Centre Mondial : « Les médailles, c'est 20% de notre travail »
Au Championnat du Monde sur route en Flandre en septembre dernier, l'équipe du Centre Mondial du Cyclisme participait au relais mixte. Une belle vitrine qui ne représente qu'un aperçu du travail du CMC, qui a vu le jour en 2002 à l'initiative d'Hein Verbruggen. Ce centre d’entraînement et de formation de haut niveau reconnu par le Comité International Olympique (CIO) accueille chaque année des stagiaires et des sportifs professionnels. Son directeur Vincent Jacquet fait le point sur les activités et les objectifs du CMC avec DirectVelo.
DirectVelo : Que ressens-tu quand on voit Biniam Girmay, passé par le CMC, arriver dans le WorldTour ?
Vincent Jacquet : C'est une vraie fierté mais c'est une partie du chemin. Une fois qu'il y a ça, le travail n'est pas fini parce qu'il y a beaucoup de jeunes talents qu'on a placés dans des équipes pros qui ont été rapidement déboussolés. Il faut encore les accompagner. Il faut aussi que l'on puisse derrière, par rapport à ces profils assez particuliers, garder un œil sur eux, sur ce qu'ils vont devenir. J'insiste sur un deuxième sujet qui n'est pas lié qu'à l'entraînement, c'est la formation. Il faut qu'ils puissent repartir avec des diplômes. Une carrière peut être très éphémère. C'est l'ADN du Centre Mondial : nous cherchons à leur garantir un minimum de diplômes. Lorsqu'ils retournent dans leur pays, ils peuvent y développer le cyclisme. Il y a de nombreux métiers dans le cyclisme : cycliste professionnel pour très peu d'entre eux, mais aussi coach, mécanicien, commissaire, développeur d'activités. C'est ça qu'on essaie de voir aussi lorsqu'on a des athlètes qui passent chez nous, comment on peut les aider à anticiper l'avenir.
Il existe une équipe Continentale féminine, Centre Mondial du Cyclisme (WCC Team), depuis 2019. Verra-t-on la même chose chez les hommes ?
Nous avons estimé que notre focus devait être vraiment engagé sur la valorisation, l'accompagnement et le développement du cyclisme au féminin. Même si les différences homme-femme tendent à se réduire, il y a beaucoup moins de moyens à l'heure actuelle qui puissent permettre à des filles d'Afrique, d'Amérique Latine, d'Asie de trouver une équipe dans le giron européen et de s'insérer aussi rapidement. L'équipe Continentale est en fait un relais, d'une part pour faire monter les filles en gamme, et d'autre part les faire connaître pour qu'elles puissent ensuite avoir la chance, à l'instar de Teniel Campbell, de trouver une équipe du WorldTour et d'être professionnelle. Chez les garçons, nous sommes sur une autre dynamique. On est sur le fait de pouvoir détecter, former et les faire venir au sein de l'UCI pour avoir un relais avec les équipes et qu'ils puissent courir en Europe. C'est de l'approche un peu plus individualisée, et donc pas par la création d'une équipe, qui nous permet, derrière, de pouvoir assez rapidement les positionner dans des équipes du plus haut niveau Amateur, Continental ou même WorldTour, si les résultats sont vraiment excellents.
On a remarqué la présence de Juniors africains aux Mondiaux sur piste au Caire en Egypte en août dernier. Le CMC a-t-il joué un rôle là-dedans ?
Cela ne veut pas dire que l'ensemble des athlètes étaient au niveau. Nous avons pu les détecter au mois de mars lors des Championnats continentaux. On les a sélectionnés pour un camp d'entraînement qui a duré plus de deux mois et demi avant ces Championnats du Monde. Il y a quand même un écart avec les meilleurs, mais on part de très loin. En Afrique, on a trois pistes qui tiennent la route : Le Caire (Egypte), Paarl (Afrique du Sud) et Abuja (Nigeria). Ce sont trois vélodromes couverts qui nous permettent de commencer le travail. C'est peu. On a des vélodromes, ou plutôt des anneaux cyclistes, au Burkina Faso par exemple. Casablanca (Maroc) a un vélodrome classé au patrimoine historique du Maroc. Aujourd'hui, réellement, la piste est un vrai pari mais derrière, on a des équipes qui sont structurées pour pouvoir accompagner cette jeune génération.
PLUS DE CENTRES SATELLITES D'ICI 2030
Des centres satellites ont été créés, quel est leur rôle par rapport au CMC ?
