La Grande Interview : Camille Thominet

Crédit photo DirectVelo - Freddy Guérin - Bruno Arnoux

Crédit photo DirectVelo - Freddy Guérin - Bruno Arnoux

Camille Thominet est un amoureux de cyclisme, et de sport en général. Lorsqu'on l'appelle en ce dimanche après-midi, l'athlète est en pleine nature. Il accompagne deux amis qui participent à un trail. Mais le Francilien a également la tête à tout ce qui se passe sur la planète cyclisme. "Alors, ça donne quoi les résultats à Coxyde ?", interroge l’ancien spécialiste de cyclo-cross, ancien vice-Champion de France Espoirs de la discipline, alors que l'on est au coeur d’une manche de Coupe du Monde. “Le sport, c’est une grande partie de ma vie. Sans sport, je ne serais pas là !”, pose celui qui s’apprête à passer professionnel chez Saint-Michel-Auber 93, après un second passage stratégique et payant au CM Aubervilliers 93. “Je ne vais pas mentir : lorsque j’ai décidé de revenir à Aubervilliers, c’était avec l’idée de rejoindre l’équipe première. C’était ma seule chance de passer pro”. A 27 ans, le voilà donc qui va faire le grand saut. Une belle récompense pour un coureur qui a passé ses 21 derniers mois à jongler entre des entraînements en nocturne et un temps plein dans une usine d’emballage. “Cette situation ne me dérangeait pas. La seule exception, c’est quand t’as passé une journée de merde au boulot et qu’il tombe des cordes dehors. Là, t’as pas forcément envie de rouler…”. Après avoir cassé son CDI, le natif de Meaux (Seine-et-Marne) n’a désormais plus qu’à enfiler le maillot de l’équipe Continental pour définitivement tourner une nouvelle page. Pour le plaisir, mais sans plan de carrière.

DirectVelo : Tu es un dingue de sport !
Camille Thominet : J’adore ça ! Sans sport, je ne serais pas là. J’ai besoin du sport et ce depuis tout petit. Avec les copains, on n’arrêtait jamais depuis que nous étions tout petits. On était vraiment multisports. Je n’avais pas de discipline de coeur. J’ai fait de la course à pied, du foot, du badminton… On faisait de tout et on s’amusait autant dans chaque sport ! Je me souviens qu’il nous arrivait de jouer au foot le matin puis on allait faire un tour de vélo l’après-midi. On était inépuisable. C’était aussi vrai avec mes frères jumeaux, qui aiment aussi le sport. D’ailleurs, Clément court toujours à Peltrax en deuxième catégorie, même s’il fait aussi et surtout du trail maintenant. Et Quentin fait de l’équitation. De mon côté, j’ai donc fini par m’orienter totalement vers le cyclisme, mais je ne saurais même pas vraiment expliquer pourquoi. Il faut croire que ça s’est fait naturellement.

« C'EST UN RISQUE A PRENDRE »

Depuis, tu as tracé ta route mais tu n’étais jamais parvenu à vivre du cyclisme jusqu’à cet hiver. Et tu travailles à l’usine pour gagner ta vie…
Je suis sur le point d’arrêter de travailler à l’usine avec mon passage chez les pros. J’ai cassé mon CDI récemment et je vais cesser mon activité à la fin octobre mais effectivement, j’aurai passé 21 mois à l’usine. Je travaille chez “Tecma Pack Aries” (une entreprise spécialisée dans les fins de ligne d’emballage : mécanisation de cartons, suremballage et étuyage, encaissage, palettisation etc., NDLR). C’était une bonne expérience.

