Portrait : Soren Bruyère Joumard et un Papa pas peu fier

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

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Dimanche matin à 11h05, au moment du coup de feu annonçant le départ de la course la plus importante de la saison, Soren Bruyère Joumard sera le favori N°1 du Championnat du Monde Juniors de cyclo-cross. Archi-dominateur au niveau national l’an dernier chez les Cadets, l’Isérois s’est révélé à l'international cette saison en gagnant à Dublin, dès l’ouverture d’une Coupe du Monde dont il a fini par enlever le classement général final. Une grande satisfaction pour le premier concerné, “une énorme surprise et une grande claque” pour le père, Rémy. “J’aurais signé 200 fois pour une telle saison, je ne m’y attendais vraiment pas. C’est presque trop d’un coup”, concède-t-il, pas peu fier mais comme légèrement dépassé par les événements.

Rembobinons la cassette avant d’évoquer l’instant-T. Soren Bruyère Joumard est Isérois, originaire et résident de Saint-Egrève, en banlieue grenobloise. Père et grand-père ont toujours pratiqué le cyclisme, et ses parents - tous deux scientifiques au CNRS - œuvrent au quotidien au sein du club de triathlon de Fontanil. C’est d’ailleurs via le triathlon que Soren a découvert la compétition, avant de se focaliser plus précisément sur le cyclisme, sport également pratiqué par son frère Aloys et sa sœur Lucile, fraîchement sacrée Championne Auvergne-Rhône-Alpes de cyclo-cross chez les Benjamines.

« C'ÉTAIT MAGIQUE, J’AI ÉTÉ INCROYABLEMENT SURPRIS »

Si certains montent en puissance au fil des années, Soren Bruyère Joumard, lui, a tout de suite fait forte impression. “Je me souviens de son premier cross, à Voiron. J’avais emmené Aloys, Soren avait pris un VTT juste pour essayer”. Et il l’a emporté, d'emblée ! “J’avais été assez bluffé, déjà, même si je connaissais l’oiseau”, concède Rémy Bruyère. Au fil des années, il se fait un nom dans la région AURA et devient vite l’homme à battre. Ses échecs, comme celui plus qu’anecdotique à Bourg-lès-Valence (lire ici), sont rares. L’hiver dernier, il rafle presque tout chez les Cadets, en gagnant à Quelneuc, Albi et Flamanville en Coupe de France, avant de décrocher le titre national. “C’était magique”, se souvient le père. “Au fil des courses, il est vite devenu le favori et malgré ça, on le voyait à chaque fois partir seul devant et gagner. J’ai été incroyablement surpris”.

Après une telle saison, le sélectionneur national comptait bien évidemment le mettre rapidement à l’épreuve au niveau mondial pour ses débuts chez les Juniors. “Quand François Trarieux a commencé à évoquer les manches de Coupe du Monde, ça m’a fait tout drôle. Je me disais que s’il réussissait à faire un Top 10 sur une manche, ça allait être génial”. Mais son fils a fait beaucoup mieux que cela, en gagnant donc directement sur le circuit irlandais de Dublin. “J’accompagnais sa petite sœur sur un cross régional. On a regardé ça sur le téléphone, j’avais dû mal à y croire”. Au fil des week-ends, les très bons résultats s’empilent, le talent du garçon se confirme, et la vision du père évolue. “Finalement, même si c’est dingue à dire, on s’y fait vite”.

DES SPECTATEURS EXCEPTIONNELS POUR « UN MOMENT UNIQUE »

“D’un naturel inquiet”, Rémy s’interroge tout de même sur la saison à venir de Soren. “Avec ce qu’il a fait en J1, j’ai peur de la façon dont ça pourrait se passer l’an prochain. Il sera condamné à faire une très grande saison. J’espère que ça ira”. Présent à Hoogerheide la semaine dernière pour assister à la victoire finale de son gamin en Coupe des Nations, Rémy Bruyère sera bien sûr de la partie, ce dimanche, pour le Mondial de Liévin. D’ailleurs, le sociétaire de l’AS Fontaine pourra compter sur le soutien précieux de proches pas franchement habitués à mettre les bottes dans les labourés. “C’est un moment unique alors une bonne partie de la famille va faire le déplacement. Hormis ma compagne et mes deux autres enfants, le reste de la famille connaît bien moins ce milieu. Jusque-là, ils ont suivi la saison de Soren via les écrans. Ils ont fait le nécessaire pour organiser ce petit périple depuis un moment. Ils vont en profiter pour faire du tourisme à Lille”. Et ensuite, place à la course au maillot arc-en-ciel.

