La Grande Interview : Fabien Doubey
Cyclo-cross ou cyclisme sur route ? Voilà Fabien Doubey touché par l'inévitable dilemme. D'un côté sa « discipline de cœur », celle de ses débuts et de ses deux titres de Champion de France (Junior en 2011, Espoir en 2015). De l'autre le domaine phare du vélo, dans lequel il gravit les marches quatre à quatre (il remporte une étape au Tour Nivernais Morvan et termine 3e sur la finale de la Coupe de France DN1). Son stage avec la FDJ, cette fin de saison, lui a ouvert l'appétit pour la route et, désormais, il espère passer professionnel. Va-t-il se consacrer à une seule discipline en 2016 ? « Je prendrai une décision en novembre », dit le Jurassien du CC Etupes, 22 ans. D'ici là, il se prépare pour la manche inaugurale de la Coupe de France de cross, ce dimanche, à Albi. Pour retrouver l'odeur des labourés, il a roulé sur un terrain de son enfance, à Légna. Heureux comme un garçon des bois.
DirectVelo : Une médaille d'argent aux Mondial Junior, un final main dans la main avec ton frère jumeau... Ce jour de février 2011, sur le circuit de Sankt-Wendel, en Allemagne, c'est un moment fondateur dans ta carrière ?
Fabien Doubey : C'est une journée exceptionnelle, à laquelle je pense souvent. Ce Championnat du Monde représente un très grand moment sportif et familial (voir nos photos). Non seulement nous faisons un triplé avec l'Equipe de France, mais je termine main dans la main avec mon frère Loïc. C'est lui qui l'a proposé. Clément Venturini avait pris la médaille d'or devant nous et nous arrivions pour la deuxième place. Au lieu de nous disputer le sprint, mon frère me propose que je passe la ligne devant lui. « C'est ton année, je te la laisse », m'a-t-il dit [Fabien Doubey avait été titré Champion de France au mois de janvier, NDLR]. Un geste dont je lui serais toujours reconnaissant. Mais ça aurait pu se dérouler dans l'autre sens : lui devant, moi derrière, toujours main dans la main.
Plus de quatre ans plus tard, tu puises de la motivation dans ce souvenir ?
Oui. J'ai fait des belles choses dans le vélo depuis et j'espère en faire d'aussi belles à l'avenir, parce que je n'ai que 22 ans. Mais quand je souffre, quand je doute, je me rappelle comment le sacrifice a payé à Sankt-Wendel. Ce jour-là, j'ai eu une émotion très courte et incroyablement intense, que je souhaite à tout le monde de connaître une fois dans sa vie.
« UN CONTACT TRES FORT AVEC LA NATURE »
Longtemps, tu as formé un duo inséparable avec ton frère ?
Nous étions proches et rivaux à la fois, ce qui nous a permis d'aller vers le haut. Nous avons commencé le cyclo-cross ensemble, à l'âge de 13 ans. Un jour, nous tournions à vélo dans le village lorsque nous sommes tombés sur David Bonhomme, alias Goodman Cycles. C'est une connaissance de la famille, un bon cyclo-crossman. Jusqu'alors, j'avais surtout joué au foot et mes parents nous poussaient à faire du sport. David nous a proposé d'aller avec lui sur une épreuve à Nance. Je suis parti avec un VTT, sans maillot de vélo et je me classe avant-dernier. Mais ça m'avait déjà plu.
Pourquoi ?
Le terrain était gras, ça glissait un peu... J'ai de suite aimé les sensations. J'ai aussi un contact très fort avec la nature. Avant le cyclo-cross, je faisais de la moto-cross, comme mon père. Nous partions sur les chemins autour de chez nous, dans le Jura. Au-dessus de la maison, à Légna, il y a un terrain spécial qui est ensuite devenu mon circuit pour le cyclo-cross. Aujourd'hui, je suis souvent dehors, que ce soit pour le vélo ou le trail, voire les via ferrata que j'ai découvertes il y a peu.
En cyclo-cross, tu n'es jamais seul au milieu de la forêt, tu peux même être entouré par une foule en délire, comme en Belgique.
J'aime aussi le cyclo-cross pour cette raison. Si je regarde des épreuves à la télé, la foule me donne des frissons. La première fois que je suis allé en Belgique, c'était à Zolder, en 2010. Mon père était là, il avait adoré aussi. Tout était énorme : le public (des dizaines de milliers de spectateurs !), les parkings, les paddocks, les camping cars, l'ambiance... Quand j'ai vu le premier bac de sable, je me suis dit : « Ça va être dur de passer ». Et finalement, je me classe 15e.
« DES GRILLADES ET DU WATER JUMP »
Pourquoi t'être mis à la route ?
Pour compléter ma préparation cyclo-cross. Je suis aussi passé par le VTT et j'ai même participé à des manches de Coupe du Monde, avec un team UCI. Ma première vraie course sur route, je l'ai disputée en 2013 avec le CC Etupes : Annemasse-Bellegarde.
Donc, si ça ne tenait qu'à toi, tu ne ferais que du cyclo-cross ?
J'ai changé d'avis grâce à mon stage de fin de saison avec la FDJ. C'était la cerise sur le gâteau : l'équipe a été très gentille avec moi et m'a permis de voir ce qu'était le cyclisme sur route à très haut niveau. Maintenant, ça me plaît...
De toute façon, il semble que personne ne puisse faire carrière dans le cross en France. La FDJ a fini par se séparer de Francis Mourey cet hiver.