Ce sont nos relais. L'activité du Centre Mondial, en ce moment, en Suisse, c'est 10% de ce qu'on peut faire dans le monde. Grosso modo, toute l'activité de détection, d'éducation, d'entraînement des jeunes talents, elle doit se faire dans les continents. Mais la partie immergée de l'iceberg, ce sont ces 90% qu'on fait en lien avec nos fédérations qui sont dans ces continents et qui sont affiliées à l'UCI. Les satellites, ce sont des relais, des centres d'entraînement qui nous permettent de pouvoir, en lien avec la confédération, et avec la fédération qui accueille ce centre, mettre en place des moyens pour que tout ce travail de base, de détection, de formation et d'entraînement des jeunes, se fasse dans leur pays. Cela n'a pas de sens de faire venir un gamin de 14, 15 ou 16 ans en Suisse alors que nous savons que 10% d'entre eux vont passer au niveau pro. L'objectif des satellites est de créer un réseau à l'échelle internationale pour qu'on puisse avoir des bases d'entraînement, qui nous permettent de pouvoir former ces gamins. Si, par chance, on a un vrai talent, on l'accueille au CMC, et s'il s'avère qu'il ne sera pas sur du haut niveau ou du professionnel, on essaie de voir comment on peut réinvestir tout ce temps dans les projets à développer dans le pays dont il est issu.
Combien de centres satellites avez-vous ?
C'est disparate. C'était un sujet du Comité Directeur. J'ai à charge de pouvoir présenter, au mois de janvier 2022, une stratégie des centres satellites. Nous avons trois centres en Asie, un seul en Afrique et un en Amérique du Sud (NDLR : à Potchefstroom (Afrique du Sud), Shuzenji (Japon), Yeongju (Corée du Sud), New Delhi (Inde) et Mar del Plata (Argentine)). L'objectif est d'avoir au moins un centre satellite par continent. Toutefois, nous avons des continents qui nécessiteraient plusieurs centres, comme l'Asie qui a plusieurs zones et régions. En Afrique, pour bien faire, il nous en faut cinq, aux quatre points cardinaux et un dans le centre. En Amérique, quatre aussi correspondant aux quatre régions (zones caraïbe, centrale, sud et nord). Nous nous fixons cet objectif pour 2030. En 2025, nous ferons un premier bilan.
PASSER DE LA LOGIQUE DE MÉDAILLE À CELLE D'ACTIVITÉ
Mis à part le rééquilibrage géographique des centres satellites, quels sont vos objectifs à court, moyen et à long terme ?
L'autonomisation des fédérations. Il y a un gros travail sur la mise à disposition d'outils pour nos fédérations pour les aider à mettre en place leur projet. Le CMC est un outil de l'UCI pour développer ses pratiques dans le monde : que ce soit des disciplines olympiques, du haut-niveau ou du sport pour tous. C'est notre fil conducteur. On est sur du court, moyen et long terme à la fois. Nous avons maintenant 201 affiliations (avec le Vatican, le Soudan du Sud, la Guinée Equatoriale et les Iles Salomon), c'est-à-dire les fédérations qui respectent ses règles, ses statuts, sa constitution et qui travaillent avec nous pour être notre ambassadeur du cyclisme dans leur pays. Un tiers d'entre elles sont actives et développent de l'activité. Un autre tiers a besoin d'accompagnement pour se mettre en ordre de marche, se développer. Le dernier tiers, on doit aller les chercher et leur dire d'avancer. On peut déjà travailler avec 150 fédérations.
Pourquoi certaines ne veulent-elles pas travailler ?
Ce n'est pas un manque de volonté, mais plutôt une question d'histoire et de culture. C'est impossible de faire des copier-coller. Chaque fédération est singulière, comme chaque athlète d'ailleurs. Ensuite, il lui faut le temps et peut-être les bonnes personnes. On peut avoir une fédération affiliée avec des gens qui ne sont pas formés. Ils sont peut-être passionnés, mais ne savent pas élaborer un projet de développement ou établir un budget. Mais on a des passionnés, ça, on le sait. À nous de les accompagner, par le biais du CMC, pour leur donner un maximum d'outils, les faire monter en compétence, pour qu'on puisse avoir un minimum d'activité dans ces pays.
Vous êtes en place comme directeur depuis décembre 2019. Malgré la pandémie de coronavirus, quel bilan personnel tirez-vous ?
Le CMC a été très concentré sur les résultats, les médailles et les podiums. Je sais que ça fait partie de la vitrine, ça fait partie de ce qui peut attirer, mais c'est 20% de notre travail. Je veux qu'on passe de la logique de médaille à celle d'activité. Derrière, on a 80% à assumer : c'est comment, par le biais du CMC, on arrive à mettre en place des programmes de formation, de développement et comment on peut accompagner nos fédérations nationales à devenir autonome et à créer leurs propres projets. Pour la partie internationale, je remarque qu'il y a de la place pour la détection, du développement et du haut niveau. Pour la partie locale, il ne faut pas oublier que le CMC, ce sont des partenaires suisses qui l'ont financé. Il faut mettre en place tout une logique de centre d'entraînement, d'activité pour les écoliers, les camps de vacances, le loisir. Le CMC est ouvert aux pratiques pour tous. Ce n'est pas un choc des cultures, c'est une évolution que l'on souhaite mettre en place pour que le CMC ne soit pas uniquement reconnu pour les médailles qu'il a obtenues, mais pour le travail qu'il impulse auprès de ses fédérations nationales.