Nicolas Roux : « Le corps a des ressources incroyables »
Il est capable de raconter le Bordeaux-Paris 1965 de Jacques Anquetil depuis le départ aux Quatre-Pavillons, jusqu'à l'arrivée au Parc-des-Princes, en passant par la côte de Picardie. Nicolas Roux "baigne dans le vélo" depuis son plus jeune âge. "Mon grand-père courait avec Robic. Mon père a couru à l'UC Longjumeau avec les frères Gallopin", rappelle-t-il à DirectVelo.com. Le Bordeaux-Paris 1965, il l'a découvert dans un vieux Miroir du Cyclisme. Cycliste phénoménal et course atypique, le mélange plait au coureur du Team Chris Net. "J'ai toujours eu une passion pour cette course." Pourtant, il n'a jamais vu « en vrai » le « Derby » comme on l'appelait (voir le palmarès ici). Jean-François Rault en est le dernier vainqueur (lire ici). "J'ai seulement vu des images sur l'INA", reconnaît-il.
Pour respecter l'esprit de son défi, Nicolas Roux doit disputer ce marathon de 600 bornes en partie derrière derny. La « prise des entraîneurs" était une scène mythique de cette course. Pour piloter ces mobylettes d'entraînement, il a l'idée de contacter Joël Gallopin. Le père de Tony a disputé un Derby en tant que coureur et deux en tant qu'entraîneur. "Grâce à mon rôle d'ambassadeur de Mavic, je connaissais Marion Rousse. Elle m'a donné le téléphone de Joël qui se souvenait de mon père. Il a tout de suite accepté de m'aider et de fournir les dernys." Avec Joël, ce sont aussi André et Guy (2e de Bordeaux-Paris 1986) qui font partie du projet.
Bordeaux-Paris 1985 : Guy Gallopin dans le sillage de ses frères.
Nicolas Roux a déjà l'habitude des longues distances. L'an dernier, il a bouclé le Tour du Mont Blanc en solitaire sur 340 km. Pour se préparer à son défi, le coureur du Team Chris Net a participé à des courses par étapes comme le Tour du Piémont Vosgien et le Tour du Chablais (7e). Il rallonge aussi les sorties jusqu'à 280, 290 km. Pour fignoler la préparation, Joël Gallopin l'accueille pour des séances derrière derny.
Mercredi 20 mai, Nicolas Roux, 37 ans, s'est lancé dans la nuit sur les traces de « Maître Jacques ». Comme Jacques Anquetil qui lui, enchaînait un Dauphiné Libéré victorieux et Bordeaux-Paris, il a peu dormi avant de partir. Comme en 1965, la nuit et le matin sont froids. "La température moyenne fut de 6°C. Mais nous avons eu la grêle, la pluie, le vent."
Si Jacques Anquetil a failli renoncer en cours de route, au point de descendre de vélo, Nicolas Roux n'a jamais pensé à mettre la flèche. Mais en revanche, il s'est mordu les doigts de s'être lancé dans une telle galère. "Alors qu'il restait encore 5 à 6 h de route, je me suis dit « Mais qu'est-ce que t'es con de t'être mis là-dedans ». Et puis c'est passé." Le soutien et les conseils des Gallopin l'ont aussi bien aidé à arriver à bon port. "Après Chambord, à la sortie de la forêt, Guy Gallopin qui ouvrait la route en voiture vient me voir et me dit : «Si tu continues comme ça, tu vas droit dans le mur ! » C'est là qu'il me dit de lever les genoux, de tirer les pédales sans appuyer." Joël Gallopin manie les gaz en douceur. "Il était toujours à la bonne vitesse. L'entraîneur joue beaucoup dans cette course." Toujours dans une recherche de souplesse les frères Gallopin lui conseille de tomber la chaîne sur le petit plateau. "Et je roulais à 47 à l'heure !"
Les coureurs de Bordeaux-Paris mettaient souvent en avant la difficulté de s'alimenter pendant 600 bornes. Là encore, les frères Gallopin mettent au parfum leur poulain. "Ils m'ont conseillé de manger du solide jusqu'à la prise du derny : sandwichs au Saint-Moret, jambon, viande des Grisons, des gâteaux comme le 4/4, le tout arrosé de thé chaud. Une fois derrière derny, j'ai ajouté des gels et des barres. Mais l'écoeurement de la boisson arrive tôt ou tard. Il faut alterner les boissons", indique le coureur.
Parti de nuit, le coureur de 37 ans a vu les bourgs se réveiller sous ses roues. "Je sentais l'odeur de pain chaud. Il n'y avait qu'une lumière allumée, c'était celle du boulanger dans son fournil. Il n'y avait personne dans les rues, seulement les chats. On voit les cafés qui ouvrent, la vie qui s'éveille." Nicolas Roux en a pris plein les yeux comme à Angles-sur-l'Anglin "un village médiéval, un des plus beaux villages de France." Bordeaux-Paris aurait tout pour plaire à la télévision : c'est le Tour de la France qui s'éveille en une seule journée.
Comme Jacques Anquetil, Nicolas Roux a réussi son pari, au prix d'une grande souffrance. "Les particularités de cette course la rendent très dure : La longueur et le passage derrière derny après le tempo du départ." Mais dans l'adversité, il s'est rendu compte que "le corps a des ressources incroyables !" Toutefois, il ne se compare absolument pas à son glorieux prédécesseur. "Je ne pense pas avoir souffert autant qu'Anquetil. Doubler Dauphiné et Bordeaux-Paris n'a plus d'équivalent aujourd'hui. Avoir relevé ce défi donne encore plus de valeur à la performance d'Anquetil à mes yeux."
A la différence de Jacques Anquetil, Nicolas Roux serait partant pour revenir sur Bordeaux-Paris si la course renaissait de ses cendres. "Je la ferai ! C'est une course d'un autre temps mais qui a sa place au calendrier. Les pros pourraient la faire sans nuire à leur saison. J'espère qu'un organisateur sera motivé pour reprendre cette course." Cet organisateur pourra compter sur la passion de Nicolas Roux pour rameuter du monde au départ.
Crédits photos : Nicolas Jutzi et DirectVelo