La Grande Interview : Florent Castellarnau
Cessenon-sur-Orb, toute petite commune héraultaise de quelques 2000 habitants, à mi-chemin entre Carcassonne et Montpellier. C’est ici que Florent Castellarnau a passé les vingt premières années de sa vie, lui qui est né à Béziers, dans un environnement qu’il affectionne tout particulièrement et auquel il dit être énormément attaché. “Ce que j’adore dans le Languedoc, c’est que c’est très diversifié. Autour de Béziers, on peut aller à la mer en une demi-heure, mais aussi à la montagne, dans les Cévennes, dans des coins très sauvages comme la Lozère”. L’actuel sociétaire de l’AVC Aix-en-Provence, débarqué très tard dans le monde du vélo, est un amoureux de la nature et des grands espaces. Le jeune homme tient à son identité languedocienne et à son accent du sud-ouest, reconnaissable entre mille. Tenues à l’ancienne, béret sur la tête, il se régale à passer des heures en forêt à chasser, ou plus encore à contempler les lacs et les rivières, autour d’une petite partie de pêche en famille. “Je pratique ce que j’appelle la pêche de mouvements”, rigole le Biterrois. Le concept ? “En fait, je ne suis pas très patient alors je ne peux pas rester deux heures assis au même endroit à attendre la truite. Je change de coin toutes les dix minutes”. Un caractère qui se traduit également dans sa façon de courir sur le vélo, lui qui aime les longues envolées sur les terrains escarpés. La semaine dernière encore, c’est en passant la journée à l’avant qu’il a fini par remporter une étape du Tour de Navarre, en Espagne. “En début d’étape, nous étions un bon groupe à l’avant, mais tous les Espagnols se sont relevés les uns après les autres, sûrement car ils jugeaient les chances de l’échappée infimes. Ils devaient me prendre pour un fou d’insister. Sauf que le fou a gagné !”.
DirectVelo : Avec cette récente victoire en Espagne, c’est la quatrième année consécutive que tu gagnes au moins deux fois dans la saison : une statistique qui parle…
Florent Castellarnau : J’espère que ça parle ! En plus, je trouve que les courses que je gagne sont de plus en plus belles. L’an passé, j’ai même gagné des classements généraux. Cette fois, je gagne une étape sur une grosse course. Je n’ai pas énormément de victoires car il faut que j’aille les chercher en partant de loin ou sur des terrains qui me conviennent très bien. Mais quand je gagne, j’estime que ce sont de belles victoires.
« STEPHANE POULHIES ME SURNOMME "FONTFROIDE" »
Lorsque tu es arrivé à l’AVC Aix-en-Provence, on te présentait comme quelqu’un de tout neuf dans le métier, avec une grosse marge de progression. Quatre ans plus tard, es-tu arrivé au niveau que tu espérais au moment de cette mutation ?
J’espère aller plus haut encore mais globalement, je m’étais toujours dit que si j’arrivais un jour à gagner quelques belles courses amateurs, ce serait déjà bien. Je pensais d’abord à faire partie des meilleurs amateurs, ou du moins à pouvoir peser sur les courses. C’est le cas aujourd’hui, donc je suis effectivement satisfait. Et puis, je représente un peu le Languedoc, car il n’y a pas tant de coureurs de la région que ça en Elites. Je ne parle même pas des pros… C’est assez pauvre. Ce n’est pas la Bretagne, c’est sûr !
Tu es très fier d’être natif de Béziers et d’avoir passé toute ta jeunesse dans la région languedocienne !
Je suis Biterrois, mais j’aime tout le Languedoc. J’aime toute la région montpelliéraine, mais aussi plus haut la Lozère de mon ami Matthieu Caramel. C’est un coin très sauvage. Je connais un peu moins le Gard… En tout cas, mon coeur est languedocien. Ce que j’adore dans le Languedoc, c’est que c’est très diversifié. Autour de Béziers, on peut aller à la mer mais aussi à la montagne, dans les Cévennes. Lorsque je suis dans le village de mes parents, à Cessenon-sur-Orb (Hérault), on est au pied des montagnes des Cévennes. On est à une heure de Montpellier, à trente minutes de la plage… Il fait beau, il faut simplement dompter le vent à vélo (sourires). Il ne faut pas avoir peur de rouler à 23 km/h sur le plat : ça ne veut pas dire qu’on est collé, c’est juste qu’il y a vent de face (sourires). En tout cas, c’est une très belle région.
