Sécurité : Et maintenant, on fait quoi ?

Crédit photo Xavier Pereyron
“Il va falloir un gros travail de fond, pas que pour l'Étoile mais pour le monde du cyclisme en général”. Ces mots sont ceux de Romain Le Roux, prononcés dimanche en fin d’après-midi, au terme d’une 55e édition de l’Étoile de Bessèges qui fera date. Le responsable sécurité de l’épreuve gardoise s’est retrouvé au milieu d’une situation particulièrement délicate à gérer, avec le risque de voir la première course par étapes française du calendrier disparaître. Dans le fond, personne ne se montre manichéen sur les événements de vendredi. Et comment pourrait-il en être autrement ? Qui n’est pas capable d’imaginer la crainte et la colère des coureurs cyclistes, qui n’ont pas envie de finir sur le pare-brise d’un véhicule motorisé en exerçant leur métier et leur passion ? Qui n’est pas capable, non plus, de comprendre la détresse des malheureux organisateurs bénévoles de la course, qui font de leur mieux malgré des coûts de sécurité qui explosent chaque année, et des aménagements urbains qui ne cessent de compliquer la pratique du sport cycliste édition après édition. Et pourtant, les incidents répétés du milieu de semaine comme le mécontentement exprimé par le peloton oblige, plus que jamais, à trouver des solutions. Mais y’en a-t-il seulement ?
Durant trois jours, DirectVelo a fait le tour du parking des formations professionnelles qui sont restées à Bessèges jusqu’au bout. Avoir l’avis de ceux qui ont quitté le navire était, bien sûr, tout aussi intéressant mais la formation Decathlon AG2R La Mondiale, notamment, a fait savoir qu’elle ne comptait pas s’exprimer - davantage que via son communiqué - sur sa décision de quitter l’Étoile vendredi, pas plus qu’elle ne souhaite, via qui que ce soit au sein de l’écurie, donner son avis sur quelconque solution pour améliorer les problèmes de sécurité. Dans le Gard, c’est indéniablement le mot “circuit” qui est le plus revenu dans la bouche des différents directeurs sportifs sollicités. “J’y suis favorable, assure Benjamin Giraud. Je pense que c’est l’un des axes d’améliorations, surtout sur les zones très fréquentées, poursuit le directeur sportif de Cofidis. On connaît les obligations des organisateurs. Ici pour l’Étoile, l’agglo de Nîmes donne beaucoup d’argent. Ils sont donc obligés de faire des parcours dans le coin. Mais il faudrait se contenter d’une partie en ligne en début d’étape sur, par exemple, 80-100 bornes, car c’est moins tendu en première partie de course, pour ensuite finir en circuit quand ça se tend”.
« L'IDÉE N’EST PAS DE FAIRE DES CRITÉRIUMS TOUTE L'ANNÉE »
Son homologue Nikolas Maes (Lotto), va dans le même sens. “Trois-quatre tours d’un petit circuit me semble être le mieux. Les coureurs connaitront les circuits car ils le feront plusieurs fois, ça limite les risques. Les routes seront plus faciles à fermer car il y en a aura moins à contrôler”. Même chose encore pour un autre belge en la personne d’Hans De Clercq. “Il faut penser différemment, arrêter les étapes en ligne, privilégier les courses en circuit. Je sais que ça peut rapporter moins d’argent d’avoir une même ville de départ et d’arrivée mais il va bien falloir trouver des compromis, songe le technicien de Flanders Baloise. De toute façon, après ce qu’il s’est passé ici, il va forcément falloir trouver des solutions. Peut-être que l’on peut proposer une étape en ligne dans la semaine et pour le reste, privilégier les circuits”.
Au sein du comité d’organisation, on évoque l’aspect financier, comme pour d’autres épreuves. Généralement, avoir une ville départ et une ville d’arrivée différentes rapporte plus d’argent. “On sait les enjeux mais il va bien falloir trancher pour ces courses de Classe 1, relate Preben Van Hecke, d’Alpecin-Deceuninck. Sur les étapes en ligne, tu auras toujours des gens qui vont sortir de chez eux dans des endroits improbables. Les circuits, c’est une bonne solution. Il faudrait faire un deal avec cinq villes, tu fais cinq tours de 30 kilomètres ou six tours de 25”. Benjamin Giraud précise : “L’idée n’est pas de faire des critériums toute l’année, personne ne veut de ça, mais on devine tous le nombre de bénévoles qu’il faut pour sécuriser 160 kilomètres en ligne. Si tu fais la seconde partie de l’étape en circuit, c’est quand même plus raisonnable”.
