organisent. Leurs témoignages montrent qu'ils ont du plaisir à le faire. Il y a une satisfaction morale à vaincre tous les obstacles et réussir à organiser. Et à travers nos clubs ce sont nos pratiquants. On n'a jamais eu depuis des années autant de monde dans les pelotons au mois d'août. Il y a bien sûr la privation qu'il y a eu auparavant mais ce que j'entends c'est qu'il y a un enthousiasme à retrouver la compétition et la vie associative. Ce sera sans doute un des enjeux de la sortie de crise pour tous les sports, c'est de poursuivre cet élan de partager quelque chose dans un club et ne pas rester chez soi sur son ordinateur dans des liens virtuels.
« JE NE PENSE PAS QUE LE VIRTUEL SE SUBSTITUERA AU RÉEL »
Justement, pendant le confinement les plate-formes se sont développées. Est-ce qu'à terme elles peuvent être une concurrence pour les clubs, et pour la fédération par ricochet ?
Mon état d'esprit, que ce soit dans ma vie professionnelle ou associative, est de ne jamais refuser le progrès. En revanche, il faut être le plus malin possible pour en faire un outil qui serve notre cause et dégage un certain nombre de services complémentaires que nous pourrons mettre à disposition de nos clubs pour leur faciliter la vie et leur organisation.
Après, se dire qu'on puisse pratiquer le sport cycliste dans son garage sur une application qui virtualise les parcours, avec des défis à plusieurs, je pense que ça a ses limites et le confinement l'a aussi montré. A la fois c'était une soupape, c'est moins ennuyeux que de faire du vélo tout seul, mais on voit bien qu'il y a une vraie envie de retourner sur la route depuis le déconfinement. Le vélo est intimement lié à la nature, à la liberté qu'il procure. Je ne pense pas que le virtuel se substituera au réel. Mais ça peut être certainement un complément pour certaines phases d'entraînement.
Pendant le confinement la fédération et la DTN ont fait le choix de refuser l'aspect compétition sur ces plate-formes. Est-ce que la FFC n'a pas pris du retard sur ce terrain ?
Nous avons un partenaire, Kinomap, avec lequel on travaille, qui proposait des formats de compétition mais nous avons refusé d'y aller pour des raisons éthiques liées au sport. Aujourd'hui, nous ne sommes pas capables d'assurer l'équité de ces compétitions et ça me gêne en tant que dirigeant sportif. Il y aussi des problèmes de sécurité. Comment peut-on contrôler l'état de santé des participants qui n'ont pas de certificat médical ? Je crois qu'aujourd'hui nous ne sommes pas encore assez mûrs technologiquement pour aller vers la compétition. Il faut que ça progresse encore un peu sur la technologie.
DÉCHETS : L'EXEMPLE DOIT VENIR DES PROS
Aux dernières élections municipales, plusieurs maires écologistes ont été élus et devront donc autoriser, ou pas, des courses cyclistes. Est-ce que c'est l'occasion pour le vélo de montrer qu'il prend au sérieux la question des déchets ?
On a besoin d'évoluer sur notre "Responsabilité sociétale et environnementale", comme le font les entreprises. Il faut le faire en concertation avec les grands acteurs du cyclisme. L'impact auprès du public et de ceux qui défendent la cause écologique est d'autant plus fort que la course est médiatisée. C'est sûr que quand on voit un professionnel jeter son bidon au fond d'un ravin ça choque de plus en plus. Il faut travailler avec les professionnels et faire redescendre vers les amateurs les bonnes pratiques. Au niveau de la fédération, on prépare un certain nombre de mesures qui vont en ce sens et qui s'associent à notre plan mobilité que nous proposons aux collectivités qui veulent se tourner vers le vélo. On agit sur deux axes. Le premier, on sait que le sport cycliste peut générer quelques nuisances, il y a trop de véhicules dans les courses, on va faire des propositions sur ce sujet. Et en même temps on propose aux collectivités de les accompagner pour privilégier l'utilisation du vélo dans les déplacements.
En parlant des déplacements, des militants d'associations de cyclistes se sont fait entendre pour demander la possibilité de se déplacer à vélo pendant le confinement. Est-ce que ce qui manque à la fédération c'est d'avoir des militants et pas seulement des licenciés ?
Je voudrais en profiter pour expliquer la position de la fédération pendant le confinement. La FFC a rappelé à chaque fois qu'elle a communiqué, qu'il était préférable de prendre son vélo pour faire ses courses ou aller au travail. Nous sommes cohérents avec notre discours de privilégier le vélo comme moyen de transport. Mais pendant le confinement, et encore maintenant, il m'apparaît inapproprié de militer pour faire du sport cycliste parce que nous étions dans un effort national et il était indispensable que chacun participe à cet effort national.
La question des militants est une question de fond. Si on prend la FUB (Fédération des usagers de la bicyclette) avec laquelle on s'entend bien, c'est une organisation dont l'objet est de militer en faveur de la pratique du vélo sous toutes ses formes. Ce n'est pas l'objet de notre fédération. La FFC a délégation de service public pour organiser le sport cycliste en France, pas la pratique du vélo.
