Malgré les sirènes du monde pro, un « niveau toujours intéressant » en N1
Avec les équipes réserves qui se multiplient et se développent, que reste-t-il au monde amateur pour exister dans le paysage cycliste français ? "On a quand même une variation en fonction des équipes et des périodes, et où on va. On a le grand Ouest qui marche bien et AURA, et à côté c’est un peu le désert, note Pascal Carlot, au VC Rouen 76. On a les meilleures N1 qui font un programme de Classe 2. Ce sont les mêmes équipes qui marchent fort. Il y a aussi des individuels, et heureusement, dans des équipes un peu moins fortes collectivement. Ça a toujours existé". Ainsi, si les temps ont changé, le niveau est loin de s'être écroulé pour les principaux acteurs. "On était beaucoup à penser, et moi le premier, que le niveau amateur allait diminuer, mais finalement pas du tout. Ça roule encore plus vite", note Guillaume Souyris du SCO Dijon-Team Matériel-velo.com.
Son coureur, Gari Lagnet, dément aussi cette fausse vérité selon laquelle le niveau baisse. "Chaque année, on dit qu’il y aura moins de niveau, mais finalement il est toujours aussi élevé voire même plus. Cette année, le niveau est plus homogène que l’année dernière où il y avait des coureurs qui sortaient du lot comme Clément Carisey. Le niveau est toujours aussi élevé". Une homogénéité, mais dans un noyau haut, car Gaëtan Lemoine emploie lui le mot inverse sur le peloton dans son ensemble. "Le niveau est toujours intéressant. On le voit avec la victoire de Titouan Margueritat malgré la présence de Roubaix (au Tour Nivernais Morvan, NDLR). Le niveau est peut-être plus hétérogène. Aujourd’hui, on a une vingtaine de mecs qui peuvent gagner, après le reste c’est plus compliqué. Il y a toujours des coureurs de qualité, des coureurs qui redescendent de chez les pros", explique le DS du VC Pays Loudéac.
« S'ILS VIENNENT CHEZ LES AMATEURS, ILS VONT SE RENDRE COMPTE DU NIVEAU »
Florentin Lecamus-Lambert a constaté un vrai changement au moment du covid. "Le niveau avait vraiment augmenté après cette période. Maintenant ça reste pareil. Il y a rarement des arrivées en solitaire, ça se tient beaucoup. Les équipes tendent un peu vers le type professionnel. Il y a plus de collectif maintenant que sur mes premières années en amateur", constate le coureur du VC Rouen 76, avant que Denis Repérant se montre bien plus tranché à l'idée de comparer le niveau Continental de la N1. "J’aimerais que les coureurs qui sortent des rangs Juniors viennent courir avec nous, se prendre des claques et se rendre compte de la réalité du niveau. Certains coureurs espoirs sur l’AIT n’étaient pas meilleurs que nos coureurs amateurs. C’est bien beau les pépites, mais s’ils viennent courir chez les amateurs, ils vont se rendre compte du niveau, insiste-t-il. Je prends l’exemple d’Adrien Guillonnet, quand il regarde ses watts, il me dit que ce sont les mêmes qu’il y a cinq ans et à ce moment-là, il jouait la gagne. Là, il fait 40e".
Mais si un amateur marche fort, Jean-Michel Bourgouin sait bien qu'il ne participera pas très longtemps à augmenter le niveau du peloton amateur. "Avec la nouvelle donne, on sait très bien que si un coureur de 19 ans performe chez nous, l’année suivante il est parti. On n’a plus le temps de finir notre travail. Mais il va y avoir des évolutions, Uno-X arrête son équipe de développement...". Et Pascal Carlot est bien d'accord avec son homologue de l'AVC Aix, et cite le même exemple d'Uno-X qui préfère se concentrer sur les Juniors. "Un jour, on reviendra en arrière. Est-ce que les Conti vont continuer dans cinq ans ? On a vu Uno-X faire marche arrière parce que le recrutement se fait de plus en plus jeune, sur les Juniors. Est-ce que les WorldTeams ne vont pas plutôt créer des équipes Juniors ou développer ce système ? Je pense que c’est l’avenir".
