Delko : Biniam Girmay, la perte d’un « énorme talent »
Le manager général du Team Delko, Philippe Lannes, l’avait annoncé au printemps. Alors que la ProTeam marseillaise est en grandes difficultés financières, il était prêt à voir certains de ses meilleurs éléments quitter l’équipe dès cet été (lire ici). Une vraie perte sportive, bien sûr, mais un peu d’air d’un point de vue financier avec, ainsi, l’allègement rapide de la masse salariale. Grand espoir (et déjà leader) de l’équipe, Biniam Girmay - 23 Top 10 en un an et demi au sein du collectif à la marinière - s’est exécuté et a quitté l’équipe en mai dernier. Après le départ d’un autre grand espoir, Simon Carr, l’hiver dernier vers EF Education-Nippo, et à la suite du transfert avorté d’Axel Zingle (CC Etupes), qui devait rejoindre Delko en août mais qui s’est finalement rétracté et s’est engagé avec le Team Cofidis (voir ici), la structure provençale perd encore un homme précieux. Si ce n’est son athlète le plus fort. “C’est un coureur sur lequel on s’est vite appuyé. Il comptait dans l’effectif, c’était un élément important pour aller chercher des résultats. Je lui vois un bel avenir, c’est un énorme talent avec un gros potentiel”, témoigne Benjamin Giraud, qui aura donc été le directeur sportif de l’Erythréen durant ces 17 derniers mois.
Le natif d’Asmara, capitale de l’Erythrée, s’était révélé dès 2018 en réalisant le doublé sur les Championnats d’Afrique Juniors : contre-la-montre puis course en ligne. Avant de briller sur des épreuves internationales U19 comme Aubel-Thimister-Stavelot, en Belgique, le GP Rüebliland en Suisse ou encore lors de courses d’un jour italiennes. Il est alors membre du Centre Mondial du Cyclisme, avec lequel il avait gagné à la Trambouze, sur une manche de Coupe de France Juniors, avant de terminer également dans le Top 15 des deux épreuves des Championnats du Monde d’Innsbruck, en Autriche. L’année suivante, en 2019, il s’impose sur une étape de la Tropicale Amissa Bongo puis arrache également une étape au Tour du Rwanda mais c’est lors du Tour de l’Avenir qu’il finit de convaincre le Team Delko de lui donner sa chance en terminant 5e sur les hauteurs du Corbier, en Maurienne, le dernier jour.
« CE N’EST PAS COMME UN COUREUR EUROPÉEN QUI A FAIT SES ARMES EN JUNIORS OU CHEZ LES AMATEURS »
Biniam Girmay débarque à Marseille en décembre 2019 dans la peau d’un néo-pro. Il est alors accompagné de l’autre recrue est-Africaine de Delko : l’Ethiopien Mulu Hailemichael. “Quand Benji Giraud les a récupérés à l’aéroport, ils se sont pointés en T-Shirt et en short… En plein mois de décembre ! Il a fallu leur trouver des vêtements chauds”, se souvient et plaisante Luc Cheilan, l’entraîneur actuel de Biniam Girmay. Avant de lâcher une autre anecdote : “Je me souviens que lorsqu’ils sont arrivés aux appartements, le premier mois, on a douillé au niveau financier. Ils ont fait exploser la facture d’électricité. Il a fallu leur apprendre les bases comme le fait de ne pas laisser les fenêtres ouvertes lorsque le chauffage tourne”, sourit le coach avec bienveillance et tendresse pour son protégé.