« IL Y A DES MODÈLES À CHANGER »
Manager de l’équipe TotalEnergies, Jean-René Bernaudeau imagine lui aussi une grande fête, toute la journée, autour d’une commune qui accueillerait départ et arrivée plus régulièrement. “Il y a des modèles à changer. Il faudrait peut-être faire plaisir aux gens avec des courses d’attente, et faire des circuits qui passent cinq fois au même endroit. Il y a des avantages à cela”. Nikolas Maes va plus loin en assurant qu’évoquer l’aspect financier est “une connerie”, tout bonnement. “Si tu as le départ et l’arrivée, tu ramènes beaucoup de monde toute la journée dans ta ville. On peut imaginer de grandes fêtes type kermesse avec des choses autour de la course cycliste. Je suis sûr que les communes sont prêtes à mettre le prix dans ces conditions-là”. Le Flamand espère que le monde du vélo sera capable de s’unir pour changer les choses. “Je comprends le comportement des organisateurs vendredi, ils ont voulu sauver leur course. Cette situation me rend triste mais sur le plus long terme, il va falloir trouver de vraies solutions”.
Tous s’accordent pour acter que le problème dépasse aisément la seule épreuve gardoise. Et tous sont peinés à l’idée de savoir l’Étoile de Bessèges en danger de mort. “J’ai énormément de respect pour l’ensemble des organisateurs français car je connais les coûts de la sécurité ici, c’est très compliqué…, conçoit Hans De Clercq, lequel donne un exemple concret. Je me souviens, il y a quelques années, Gand-Wevelgem passait par la France pendant une trentaine de kilomètres et ça avait coûté incroyablement cher à l’organisation. Beaucoup plus qu’en Belgique !”. La Belgique, justement, est citée en exemple par Benjamin Giraud. “On pourrait peut-être imaginer des circuits sur lesquels les motards peuvent couper, comme ça se fait sur les courses de Flanders Classics”. Hans De Clercq reprend : “dans les Flandres, il y a des signaleurs absolument partout. Alors oui, ça coûte beaucoup d’argent, et je sais que la sécurité coûte encore beaucoup plus cher en France… Mais c’est la priorité, non ?”.
« LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS ET N’EXISTERA JAMAIS »
Didier Rous (Arkéa-B&B Hôtels), pour sa part, ne tient pas spécialement à faire des Classiques belges un exemple à suivre. “Personne ne se pose la question de savoir si c’est plus dangereux qu’à Bessèges ou non mais personnellement, j’ai vu des trucs là-bas… Les deux voitures ici, c’est surtout la faute à pas de chance mais ce n’est pas plus dangereux qu’avant”. Un constat unanime chez les DS à qui l’on a demandé si le peloton était plus en danger ici qu’il y a deux, cinq ou dix ans. “Les organisateurs ont été malheureux, c’est la vérité, pense aussi Preben Van Hecke. Le cyclisme est un sport dangereux. C’était le cas il y a 50 ans comme aujourd'hui. Il y aura toujours des accidents, même s’il faut tout faire pour en éviter un maximum évidemment”. Didier Rous pointe aussi la responsabilité des athlètes. “Certains font n’importe quoi en sautant des îlots, en passant sur les bas-côtés, les pistes cyclables… Où est le plus gros danger ?”.
L’ancien double Champion de France tient à préciser qu’il y a “aussi de grosses chutes sur les circuits”. Est-ce à dire qu’il n’y a, finalement, pas véritablement de solutions ? “On n’a pas envie d’aller ramasser des coureurs par terre. La sécurité est notre priorité absolue. On est une famille et on a besoin de tout le monde pour trouver des idées. Mais pour moi, le sport cycliste est dangereux et il le restera toujours, à Bessèges comme au Tour de France, avec des chutes terribles à la (Laurent) Jalabert, des chiens qui traversent la route comme devant Sandy Casar, des banderoles qui font tomber des coureurs… Le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais”. Et à Benjamin Giraud de conclure : “il faut discuter avec le CPA, les organisateurs et l’UCI”. En se demandant bien si des solutions concrètes pourront véritablement être trouvées. À vos idées !