Tu prends un risque en cassant ton contrat alors que tu pourrais te retrouver au chômage en fin d’année prochaine, si ton passage chez Saint-Michel-Auber 93 ne s’avère pas concluant ?
Effectivement, c’est un risque à prendre. Mais le risque est limité car j’ai un accord verbal avec mon patron actuel : si mon passage chez les pros tourne court et qu’il a une place de disponible à l’usine, il m’a promis qu’il me reprendrait. Il m’a dit : “Vas-y fonce, t’es jeune…”, lorsque je lui ai expliqué que j’avais cette opportunité de passer pro. La porte n’est pas fermée de son côté et même si l’on ne peut jamais être sûr de rien, j’avoue que ça me permettra de courir l’esprit plus libéré la saison prochaine. Je sais que quelque chose m’attend, si jamais…

Jusqu’à présent, avais-tu un statut particulier et quelques privilèges à l’usine, en terme de calendrier par exemple, en raison de ton
autre activité de coureur cycliste ?
Pas du tout. J’étais traité de la même façon que tous les autres employés. A chaque fois que je suis parti sur des courses par étapes, c’est parce que j’avais posé des congés. La seule exception, c’était le vendredi après-midi. Il m’arrivait de partir à midi pour me rendre sur une course le week-end, et je récupérais ces heures de travail-là à un autre moment dans la semaine. S’il fallait vraiment que je coure, j’étais en congé sans solde. J’ai dû faire avec, mais ce n’est pas si gênant.

« ME LIBERER DU BOULOT »

Dans ces conditions, as-tu été contraint de faire une croix sur certaines épreuves cette année ?
Le Tour de la Manche ! C’est la course par étapes que j’affectionne le plus dans tout le calendrier et je n’ai pas pu la disputer, comme l’an dernier d’ailleurs. J’étais vraiment déçu de ne pas y aller. Mais il fallait l’accepter et passer à autre-chose. J’avais des obligations et c’est bien normal.

Entre le travail et le cyclisme, à quoi correspondait une semaine type pour toi, ces 21 derniers mois ?
En général, je ne roule pas le lundi. Les autres jours de la semaine, je pars rouler dès que je sors du boulot. J’ai fini de travailler à 16h45 et je suis sur le vélo à 17h10 précise (sourires). Et là, je fais généralement des sorties de deux heures, deux heures trente, cinq jours par semaine. Quand j’avais besoin de faire de grosses sorties, je m’organisais pour pouvoir partir directement du boulot. Mais il m’est quand même souvent arrivé de finir mes sorties de nuit, avec mon frère et d’autres amis. Il pouvait arriver qu’on se retrouve à sept ou huit, même s’ils ne faisaient pas tous la sortie en entier avec moi.

Ce n’est pas compliqué d’enchaîner directement ta journée de travail et une longue sortie de vélo ?
Parfois, ce n’est pas évident. Mon boulot peut être physique dans le sens où je suis toujours debout, par exemple. Il faut porter pas mal de pièces dans la journée aussi, comme des moteurs par exemple. L’air de rien, ça casse physiquement. J’ai calculé la distance effectuée sur une journée de travail et je fais environ 7 kilomètres à pied. Mais bon, je ne vais pas me plaindre. Franchement, j’aime bien aller rouler même après une journée de travail. En plus, la plupart du temps, je roule avec mon frère qui bosse à l’usine lui aussi. Ca me permet de me libérer du boulot. Je ne cogite pas, je vais rouler et je suis tranquille ! La seule exception, c’est quand t’as passé une journée de merde au boulot et qu’il tombe des cordes dehors. Là, t’as pas forcément envie de rouler. Mais c’est rare que je me désiste.

« ON M'A DEJA DIT QUE J'ETAIS UN GRAND MALADE »

Il parait que tu n’es pas un grand fan du home-trainer…
Je ne roule pas à la maison ! Je préfère toujours faire de vraies sorties, même en plein hiver. Et du coup, il m’arrive de me retrouver avec des drôles de conditions météos, lorsque je termine mes sorties à 20h30 au mois de février. On m’a déjà dit que j’étais un grand malade. Il m’est déjà arrivé d’être frôlé par des voitures mais je suis bien éclairé et je fais vraiment attention.