Sur le coup, il est encore possible de se poser quelques questions, et d’avoir des semblants de doutes malgré des données particulièrement intéressantes. “Ce n'est pas comme un coureur européen qui a fait ses armes en Juniors ou chez les Amateurs, à bien s'entraîner, à avoir les bases de récupération. Avec lui, on a dû revoir pas mal de choses même s’il avait déjà acquis certaines qualités au CMC”, détaille Luc Cheilan. Finalement, très vite sous la marinière, le garçon confirme tout le potentiel qu’on lui imagine. Sur son continent africain, d’abord, il claque immédiatement deux étapes de la Tropicale, au Gabon, avant de signer quatre podiums d’étapes au Tour du Rwanda. Surtout, il se classe 2e du Trophée Laigueglia en Italie pour sa deuxième course professionnelle européenne, en étant seulement devancé par un certain Giulio Ciccone. Puis il enchaîne (encore) les performances intéressantes jusqu’à se classer 2e du Tour du Doubs en fin d’année. Le pari est déjà réussi pour Philippe Lannes et le Team Delko. Le manager fait le choix de signer plusieurs coureurs sur de longues durées à la rentrée 2020-2021 : Clément Berthet, Yakov Debesay, Axel Zingle - avant qu’il ne se rétracte tout récemment - et donc Biniam Girmay signent (ou resignent) jusqu’à fin 2024 !
« QUAND IL S'ENTRAÎNERA DE FAÇON OPTIMALE, IL POURRA PRÉTENDRE À DEVENIR L’UN DES MEILLEURS COUREURS MONDIAUX »
Le Team Delko pense alors tenir son nouveau leader pour du long terme, et les plus grands espoirs sont permis. “Dès le début, j’ai réalisé qu’il n’avait pas beaucoup de lacunes. J'ai été impressionné par son sens de la course, tout de suite. Au niveau tactique, il n’était pas du tout en retard bien qu’il n’avait que peu couru en Europe. Et physiquement, il s’est immédiatement montré très costaud”, se remémore Benjamin Giraud, qui souligne aussi que l’intégration du jeune talent s’est faite très rapidement, et le plus simplement du monde. “Il s’est très vite intégré, c’est un garçon très gentil avec un caractère facile. Il vivait très bien dans le groupe. Il a vite été projeté leader malgré son jeune âge mais vu ses résultats, ça s’est fait naturellement. Il n’a pas eu le temps d’apprendre le rôle de leader mais au final, ça s’est fait assez simplement”. Luc Cheilan appuie le propos du DS : “Lorsqu’il est arrivé en 2020, la moitié de l’effectif avait changé. Et il a aussi vu arriver Mulu en même temps que lui. Tout ça l’a aidé”. Surtout, ses performances ont facilité son intégration et il n’a pas fallu longtemps pour convaincre les autres coureurs plus expérimentés de se sacrifier pour le gamin. “C'est un leader dans l'âme. Il a gagné dès sa première course avec nous. Il a rapidement prouvé qu’il avait des capacités et qu’on pouvait lui faire confiance. Mentalement, c’est un gagneur”.
Bien sûr, à 21 ans seulement, Biniam Girmay a beaucoup à apprendre, malgré tout. Luc Cheilan précise : “Il a clairement de gros progrès à faire à l’entraînement, encore, avant d’espérer utiliser tout son potentiel physique. Pour l’instant, il ne peut pas encore supporter d’énormes charges de travail. Il doit gérer la gestion des à-côtés”. Car le solide coureur ressent le besoin de retourner le plus souvent possible au pays et lorsque tel est le cas, il n’optimise pas nécessairement ses charges de travail à l’entraînement. “En Erythrée, il a tendance à faire les exercices qui lui plaisent bien, avec de hautes intensités, mais il ne travaille pas vraiment l’endurance et les bases. Quand il arrive en Europe, il a généralement besoin d’une première course pour se lancer puis ça marche bien. Mais comme l’équipe l’a fait pas mal enchaîner en lui demandant souvent de performer, il finissait par se fatiguer au bout d’un mois, comme il n’a pas les bases foncières”. Benjamin Giraud va d’ailleurs plus loin : “il va simplement falloir qu’il prenne totalement la dimension du métier et qu’il se rende compte du sérieux nécessaire”. Rien d’alarmant pour autant puisque Luc Cheilan y voit surtout “un équilibre de vie nécessaire” pour son coureur. “Biniam a besoin de voir souvent sa famille, notamment son père qui l’a toujours beaucoup soutenu. Mais ce n’est pas une grosse contrainte. Il y a six heures de vol et pas de décalage horaire. En plus, quand il est au pays, il travaille en altitude, à plus de 2000 mètres d’altitude. De toute façon, quand il aura passé ce cap-là, quand il s’entraînera de façon optimale, il pourra prétendre à devenir l’un des meilleurs coureurs mondiaux”.
