Benjamin Le Ny : « Ma vie a beaucoup, beaucoup changé »
Benjamin Le Ny a eu chaud. Dans la dernière étape du Tour de Guadeloupe (2.2), le Guadeloupéen est passé près de perdre le général au bénéfice de Tyler Stites, l'Américain de Project Echelon Racing. Mais le coureur de l'US Lamentin a pu conserver son maillot jaune avec l'appui des coureurs guadeloupéens. Grâce à cette victoire, l'ancien vététiste de 24 ans, six victoires cette saison, remonte à la 5e place du Challenge BBB-DirectVelo. Mais sa vie a changé dans son île en Guadeloupe. "Je suis énormément sollicité", dit-il à DirectVelo. C'est l'occasion de faire plus connaissance avec lui.
DirectVelo : Comment as-tu vécu cette victoire sur le Tour de Guadeloupe ?
Benjamin Le Ny : Très bien. Je veux rester comme je suis. Mais maintenant, ma vie a beaucoup, beaucoup changé en Guadeloupe. Je suis énormément sollicité. J’ai peut-être quatre à cinq rendez-vous par jour. Pleins de gens et de sponsors veulent me voir ou espèrent me voir. En plus, je suis parfois pris par des soirées partenaires. C’est assez compliqué. Je suis bien apprécié après cette victoire. L'autre jour, je suis allé au restaurant avec une casquette et des lunettes, j’ai dû faire une photo avec tout le restaurant.
Quelles étaient tes ambitions au départ de ce Tour ?
Je n’y allais pas du tout pour remporter le classement général. C’était mon premier Tour de Guadeloupe. Je pensais peut-être faire un Top 10. Par contre, je voulais absolument décrocher une victoire d’étape. Lorsque j’ai commencé petit à petit à grimper au général et à voir, qu’entre moi et le maillot jaune il n’y avait qu’une minute trente, deux minutes, dans ma tête je me suis dit qu’il y avait moyen de faire quelque chose.
Sur quelles étapes avais-tu décidé de jouer les premiers rôles ?
Il y avait deux étapes de montagne. Lors de la première (3e étape) j’ai terminé 2e, je n’ai pas réussi à gagner. Sur la sixième étape (avec une ascension du col des Mamelles et l'arrivée au sommet à Grand Croix, NDLR), je me suis dit « c’est maintenant ou jamais ». Je suis parti de très loin pour la gagner. Je suis resté avec les hommes forts pendant 20 kilomètres et à un moment donné, j’ai décidé de rejoindre l’échappée. La chance que j’ai eue, c’est que dans l’échappée, il y avait quasiment toutes les grosses formations représentées. Une fois que je suis revenu dessus, j’imaginais que derrière ça n’allait pas rouler. C’est ce qu'il s’est passé. Et une fois que nous sommes arrivés dans les parties plus difficiles, j’ai imprimé mon rythme. Je me sentais bien et il y en a très peu qui ont pu suivre.
Tu avais une longueur d’avance sur les équipes qui découvraient l’île ?
Mon gros avantage, c’est que je connaissais les routes par cœur. Je connaissais les difficultés et également les spécificités du vent. Je savais que sur certaines portions il fallait rester caché. Spécialement sur ce Tour, c’est un énorme avantage de connaître les routes et encore plus d'être supporté par le public. Et quand j’ai pris le maillot jaune, ça a pris une autre dimension.
« JE PENSAIS PERDRE LE MAILLOT »
Le maillot jaune t’a permis de gagner le respect des autres coureurs ?
J’ai un style atypique, je suis quelqu’un qui ne se prend pas la tête et qui parfois fait des actions dans le peloton qui peuvent paraître bizarres. Par exemple, j’ai tenté une échappée vent face alors qu’il y avait 50 kilomètres comme ça. Lorsque j’ai eu le maillot jaune, beaucoup de coureurs du peloton sont venus me voir et m’ont dit « respect, chapeau ». J’étais beaucoup mieux intégré dans le peloton mais j’étais également la cible à abattre.
Comment s’est passée la défense de ce maillot jaune ?
