La Grande Interview : Romain Mathéou
Il aura fallu que Romain Mathéou soit parti des rangs professionnels pour qu’il remporte enfin la plus grande victoire à son palmarès : une étape du Kreiz Breizh Elites, au niveau 2.2, la semaine dernière. Pourtant, cette performance ne fera pas changer d'avis le coureur d'Océane U-Top 16 : il raccrochera le vélo au terme de la saison pour entrer dans la vie active. Il aura alors 25 ans, l'âge auquel certains débutent parmi les professionnels. Mais après une aventure chez Saur-Sojasun et le Team Véranda Rideau, Romain Mathéou estime avoir fait "le tour de la question". Il se confie à www.directvelo.com avec un regard froid et lucide sur son parcours.
DirectVélo : Ton succès d'étape sur le Kreiz Breizh Elites intervient sur le "tard" de ta carrière. Que t'a-t-il manqué pour t'imposer davantage ces dernières années ?
Romain Mathéou : J'étais à la recherche d'une bonne dynamique et d'une part de chance. En quatre ans chez les pros, j'ai dû rouler pour des coureurs comme Jimmy Casper ou Jimmy Engoulvent, ce qui est normal. Ensuite, je n'ai pas réussi à m'affirmer. De retour chez les amateurs cette année, j'ai eu du mal à me mettre dans le rythme. Enfin, j'ai réussi à gagner le GP d'Availles Limouzine en Elites et, deux jours plus tard, j'enchaînais avec la victoire sur le Kreiz Breizh.
Le lendemain, la chance t'a quitté puisque tu as été victime d’une chute...
En effet, je me suis cogné à la rotule et j'ai dû abandonner. Depuis, je ne peux plus m'entraîner, ni même poser le pied par terre [l'interview a été réalisée mercredi soir, NDLR]. J'espère reprendre la compétition le 7 août, sur la Roue d'Or du Poitou à Civray.
Pourquoi dis-tu que tu as eu du mal à te « mettre dans le rythme » en début d'année ?
Je voulais quitter le cyclisme en fin de saison passée, quand le Team Véranda Rideau a arrêté. Mes parents m'ont incité à continuer encore un peu chez les amateurs, parce qu'ils voyaient bien que c'était dommage, que j'allais mettre un terme à ma carrière à 24 ans. L'objectif, c'était d’avoir de bons résultats et de revenir chez les professionnels. Mais j'étais dans une situation mentalement compliquée : je n'avais tout simplement plus la « gnac ». Quand je courais au Team U Nantes Atlantique en 2007 et 2008, je faisais tout pour passer pro. Cette année, j'ai l'impression d'être revenu en arrière. Je ne pouvais pas avoir la même énergie : j'ai compris assez vite que j'avais cette étiquette "d'ex-pro" et qu'elle me nuirait pour signer un nouveau contrat. Rares sont les coureurs qui sont descendus et sont parvenus à remonter.
« LE BANQUIER RIGOLE QUAND ON LUI DIT QU'ON EST CYCLISTE »
Tu as donc décidé de pendre ton vélo au clou fin 2013 ?
Oui. Le cyclisme est un monde trop précaire. Avec Saur-Sojasun, j'ai gagné correctement ma vie. C'était moins le cas avec le Team Véranda Rideau, mais j'aurais sans doute prolongé d'un an si l'équipe avait continué. A un moment donné, il faut savoir prendre la porte de sortie. J'ai l'impression d'avoir fait le tour. Aujourd'hui, je ne veux plus me battre pour essayer de redevenir professionnel chez BigMat-Auber 93 ou Roubaix-Lille Métropole. Quand on va voir le banquier et qu'on lui dit "Je suis coureur cycliste", il rigole. J'aspire maintenant à entrer dans la vie active.
Ta victoire sur le Kreiz Breizh Elites ne te donne-t-elle pas envie de poursuivre la compétition en amateur, tout en exerçant un métier à côté ?
Non. Quand je fais quelque chose, je veux le faire à fond. Si je ne peux pas m'entraîner convenablement, je vais me prendre des branlées sur le vélo. Ce n'est pas trop mon but. Courir jusqu'à l'âge de 38 ans, non plus.
Que retires-tu de ton expérience de coureur professionnel ?
De belles rencontres. J'ai aussi grandi sur le plan humain. J'ai disputé quelques belles courses. Malheureusement, je n'avais pas le moteur pour être un champion. Mais le bilan global est plutôt bon.
Quand tu as été recruté, plusieurs voix se sont élevées pour souligner que tu n'avais pas un gros palmarès en amateur. As-tu eu le sentiment qu'il fallait te justifier ?
C'est vrai que les commentaires jaloux m'ont un peu pesé. J'étais à l'époque au Team U Nantes Atlantique et j'ai suivi mon entraîneur Nicolas Guillé, lorsqu'il a rejoint l'équipe Besson Chaussures-Sojasun comme directeur sportif. J'ai su saisir une opportunité. Nous étions vingt coureurs à Nantes et c'est moi que Nicolas a choisi. Je me suis donné les moyens de réussir. Dès l'âge de 17 ans, j'ai quitté le domicile familial à Auch, dans le Gers, et je me suis inscrit au Pôle Espoirs de La Roche-sur-Yon. Je ne voulais pas rester dans le Sud-Ouest, à courir chaque week-end contre les mêmes trente coureurs. La Bretagne ou l'Ouest de la France, c'est une région rêvée pour le cyclisme. Mais ça représente un réel effort de tout abandonner pour déménager.
« UN EX-PRO N'EST PAS A LA FETE DANS LE PELOTON »
Quand tu quittes les rangs professionnels, dois-tu te justifier encore, par exemple montrer que tu peux dominer tes concurrents amateurs ?
Dans le peloton amateur, un ex-pro n'est pas à la fête. Il faut prendre de nouveaux repères car la façon de courir est très offensive. Le niveau est très élevé aussi. Pour être clair, il n'y a pas de grande différence entre certains amateurs et des pros d'équipes Continentales ou Continentales Professionnelles. Dans les clubs de DN, les mecs sont des pros sans en avoir le statut.
Quels objectifs les dirigeants d'Océane U-Top 16 t'avaient-ils fixés en début de saison ?
Ils souhaitaient que je dispute les sprints et que j'apporte quelques résultats, mais aussi que je transmette de l'expérience aux jeunes. C'est ce que j'ai essayé de faire. Tous les dimanches, j'étais en course et je finis 12e des Championnats de France Amateurs... J'ai plutôt bien aimé cette saison. J'avais seulement deux propositions pour 2013 : l'Occitane Formation ou Océane U-Top 16. J'ai préféré miser sur un programme de courses plus solide et sur l'accord qui unit le club avec le Team La Pomme Marseille, pour le cas où j'aurais pu retourner chez les professionnels. Les dirigeants auraient bien voulu qu'on continue ensemble une année de plus, mais ils ont compris mon projet de reconversion et ils sont heureux pour moi.
Qu'est-ce qui va te pousser à rouler jusqu’à la fin septembre, sachant que tu viens de décrocher ta plus belle victoire au Kreiz Breizh Elites et que tu mettras très prochainement un terme à ta carrière ?
Si je peux gagner une nouvelle course, je ne vais pas freiner ! Je vais finir à fond, pour ne pas avoir de regrets. Je veux pouvoir tourner la page tranquillement et me dire que j'ai fait tout ce qu'il fallait au cours de ces dernières années. Le 24 septembre, Paris-Chalette-Vierzon sera ma dernière compétition. Le 1er novembre, je commencerai une nouvelle vie d'artisan électricien, dans l'entreprise de mon père.
Crédit Photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com