CONCURRENCE DANS LE MARCHÉ DE LA MOBILITÉ
Êtes-vous en concurrence avec ces associations ?
Dans le contexte des enjeux écologiques, on a tout intérêt à avoir un maximum de nos concitoyens qui fasse du vélo. Quand le vélo était utilisé par l'immense majorité des Français au quotidien, dans l'après-guerre, le cyclisme était extrêmement populaire. Si après-demain l'immense majorité de Français prend le vélo pour aller faire les courses, travailler ou se ballader le dimanche en famille, naturellement le sport cycliste sera renforcé et plus de personnes s'intéresseront à la compétition. Sans vouloir prendre la place d'associations militantes, nous pouvons à leur côté, chercher des solutions pour que le vélo soit plus utilisé. Nous pouvons participer au plan vélo de l'Etat, mettre en place une offre mobilité pour les collectivités et les entreprises mais il y a beaucoup de concurrence. Il faut arriver à se faire une place dans cet univers. Il faut se rendre compte, et nos clubs le savent très bien, que ceux qui nous commandent un travail pensent qu'il doit être gratuit, parce que "l'association elle fait gratuitement". Sur ces sujets-là, il faut arriver à changer cette approche pour exploiter nos compétences, celles des clubs et des comités, car c'est le meilleur moyen de pérenniser les emplois dans nos structures fédérales et c'est par la pérennisation de ces emplois qu'on parviendra à élargir notre champ d'activité.
Pour les jeunes qui ne sont pas intéressés par la compétition (lire ici), est-ce que l'institut de formation imagine de nouvelles activités à proposer à ces jeunes ?
Il faut y aller par étapes car ceux qui mettent en oeuvre tout ça, ce n'est pas le siège fédéral mais les clubs. Il faut arriver petit à petit à amener les clubs à trouver un intérêt à faire autre chose que de la seule compétition. Il y a des portes d'entrées bien définies au sein de la fédération : le sport santé et le savoir rouler. Pour le savoir rouler, on a ajouté pendant le confinement un cursus de formation sur les coachs mobilité qui permettent d'aller aussi sur la remise en selle des adultes qui reviennent vers le vélo, et en particulier le vélo à assistance électrique. Ensuite, il y a un enjeu devant nous mais qui est difficile dans le changement de culture de nos clubs c'est effectivement d'encadrer de la pratique cycliste, qui peut être même de bon niveau, mais qui est sans but de compétition. Et ça passe par des temps d'activité à des moments où nos clubs pensent à autre chose, et notamment le week-end. Le week-end nos clubs sont concentrés vers la compétition, or c'est là où les gens ont le temps de pratiquer. On va essayer d'amener d'autres outils, d'autres applications pour aider nos clubs mais on ne peut pas les contraindre, il faut que ça émane des clubs. Le travail de la fédération c'est de faire le maximum pour que les clubs aient des outils en main pour pouvoir le faire.
NE PAS SOMBRER DANS LA DÉMAGOGIE
Est-ce que vous allez vous représenter à la présidence de la FFC ?
Je n'ai pas annoncé ma candidature car le calendrier de l'année a été chamboulé (voir ici). Nous avons fait un congrès à Roanne en début d'année qui a été très important. J'ai senti une dynamique excellente au sein de notre fédération et quinze jours après on a été confiné. On s'est battu et on se bat encore avec nos équipes pour sauver un maximum de choses dans cette saison. On va essayer de finir le mieux possible cette saison et ensuite on se tournera vers les élections et on prendra les décisions qui conviennent à ce moment-là.
Est-ce que vous vous attendez à avoir des concurrents ?
Pour le moment je ne suis pas candidat mais qu'il y ait plusieurs candidats pour la présidence de la fédération, c'est tout à fait possible. Je n'ai aucun souci avec ça, ce n'est pas un problème si des projets se manifestent. Ce que je souhaite simplement c'est que chacun prenne bien ses responsabilités, puisse manifester ses envies pour la fédération à travers la construction de projet suffisamment réaliste et surtout qu'on évite de sombrer dans la démagogie. Parce que cette démagogie fait du mal à nos clubs. Elle fait du mal à des dirigeants qui n'ont pas le temps d'aller vérifier toutes les informations et qui voient passer des choses mensongères et agressives par rapport à leur fédération. On risque davantage de démobiliser que de mobiliser pour notre sport. Ce qui m'importe c'est d'avoir le maximum de dirigeants de clubs qui aient cette foi chevillée en eux pour organiser des courses, accueillir et détecter des jeunes, tout ce travail génial qui se fait dans les clubs. Ma seule crainte est qu'on ne doit pas sombrer dans des propos qui seraient systématiquement démagogiques ou destructeurs pour notre fédération. Je suis tout à fait lucide sur le fait qu'il y ait plein de choses à construire et améliorer, c'est normal, c'est la vie des institutions, mais on peut le faire dans le cadre d'un débat construit, structuré mais sans pour autant chercher à casser pour casser.