Le vendredi, c’était plutôt « cool », c’était une étape de transition. Mon équipe a énormément roulé pour moi. Le samedi, il y avait un chrono individuel en bosse. Je pensais perdre le maillot face à l’Américain (Tyler Stites) ou au Colombien (Esneider Arley Baez) qui me semblaient plus forts. Le Colombien me prend neuf secondes et je gagne quinze secondes sur l’Américain. L’étape qui a été compliquée à gérer était celle du dimanche. C’était le dernier jour, et Arley et Tyler ont essayé d’éliminer mon équipe. Ils ont compris qu'elle n’était pas hyper forte. Ensuite, ils ont essayé de m’isoler et à tour de rôle de m’abattre.
Tu as eu le soutien d’autres équipes pour conserver ce maillot…
Tous les Guadeloupéens ont roulé pour moi ce jour-là, avec les moyens qui étaient les leurs. Lorsque l’Américain est sorti, il roulait très très fort. Le Vendée U a sauvé ma course et a réussi à limiter les écarts. Ils voulaient arriver au sprint. On a réussi à revenir proche d’eux. On était tous gagnants. Ils me permettaient de me rapprocher de l’Américain et moi je les aidais à favoriser un sprint en prenant de bons relais.
Quels vont être les prochains objectifs ?
Je tiens à me reposer donc il m’arrive parfois de dire non aux sollicitations. J’essaye de bien organiser mes journées. Pour l’instant, je n’ai pas encore repris le vélo, j’ai coupé complètement. Début septembre, avec mon club, on est invité sur une île à côté pour une course par étapes et ensuite, il y aura le Championnat des Caraïbes, en octobre, qui se déroulera en Guadeloupe. Je n'ai jamais trop eu d’objectifs cette année. J’avais juste pour ambition de me faire plaisir. Maintenant, je suis amateur, je travaille. Je fais du vélo pour me défouler et m’aérer. Je n’ai pas d'entraîneur, je n’ai pas de programme d’entrainement…. Si demain, j’ai envie d’aller faire une heure, je fais une heure et si j’ai envie de faire cinq heures, je vais faire cinq heures.
« JE SUIS AUSSI AIMÉ PAR LA POPULATION, C’EST UNE ÉNORME FORCE »
Après sept ans tu as dit stop au VTT, pourquoi ?
J’ai arrêté le VTT parce que je n’ai pas réussi à passer pro. Même si en VTT, on court avec les pros, ça coûtait trop cher à mes parents. J’avais atteint le plafond et dans ma tête j’ai senti que je ne pouvais pas aller plus loin. Après cette parenthèse en métropole, j’avais aussi envie de revenir sur mon île. Je connais pleins de gens, je voulais revoir mes parents parce que pendant sept ans, je ne les avais pas trop vu. Il fait aussi meilleur, il n’y a pas d’hiver.
Et pour quelles raisons tu as décidé de passer sur la route ?
Une fois sur l’île, j’avais encore envie de faire du sport. Je me suis dit « j’aime encore le vélo » et en Guadeloupe, la route est vraiment hyper, hyper populaire, c’est impressionnant. Même les coureurs du Vendée U le disaient, en Guadeloupe t’as presque l’impression d’être sur le Tour de France, c’est énorme. Et pour le coup, je me suis dit qu’il fallait que j’essaye la route. Donc j’ai décidé de me lancer et dès le début j’ai performé sur l'île.
On imagine que cette victoire va t’ouvrir des portes pour l’année prochaine…
C’est délicat parce que j’ai des propositions dans des équipes qui sont bien au-dessus de mon club actuel. J’ai de grosses propositions. J’en ai une du Vendée U, ils m’ont vu courir sur ce Tour pendant une semaine. Mon parcours atypique les a interpellés un peu. Ce sont les contraintes qui me font peur. Je travaille avec mon père dans son entreprise….
Pourquoi as-tu autant d’incertitudes ?
Ça reste complexe, je sais que je peux bien en vivre en Guadeloupe avec pleins de gros sponsors. Je suis aussi aimé par la population, c’est une énorme force. C’est vrai que c’est une chance de pouvoir repartir en métropole, tout le monde ne peut pas être pro. Ça veut aussi dire que je repars dans l’inconnu, il y a cette peur-là. Le cyclisme sur route reste compliqué. Ce n’est pas parce que tu es pro que tu vas faire le Tour de France. Je vais réfléchir parce que ça me fait un peu peur.