« IL CHERCHAIT EN PRIORITÉ UNE ÉQUIPE QUI POUVAIT LUI OFFRIR UN RÔLE DE COUREUR PROTÉGÉ ASSEZ VITE »
L’Erythréen a disputé sa dernière avec Delko, sans le savoir à ce moment-là, lors du Tour des Asturies, du 30 avril au 2 mai derniers. Une situation qui ne s’explique pas uniquement par ce changement d’équipe. “Il est rentré au mois de mai car il avait des soucis familiaux, mais il aurait dû faire les Boucles de la Mayenne et le Tour du Finistère notamment. L’équipe comptait sur lui encore quelques semaines supplémentaires”, assure Luc Cheilan pour DirectVelo. Et maintenant ? Avant de quitter officiellement le Team Delko, Biniam Girmay s’est évidemment mis en tête de trouver le meilleur projet possible pour lui. Il aurait alors reçu plusieurs propositions et a pris le temps de la réflexion, en échangeant régulièrement avec Luc Cheilan, mais en appelant aussi son directeur sportif Benjamin Giraud. “Il nous a sondés. Après, on donne notre avis mais c’est à lui que revient la décision. Il voulait aller dans une équipe où il aurait rapidement des libertés”, annonce l’ancien professionnel marseillais. Biniam Girmay s’est aussi - et surtout - appuyé sur son agent italien Alessandro Carera et il a finalement opté pour la WorldTeam belge Intermarché-Wanty-Gobert Matériaux. Un choix qu’explique son entraîneur : “il a connu la première génération des coureurs érythréens arrivés en Europe, comme Natnael Berhane ou Merhawi Kudus. Ils avaient un bon potentiel mais ils se sont retrouvés à avoir des seconds rôles dans leurs équipes respectives. Biniam ne veut pas de ça, il se sent capable d’être leader. Il cherchait donc en priorité une équipe qui pouvait lui offrir un rôle de coureur protégé assez vite”.
Luc Cheilan évoque “un choix crédible par rapport aux attentes de Biniam. Il aura un rôle de leader assez vite sur certaines courses et en même temps, l’équipe va lui laisser le temps de se développer sur plusieurs années”. Comme avec Delko, avec ce fameux contrat qui portait jusqu’en 2024. Ainsi, le coureur se serait une nouvelle fois engagé sur du long terme. Et si certains rêvaient de voir Biniam Girmay dans une formation encore plus prestigieuse, Luc Cheilan se dit persuadé qu’il s’agit d’un très bon choix à l’instant-T. “Soit ce sera encore une phase intermédiaire, soit le projet va grandir avec lui. Dans les deux cas, c’est intéressant”. Reste à voir jusqu’où pourra aller le garçon et surtout, quel type de coureur il va devenir. “Il avait déjà marché en montagne sur une étape du Tour de l’Avenir, mais il a aussi vite battu André Greipel au sprint… Il a un profil atypique, il marche vraiment partout. Je pense quand même qu’il va s’orienter sur les Ardennaises et pourquoi pas sur les Flandriennes aussi”, prévient son entraîneur, qui assure d’ailleurs que Biniam Girmay a fait du Championnat du Monde Espoirs flandrien de septembre prochain un véritable objectif, et un premier test en ce sens. Quoi qu’il en soit, il le voit “plutôt briller sur les courses d’un jour, au moins pour l’instant”.