Jean-René Bernaudeau : « Il fallait que l’on réagisse »

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Le Vendée U réalise un très gros début de saison et c’est un vrai sursaut pour ce club historique du peloton amateur, qui était plus en retrait ces deux dernières années et qui est actuellement large leader du Challenge BBB-DirectVelo par équipes (voir classement). Cette grande réussite actuelle trouve plusieurs explications et notamment celle d’une véritable remise en question l’hiver dernier au sein de l’infrastructure. C’est aussi le fruit d’un travail de fond entamé il y a plusieurs années. La prochaine étape sera-t-elle désormais obligatoirement de voir l’équipe réserve changer de statut et atteindre le niveau Continental ? Les critères pour passer du Vendée U à la maison mère ont-ils évolué ? DirectVelo fait le point avec le manager des équipes TotalEnergies et Vendée U, Jean-René Bernaudeau, et il y est - comme toujours avec l’ancien meilleur jeune du Tour de France 1979 et équipier de Bernard Hinault - question de beaucoup d’humanité et de valeurs, autant que d’une dimension purement sportive. Entretien.

DirectVelo : Le Vendée U semble retrouver de sa superbe depuis le début de l’exercice annuel après une période plus délicate ces dernières saisons. Comment l’expliques-tu ?
Jean-René Bernaudeau : Plusieurs décisions majeures ont été prises. D’abord, le même code couleur que les pros, pour montrer l’appartenance. C’est une évidence et une attirance supplémentaire pour les Juniors qui seraient intéressés pour rejoindre la structure. On est la seule équipe qui prend des néo-pros qui viennent exclusivement de notre réserve, faut-il le rappeler. C’est une règle qui a été établie depuis la création. C’est aussi, surtout maintenant, l’évolution d’un pôle performance de l’équipe pro dont bénéficie également le groupe des amateurs. Et troisième point : il y a eu une remise en question évidente. Tout ça donne de l’attractivité. On a une grosse cuvée de 18/19 ans qui nous fait vraiment plaisir cette année. Il y a eu beaucoup de postulants et il a fallu faire des choix. Ces choix ont été bons. N’oublions pas non plus que l’on a changé de marque de cycles en août dernier et qu’il y a eu un gros recrutement au sein de l’équipe pro. Tous ces éléments-là peuvent servir de début d’explication et expliquer, à mon sens, le succès actuel.

Qu’est-ce qui marchait moins bien les années précédentes ?
D’abord, il y a un marché qui n’est pas extensible. On peut faire ce qu’on veut mais à un moment donné, je pense qu’il faut aller chercher à la base, dès les Minimes, Cadets et Juniors et chercher à développer le nombre de licenciés. Pour le reste, il faut admettre qu'en matière de structure, on avait pris du retard. Chambéry (le CCF devenu AG2R Citroën U23, NDLR) était déjà très attractif, avec le même maillot etc. Même chose pour la Groupama-FDJ et sa Conti. De notre côté, on s’est affaibli et il fallait que l’on réagisse. Je suis très heureux du travail de Maxime Robin avec le pôle performance. À cette époque des sites internet et des réseaux sociaux, les meilleurs jeunes savent qui on est maintenant. On l’a fait savoir. On s’est adapté.

« JE COMPTE BEAUCOUP SUR L'ÉDUCATION »

Il fallait donc se renouveler tout en gardant l’esprit qui a toujours été celui du projet dans sa globalité…
Il y a une équipe extrêmement jeune cette année, avec du culot et de la bonne insouciance. Le sport de haut niveau, c’est très compliqué, mais l’impact du pôle performance peut être dangereux si on ne comprend pas que le sport, c’est aussi du plaisir. C’est un mariage assez subtil. On a fait savoir que notre histoire ne changerait pas. Le but, c’est de la développer sans la bouleverser. On a aussi beaucoup de jeunes qui postulent avec les parents qui suivent ça derrière. Je compte beaucoup sur l’éducation. Un potentiel se mesure aussi sur l’aspect humain. On veut savoir qui est l’homme derrière le coureur. On veut savoir pourquoi les parents viennent emmener leurs gamins, quelle est l’implication derrière, quelle est l’éducation… Le sport, ce n’est pas que pour l’argent. Ce doit aussi être pour s’accomplir humainement et pour aller au bout de certains rêves. Quand on a 18 ans, on ne se fixe pas de limites et nous, on est là pour accompagner ces jeunes qui rêvent.