Rémy imagine-t-il Soren sur la plus haute marche du podium ce week-end ? “Le fait d’avoir déjà gagné la Coupe du Monde peut lui enlever de la pression. Je ne sais pas si c’est une bonne chose ou non pour lui”, craint-il, en ayant également en tête le scénario de course d’Hoogerheide, qui ne l’a pas rassuré. “J’ai vu des gars discrets jusque-là sortir du bois au meilleur moment. Il n’est pas impossible que certains aient parfaitement préparé leur coup en termes de pic de forme. Il pourrait y avoir des surprises”. Mentalement, il est convaincu que son fils répondra présent, malgré l’enjeu. Il ne l’imagine pas du tout cogiter ou avoir encore en tête l’épisode malheureux du dernier Championnat de France, dont il était, là aussi, le favori. “C’est sa grande force : il est capable de passer à l’objectif suivant avec une facilité déconcertante. Alors que certains se morfondent avec des Si, lui est toujours factuel, objectif. Il rebondit vite. Après le Championnat de France, il m’a dit qu’il avait commis trop de fautes, qu’il s’était précipité, déconcentré, et qu’il avait appris de ses erreurs”. Et qu’il n’en deviendrait que plus fort.

GARDER LE PLAISIR, UNE PRIORITÉ POUR DURER

Premiers spectateurs de la réussite de leur fils, Madame Joumard et Monsieur Bruyère pensent forcément à la suite. Avec curiosité, excitation, et craintes aussi. “On essaie de suivre, de se renseigner, d’imaginer les perspectives à venir. On fait l’autruche car pour l’instant, tout va bien, on n’est pas encore concerné par le sujet des gros contrats, mais on a bien conscience que ça pourrait venir”. D’autant que Soren Bruyère Joumard portera les couleurs de Decathlon AG2R La Mondiale en 2025. “Pour l’instant, ce contrat n’est pas encore très impliquant. Tout est beau, tout est rose, mais il va falloir réfléchir à l’avenir”, analyse Rémy, qui se positionne bien plus en observateur qu’en intervenant, donc. “Je ne veux pas le brider, l’envoyer au casse-pipe, faire de mauvais choix pour lui. J’essaie de l’orienter, de le conseiller, mais de toute façon je ne peux pas l’obliger à faire ce qu’il ne veut pas faire”. Même à chaud, après les compétitions, il n’est pas question d’en faire des tonnes. “On n’échange pas énormément sur ses ressentis. Il garde beaucoup les choses pour lui”.

Comme Marie, la mère de Lise Revol (lire ici), Rémy Bruyère regrette une éducation nationale pas forcément à la hauteur dans l’accompagnement des athlètes de haut niveau. “Ils ne sont pas toujours très compréhensifs. J’espère qu’il va avoir son Bac l’année prochaine car pour l’instant, il est à la limite au niveau des notes mais ça passe. Ensuite, il faudra voir ce que l’on fait, on cherchera une formation adaptée, forcément”. Pour son père, tant que Soren continuera de prendre un maximum de plaisir sur sa machine, le reste coulera de source. “Il est déjà en train de se projeter sur la saison de VTT avec enthousiasme, sur les manches de Coupe de France. Il est content d’aller à Marseille pour la première de l’année etc. Il garde toujours à fond ce côté plaisir, ça m’impressionne et j’espère que ça va durer. Quand il est rentré au Pôle à Voiron, j’avais peur que ça tue ce côté plaisir, que le côté plus organisé et rigoureux du haut niveau commence à peser sur lui, mais pour l’instant ça se passe bien”. Suivant le résultat de dimanche, la situation pourrait encore évoluer et le téléphone se mettre à beaucoup sonner. “Je ne sais pas trop si on est prêt pour ça mais si ça devait être le cas, on prendra les choses comme elles viennent, encore une fois”.



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