Avec un tel emploi du temps, tu trouves encore le temps de cuisinier ou de gérer les tâches ménagères du quotidien ?
Je vis toujours chez mes parents et ça m’aide bien ! J’ai passé quelques mois en Bretagne en 2015, lorsque je courais au BIC 2000, mais c’est tout. J’ai déjà cherché une maison dans le coin (en Ile-de-France, NDLR) mais je n’ai jamais trouvé quelque chose qui me plaisait. Pour l’année prochaine, je n’ai pas envie de changer mes habitudes. Je vais rester encore à la maison, tranquillement, dans ma routine. Au moins les premiers mois…


Avec ce quotidien à l’usine, courais-tu toujours après l’objectif de passer pro sur le vélo ?
J’y croyais jusqu’à ma saison 2015 au BIC puis j’ai plus ou moins fait une croix sur l’idée de passer pro lorsque j’ai commencé à travailler, justement. Enfin… J’y pensais toujours dans un coin de ma tête mais ça me semblait quand même très loin.

« JE NE SERAIS PAS PASSE PRO DANS UNE AUTRE EQUIPE »

Est-il encore plus appréciable d’arriver à décrocher un contrat professionnel lorsque l’on a déjà 27 ans et que l’on a lutté pendant des années pour finalement y parvenir ?
Je ne sais pas si c’est vraiment différent d’un coureur qui passe pro à 20 ans après avoir très vite marché chez les Espoirs. A vrai dire, je n’ai jamais vraiment réfléchi à la question. Je ne me prends pas la tête. Si je n’étais pas passé pro cette année, j’aurais continué le vélo malgré tout. Ce contrat, c’est la cerise sur la gâteau.

Pourtant, ton choix de revenir au CM Aubervilliers 93 l’hiver dernier ne semblait pas innocent…
Yves (Prévost, à la tête de l’équipe, NDLR) m’a toujours dit que si je marchais, j’allais passer pro. Il m’a mis ça dans le crâne et même si je l’ai pris avec du recul, ça m’a forcément fait réfléchir. Sincèrement, quand j’ai choisi de revenir à Auber, c’était d’abord parce que je connaissais la structure et que je m’y sentais bien. Mais tant qu’à faire, savoir que c’était la réserve d’une équipe pro m’a encore plus donné envie de retenter ma chance. Et puis, on ne va pas se mentir… Je sais très bien que je ne serais pas passé pro dans une autre équipe. Il y a des mecs qui sont plus forts que moi et qui ne vont pas passer. Mais bon, ça fait partie du jeu. Et je ne pense pas avoir volé ma place pour autant.

Lors de ton premier passage au CM Aubervilliers, en 2013 et 2014, on t’avait considéré comme “trop tendre” pour passer pro, et la formation de Stéphane Javalet avait préféré faire confiance à Frédéric Brun, Pierre Gouault, Alo Jakin, Maxime Renault ou Yannis Yssaad. Pensais-tu avoir raté ta chance à ce moment-là ?
Là encore, je ne me suis pas vraiment posé la question. Les mecs étaient plus forts que moi et c’était logique qu’ils passent au-dessus et que je reste amateur. Je ne l’ai pas regretté et j’ai continué de me battre l’année suivante en partant au BIC 2000. Le seul regret que je pouvais avoir, c’était dans ma façon de courir à l’époque. J’avais le sentiment d’en faire souvent trop et je courais plutôt mal. Si j’avais été plus malin, j’aurais sans doute pu gagner plus de courses dans ma carrière car tous ceux qui me connaissent savent que mon plus grand défaut est de ne pas gagner beaucoup de courses, et ce depuis toujours.

« UN COACH MENTAL ? JE N'AI SANS DOUTE PAS LE CHOIX »

Lorsque l’on lit toutes les interview que tu as données DirectVelo depuis 2010 (voir ici), on s’aperçoit que plusieurs phrases et notions reviennent souvent. La première, c’est justement sur le fait d’en faire trop en course et de ne pas réussir à te canaliser…
J’ai réussi à me canaliser un peu cette année, enfin ! Mais sinon, oui, j’ai toujours eu ce problème… En fait, ça peut sembler bizarre mais je vais revenir au lien entre le vélo et l’usine. Parfois, je passe des semaines de merde à l’usine. Je pense que ça arrive à tout le monde (rires). Or, quand j’ai passé une semaine bien pourrie, c’est comme si j’avais besoin de me défouler sur le vélo. Du coup, j’attaque d’entrée et j’en mets de partout. Sans réfléchir, quitte à me cramer. Quand je suis plus calme, j’essaie de me canaliser et de courir de façon plus intelligente. Ca dépend du contexte.