Damien Pommereau ne fait plus partie du staff du Vendée U cette année et c’est, également, un bouleversement majeur…
Morgan Lamoisson m’a donné beaucoup de satisfactions. Je lui ai demandé de prendre les rênes de l’équipe. Partant de là, il devait lui-même recruter son adjoint. Et je pense que Hervé Arcade est extrêmement complémentaire avec Morgan. Hervé est un garçon très humain et hyper compétent. Il y a un bon mix de technologie, de coaching et de confiance. Son parcours est très long avec le Vendée U, il a un bagage énorme. Ça doit faire envie et d’ailleurs, on a déjà des demandes prometteuses pour l’an prochain.

Serez-vous plus exigeants pour le recrutement de néo-pros ?
La priorité absolue reste le Vendée U. On ne peut pas se passer de talent. Il n’y a pas de règles pré-établies. Il peut n’y avoir aucune recrue l’an prochain, mais on pourrait aussi faire passer cinq coureurs d’un coup ! Il n’y aura jamais de quotas chez nous, c’est une évidence. Quand on voit ce qu’a fait Sandy Dujardin l’an dernier… Il est arrivé avec une extrême envie qui a déteint sur tout le monde, dans le bon sens du terme. Il est le reflet de la société, Sandy. C’est quelqu’un qui se cherchait mais il a pris son courage à deux mains en quittant sa région et en venant chez nous. Il savait qu’il avait des chances de passer pro en venant chez nous puisqu’on ne va jamais chercher ailleurs. Sandy a pris beaucoup de risques, et c’est un exemple que je donne beaucoup aux jeunes gamins depuis quelques mois.

« LES PROS, CE N’EST PAS UN MONDE QUI ME DONNE BEAUCOUP DE SATISFACTIONS »

Il n’a pas eu un parcours classique malgré tout puisque contrairement à la plupart des coureurs passés par le Vendée U, il n’est arrivé dans la structure qu’à 23 ans…
Je ne veux pas tomber dans le jeunisme extrême. Surtout pas ! Je ne suis pas d’accord. Pour moi, les coureurs très jeunes qui performent d’entrée chez les pros sont des exceptions et non pas des exemples. Les scientifiques disent que pour un sport endurant comme le nôtre, c’est le plus souvent entre 24 et 35 ans… J’ai plein d’exemples de coureurs qui ont fait une très belle carrière en passant pro à 23 ou 24 ans. Il faut que les jeunes y croient. Sandy est arrivé plus tard et on voit bien que ce n’est pas un handicap. Si demain, la priorité de toutes les équipes pros devient d’aller chercher les meilleurs Juniors, on n’aura plus qu’à se demander si la catégorie Espoirs ne doit pas disparaître.

Tu cites l’exemple de Sandy Dujardin, qui réalise un très bon début de saison pour ses débuts chez les pros. La victoire d’étape de Mathieu Burgaudeau, à Aubagne, lors du dernier Paris-Nice était un autre très bel exemple de la réussite du projet dans sa globalité ! 
Cette victoire de Mathieu, ça permet de valider la pyramide. Je vis dans le monde des pros et ce n’est pas un monde qui me donne beaucoup de satisfactions, à vrai dire. Mais je pioche ces satisfactions dans l’équipe des jeunes amateurs et quand je vois Mathieu gagner sur Paris-Nice, ça valide notre équilibre et tout notre travail. Mathieu ou Sandy valident notre façon de faire et ça doit pousser les jeunes de demain à vouloir les imiter.

Plusieurs des coureurs récemment passés par le Vendée U puis par le Team TotalEnergies n’ont en revanche pas connu la même réussite. Ils n’ont, pour certains, fait que deux ans chez les pros avant de redescendre chez les amateurs ou de tout bonnement arrêter le vélo. Comment expliques-tu ces échecs ?
Le pôle performance est très récent chez nous. Il est là depuis deux ans. Avant, on n’en avait pas les moyens. Je pense que c’est un début d’explication. Aujourd’hui, on est capable de mesurer les marges de progression d’un coureur, ce qui n’était pas notre cas auparavant.

« ÉLARGIR ENCORE LA BASE DE LA PYRAMIDE »

Autrement dit, certains des coureurs passés du Vendée U au Team TotalEnergies étaient déjà "au taquet" au moment de passer pro ?
C’est ça, exactement. Évidemment, je n’ai pas de réponses personnelles mais c’est ce qu’il ressort des études de Maxime Robin qui nous sont particulièrement utiles. En sachant que chez les pros, il y a aussi l’aspect mental qui est moins perceptible. Il faut aussi être capable de supporter une certaine pression propre au sport de haut niveau.