« LE MONDE PRO EST DÉCONNECTÉ DE LA RÉALITÉ »
En attendant, la moyenne d'âge augmente dans le peloton. "Peut-être que dans les années à venir, on va ressentir un manque de jeunes coureurs qui vont directement être pris dans ces Contis. Dès les Cadets-Juniors, ils sont directement pistés par ces équipes, voire pour signer des contrats. Ils ne prêtent quasiment plus d’intérêt aux équipes N1. Des jeunes dans notre région pourraient passer un an ou deux chez nous. On est carrément zappé de leur vision", regrette Stéphane Foucher, au Guidon Chalettois. Alors que "des talents continuent d'émerger en N1, avertit Guillaume Souyris. Mais nous, on a vocation à faire grandir des coureurs à maturité plus tardive ou des coureurs qui ne couraient pas forcément à haut niveau en Junior". Encore une fois, Denis Repérant est le plus tranché sur la question des jeunes coureurs. "Ce qui me gêne, c’est qu’on leur fait miroiter qu’ils vont passer WorldTour. La vérité du terrain, c’est que certains auront arrêté le vélo d’ici cinq ans".
Le directeur sportif d'Hexagone-Corbas Lyon Métropole pense que cette nouvelle tendance créée beaucoup de casse. "La plupart du temps, ils arrêtent leurs études, on ne prend pas soin de leur vie d’être humain. On se fout de la gueule du monde, regrette-t-il. Quand ils sont payés 1300 € par une Conti et qu’ils courent la moitié du temps avec la WorldTour... Je trouve ça malsain. On va plus vite que la musique. Tout le monde veut avoir la pépite, mais des Pogacar ou des Martinez, ça n’arrive pas tout le temps. Je suis assez tranché là-dessus. Je pense qu’il y a un monde entre amateurs et pros. Ils ne se rendent pas compte que sans nous il n'y aura plus de coureurs. Le monde pro est déconnecté de la réalité". Malgré tout, gagner des courses amateurs a toujours de la valeur. "Un très bon coureur qui gagne dix Elites, ça veut encore dire quelque chose", pense Pascal Carlot. "Mais il faut rappeler tout le temps que tu es au niveau", ajoute Florentin Lecamus-Lambert.
UNE N1 à 21, 18 OU 15 ?
Pour resserrer le niveau de la N1, la FFC a réinstauré un système de montées/descentes sportives sur des cycles de deux ans. Ainsi, en cette année 2024, elles ne sont plus que 21 formations à évoluer en N1, contre 28 l'an passé. "C’est compliqué de trouver 13-14 coureurs de vrai niveau N1, donc forcément, c’est mieux d’avoir moins d’équipes pour filtrer les meilleurs coureurs", estime Gaëtan Lemoine. Mais attention à ne pas non plus désintégrer la N1. "On reste pour le moment sur un chiffre cohérent. La crainte est que le système de points fasse en sorte qu’on perde des équipes tous les ans, en plus des équipes qui ont des difficultés pour continuer. Combien restera-t-il d’équipes N1 dans deux-trois ans ? On se dirige vers un chiffre qui semblerait descendre en dessous des quinze très rapidement. Le système des N1 est en danger", alerte Stéphane Foucher.
Pour Pascal Carlot, diminuer encore ce chiffre n'est pas un problème. "Il y en a peut-être encore un peu trop. Il faudrait stabiliser à 15-16 et remettre quelques équipes en N2. On a moins de coureurs qu’il y a dix ou quinze ans donc on subit ça". Ce qui n'est pas un problème pour Denis Repérant. "Ce n’est pas parce qu’il y a 120-130 coureurs au départ que la course ne sera pas belle. Même sur l’aspect sécuritaire, autant avoir moins de coureurs, ça limite le risque". Pourquoi pas un entre-deux pour Jean-Michel Bourgouin. "Il y avait trop d’équipes N1, c’est une réalité. Je pense qu’entre 18 et 22, c’est bien. Mais ça peut encore baisser quand on voit le nombre de coureurs par équipe, on peut diminuer à seize". La FFC devrait bientôt trancher, et a prévu quelques idées pour tenter de contenter tout le monde, ou au moins de permettre à la N1 de survivre un peu plus longtemps.