L’autre grosse tendance chez toi, c’est - semble-t-il - un gros manque de confiance ?
Alors là… Complètement ! Comme d’habitude, j’en suis toujours au même point. C’est un sujet particulièrement intéressant car je sais que c’est mon gros chantier pour l’année prochaine. Si je veux réussir mon passage chez les pros, je dois absolument travailler mentalement. Sinon, ça va mal se passer, je le sais.

Tu as gagné des courses, tu as réussi certaines saisons très régulières : pourquoi y’a-t-il ce manque de confiance récurrent ?
Je ne sais pas du tout. C’est comme avec les femmes, ça ne se contrôle pas (rires). J’aimerais bien trouver la faille, savoir comment progresser car je me doute qu’il suffit peut-être de débloquer un tout petit quelque chose. Le peu de fois où j’ai gagné des courses, c’était parce que mes coéquipiers m’avaient poussé et m’avaient convaincu que je pouvais le faire. Ca m’avait boosté et ça marchait. Il faut que je trouve la solution car c’est à cause de ce problème de confiance que j’ai gagné si peu de courses chez les amateurs. A un moment donné, je m’étais renseigné pour être suivi par un coach mental mais finalement, je ne l’avais pas fait. Il faudrait vraiment que je tente le coup l’an prochain. Je n’ai sans doute pas le choix. Mon entraîneur va sûrement finir par m’y obliger.

« JE NE TIENS PAS EN PLACE »

D’autant qu’il faudra peut-être te préparer à prendre “quelques claques” sur le début de saison l’an prochain, comme beaucoup de néo-pros…
Je suis bien encadré entre mes parents et mon entraîneur. Sans oublier mes copains qui me font confiance et qui savent me booster et me remettre dans le droit chemin. Lorsque j’ai eu ce contrat pro, je me suis posé la question : est-ce que j’ai le niveau ? Mais j’ai fini par me convaincre que oui. J’ai ma place, y’a pas à dire ! Je pense que je ne décevrai pas Stéphane Javalet et Auber. Je considère avoir ma place et je pense même avoir une grosse marge de progression. Alors, peut-être que je vais me tromper, mais j’y crois. Il faut être positif.

Pour réussir, il faudra aussi sans doute que tu gardes toute ton énergie pour la route !
(Rires). Mes proches me disent que je saute partout et que je suis une vraie pile électrique. Sur le moment, ça peut prêter à sourire mais à la réflexion, il va falloir que je me calme. Je ne tiens pas en place. Même après des grosses journées de boulot et de vélo, je ne dors pas ! C’est la routine. Je me lève très tôt, je me couche à minuit… En plus, je suis toujours prêt à sortir. Même si un soir, je suis sur le point d’aller au lit, il suffit que je reçoive un SMS où l’on me propose d’aller boire un coup et c’est parti ! Je sais que je ne suis pas stable non plus au niveau de l’alimentation et il faut que je me calme. Mais au moins, j’ai parfaitement conscience des domaines dans lesquels je dois travailler. Et c’est la raison pour laquelle je disais avoir encore une grosse marge de progression. Il va falloir bosser très dur tout en gardant les acquis des années précédentes.

Tu parles “d’acquis”. Tu ne remets donc pas les compteurs à zéro ?
Non. Certains coureurs parlent de “retour à zéro” ou de “nouveau départ” lorsqu’ils passent pros mais je n’ai jamais vu les choses comme ça personnellement. Je ne repars pas de zéro. Je veux garder tout ce que j’ai appris. Je connaissais déjà bien le milieu. J’ai été régulier, j’ai marché en Elite Nationale, en Classe 2… Il faudra se servir de ça.

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