Faire monter le Vendée U au niveau Continental est-il devenu une évidence, voire une obligation ?
Il y a une logique qui va vers ça, c’est sûr. Mais il faut l’argent pour le faire. Le Vendée U est déjà une structure semi-pro. Cette année, on a un événement Minimes et Cadets tous les week-ends, avec un club Vendée très puissant chez les Juniors pour les épreuves internationales. Ça, c’est mon rêve : je veux élargir encore la base de la pyramide et accomplir ça avant de tirer ma révérence. Ce n’est pas simple car le bénévolat est très malmené. Pour autant, avoir cette base Minimes/Cadets, le club Vendée Juniors et une Conti pour les Espoirs serait la suite logique.

Est-ce envisageable pour 2023 ?
C’est un problème d’argent, mais il n’y aurait pas besoin de beaucoup plus pour que le cap se passe. Mais encore une fois, ce serait aussi grâce au travail de bénévoles qui œuvrent énormément. Je tiens toujours à le préciser : j’ai beaucoup d’émotions quand je vois Rémy Turgis passer ses week-ends sur le bord des routes, donner le sourire à tous ces jeunes coureurs. Je pense aussi à Alain Petit, qui s’occupe de la Boucle de l’Artois. J’ai beaucoup d’admiration pour ces gens-là et pour le travail de l’ombre qu’ils réalisent.

« IL Y AVAIT UN PEUPLE DERRIÈRE, IL Y AVAIT UNE IDENTITÉ »

Imagines-tu, à terme, une Conti du Vendée U qui recruterait autant de coureurs étrangers que la Conti Groupama-FDJ ?
Je ne peux pas trop répondre à cette question. Ils ont leur stratégie, j’ai la mienne. Il faut poser la question à Marc Madiot… Tout ce que je peux dire, c’est que cette histoire est née dans le but de donner aux jeunes vendéens la même chance que j’ai moi-même eu auparavant. La priorité sera toujours ma Vendée et ma région. Puis la France. Et après, l’étranger…

Mais est-il possible d’espérer rester compétitif au plus haut niveau mondial en limitant son recrutement à une certaine zone géographique ? On se souvient, par exemple, que l’équipe Euskaltel-Euskadi avait longtemps tenu à ne recruter que des coureurs basques ou formés au Pays basque, avant de s’ouvrir aux coureurs étrangers pour tenter de rester en première division mondiale…
C’est une question et une remarque très intéressante. Ma réponse est très simple : selon moi, l’équipe Euskaltel s’est perdue avec le recrutement à tout va de coureurs étrangers pour avoir des points UCI. Et ça a tué cette très belle équipe ! Se maintenir à tout prix dans l'Élite, est-ce utile dans ces conditions-là ? L’UCI devrait se poser la question. L’équipe Rabobank, c’était la plus belle équipe des Pays-Bas, en quelque sorte. Elle avait une vraie identité. Aujourd’hui, elle n’existe plus et je trouve ça bien dommage (la formation Jumbo-Visma est aujourd’hui la suite de la Rabobank et compte 16 coureurs néerlandais dans un effectif total de 29 éléments. Rabobank avait à l’époque une plus large influence et patronnait l’ensemble de la Fédération néerlandaise, NDLR). Il y avait un peuple derrière, il y avait une identité. Et là, il se passait quelque chose ! On se sent mieux. La Ti-Raleigh, c’était pareil, il y avait un peuple derrière ! Au-delà de ces trois exemples, je trouve perverse la stratégie de l’ultra-mondialisation. Bon, c’est sûr que les deux équipes émiraties ne vont pas s’appuyer sur les locaux pour créer une équipe de premier plan… Mais moi, j’y crois toujours pour mon équipe.

Il faut donc avoir le plus de coureurs du “cru” possible et trouver la bonne balance pour rester compétitif ?
On parle d’élargir la pyramide. Pour les Espagnols d’Euskaltel, à l’époque, ça fonctionnait. Je ne milite pas du tout pour un 100%, mais d’un pourcentage important, d’une identité (la ProTeam Uno-X est l’exemple le plus significatif en 2022 avec un effectif de 29 coureurs pour seulement deux nationalités : des Danois et des Norvégiens, alors qu'Euskaltel ne compte également que des Espagnols et que Sport Vlaanderen-Baloise ne compte que des Belges, sur des effectifs un peu moins fournis, NDLR). Il faut aussi voir ce qui se fait ailleurs, bien sûr, on ne peut pas s’en empêcher. D’ailleurs le Vendée U a deux coureurs anglais cette année (Alfred George et Benjamin Peatfield, et un Canadien, Quentin Cowan, NDLR). Mais si un jeune vendéen a du talent, je ne veux surtout pas passer au travers. C’est surtout dans ce sens-là que va ma préoccupation. 

 

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