Jusqu'à cette année, je pensais que tu pouvais faire du cross de manière professionnelle en France. Maintenant, j'ai compris qu'il faut partir. Seuls Francis et Clément Venturini s'en sortent bien en restant dans des équipes françaises.
As-tu été tenté par une expérience dans une équipe belge, par exemple ?
Je n'étais pas prêt jusqu'à présent, trop attaché au cocon familial, à l'équilibre que j'avais trouvé avec mes études [pour les mêmes motifs, il a décliné une offre de l'équipe Continentale de l'Armée de Terre pour 2015, NDLR].
Il paraît que tu es toujours fourré au Lac de Vouglans, dans le Jura ?
Voilà, j'ai besoin de passer du temps dans ce genre d'endroit. Quand je ne roule pas, j'y vais avec des amis. On fait des grillades et on mange sur la plage, on sort le bateau ou on essaie des sports extrêmes, comme le water jump [des sauts en vélo dans l'eau, NDLR].
« LES CHOSES AVEC OPTIMISME »
Ton frère a raccroché le cyclisme pour se consacrer à une école d'ingénieur. Séparation compliquée ?
Oui, forcément. Nous faisons toujours tout ensemble. Mais il fallait bien qu'à un moment donné, on se détache l'un de l'autre. Je l'ai peut-être vécu un peu plus difficilement que lui, mais c'est aussi ce qui m'a fait grandir. Lui, il a donné la priorité à de belles études d'ingénieur. C'est tout à son honneur.
Et toi ?
Je continue encore le vélo quelques années, pour ne pas avoir de regrets. Dans le même temps, je passe une licence par correspondance en commercialisation de produits et services sportifs. Si je ne passe pas pro, ce n'est pas la fin du monde, j'aurai un métier qui me plaît parce que je l'aurai choisi et j'aurai travaillé dur pour l'obtenir. La détermination du sport me fait voir les choses avec optimisme, même si l'effort est dur à fournir. Mais aujourd'hui, mon objectif est d'aller le plus haut possible dans le vélo. La marche est encore grande mais j'apprends vite...
Donc, tu souhaites passer pro ?
Disons plutôt : faire de ma passion mon métier.
Certains amateurs répondent à cette définition.
Effectivement, certains coureurs amateurs font du vélo à temps plein. Ils ne sont pas professionnels mais ils peuvent recevoir un peu d'argent de leur club. Pour ma part, je ne tiens pas à faire autant de sacrifices pour si peu. J'aurai aussi besoin de construire une vie de famille un jour. Donc, il faudra bien trouver une place dans une équipe.
Route ou cyclo-cross ?
Bonne question...
Est-il possible que tu arrêtes le cross après cet hiver pour te consacrer pleinement à la route ?
C'est possible, vu la tournure des choses. En ce moment, j'enchaîne les calendriers. En novembre, je vais faire une petite coupure, avant la seconde partie du cyclo-cross, et je vais en profiter pour essayer de répondre à cette question.
« JE PROGRESSE VITE »
Ton directeur sportif, Jérôme Gannat, estime que tu n'es pas encore totalement un routier et que ton partage de programme te porte un préjudice. Il pense par exemple que tu aurais pu prolonger la saison route 2015 de quelques jours et disputer le Tour de Lombardie Espoirs, avec de sérieuses chances de le gagner. En un mot, la pratique du cross freine-t-elle ta progression sur route ?
C'est vrai, je suis encore entre les deux disciplines, donc il est clair que je me ferme des portes. Jusqu'à présent, ce calendrier me convenait, parce que je misais beaucoup sur le cyclo-cross. Le stage avec la FDJ m'a ouvert de nouveaux horizons sur la route. Désormais, j'aimerais voir de quoi je suis capable si j'évolue sur route de février à octobre.
Apparemment, tu auras un titre de capitaine de route l'an prochain au CC Etupes ?
Je l'avais déjà plus ou moins cette saison, à peine un an après que j'ai commencé à faire de la route sérieusement. Je progresse vite et c'est ce qui me donne envie de croire en moi. Sur le terrain, j'aime beaucoup prendre des décisions, donner à mes coéquipiers le scenario qui va se dérouler. A Tour d'Eure-et-Loir, par exemple, nous pensions que la deuxième étape serait propice aux attaques mais ça ne s'est pas passé ainsi (lire ici). Comme nous étions trois coureurs d'Etupes dans l'échappée, j'ai demandé que tout le monde se dévoue pour emmener Hugo [Hofstetter] au sprint. C'était une victoire pour lui, mais pour nous aussi. J'essaie d'expliquer aux gars que tôt ou tard, notre chance individuelle viendra.
Tu es reconnu pour ton sens tactique, mais tu as encore un peu de mal à l'appliquer. Sur les Championnats de France Amateurs, les Championnats de France de l'Avenir, sur la Ronde de l'Isard, tu as dépensé beaucoup d'énergie en début de course. Sur Liège-Bastogne-Liège, tu as même gagné le prix du meilleur grimpeur de cette façon. Pourquoi es-tu si remuant ?
Eh oui, je ne respecte pas les consignes que je donne aux gars ! (rires) Peut-être qu'avec toute cette fougue, je suis passé à côté de belles victoires comme la dernière manche de la Coupe de France, à Chalons-en-Champagne [Fabien Doubey se classe 3e derrière le duo du Vendée U, Romain Cardis et Taruia Krainer NDLR]. Je dois apprendre à me canaliser moi-même. C'est difficile d'attendre... J'ai gardé le style de course du cyclo-cross !
Crédit photo : Martine Lainé