Y’a-t-il des coins où tu apprécies particulièrement rouler dans la région ?
Ah oui ! En partant de chez mes parents à Cessenon-sur-Orb, à travers l’arrière pays… Je vais notamment escalader le Col de Fontfroide, qui est mon ascension favorite (11,8 km à 6,1% de moyenne, avec un sommet à 962 mètres d’altitude, NDLR), au pied d’Olargues. D’ailleurs, Stéphane Poulhies, qui est du Tarn et vient souvent rouler ici, me surnomme "Fontfroide”. C’est depuis que l’on s’est disputé un KOM (un GPM en anglais, NDLR) là-haut. Ce col, je le connais les yeux fermés. J’y ai le record en trente minutes d’efforts ! Par contre, il faut attendre le mois d’avril et le début des beaux jours pour y aller sinon, c’est enneigé. La vue est belle en haut.
Tu as aussi tes petits coins secrets lorsque tu laisses ton vélo au garage ?
Tout à fait ! Toujours vers Cessenon-sur-Orb, ma région de coeur. C’est mon fief, là où j’ai tous mes amis depuis petit… Je suis fan de la nature : j’adore chasser et pêcher. J’ai passé des dizaines d’heures à me baigner dans la rivière de l’Orb, je la connais par coeur. Je la pêche, je m’y baigne, j’y fais du canöe… C’est mon histoire.
Tu ne pourrais pas vivre en plein Paris !
Ah non ! Bon, c’est vrai que ma copine et moi aimons bien aller en ville de temps en temps, pour aller faire les magasins ou pour un cinéma… Mais au quotidien, je préfère vivre dans un petit village et avoir cette proximité avec la nature, tout en n’étant pas trop loin de la ville pour aller y faire des activités.
« ON A PÊCHÉ UN THON PENDANT TROIS HEURES »
Tu vis dans une région dont le coeur bat très fort pour le rugby. Comment t’es-tu retrouvé sur le vélo ?
Le rugby, j’en ai fait pendant quatre-cinq ans, avec tous mes copains, dans un club à Cessenon. Mais j’ai aussi essayé le foot, le judo, et même la danse contemporaine. C’est mon beau-père qui m’a mis au vélo. Il avait laissé tomber le vélo pendant une dizaine d’années mais une fois qu’il s’est mis avec ma mère, ils s’y sont mis tous les deux. Un jour, j’ai décidé de faire un tour avec le vélo de ma mère : un petit Lapierre en alu… avec un cintre droit de VTT. Et ça m’a vite attiré.
Qu’en ont pensé tous tes amis rugbymen ?
Le vélo n’est pas du tout populaire dans la région. Au début, j’allais faire mes sorties tranquille pendant que tout le monde jouait au rugby. On se demandait ce que je faisais sur le vélo… Sur la centaine de personnes que je connaissais, j’étais le seul à rouler. Depuis, j’ai réussi à convertir quelques rugbymen au vélo, dont un ami très proche.
Sans tomber dans le cliché, lorsque l’on a un physique à faire du rugby, ce ne doit pas être évident de passer au cyclisme !
Ah ça c’est sûr. C’est surtout difficile pour mes amis mais pour ma part, justement, j’avais plus un physique de cycliste que de rugbyman, depuis petit. Je n’ai jamais été très costaud et en plus, j’ai eu une croissance assez tardive. Sur les terrains de rugby, ça allait encore en Benjamins ou en Minimes, mais après… J’ai laissé tomber avant de me blesser. Ensuite, entre le moment où j’ai arrêté le rugby et le moment où je suis monté sur le vélo, à 18 ans, il y a quand même eu trois ans où je ne pratiquais plus de sport, même si je continuais d’aller chasser ou pêcher.
En parlant de chasse et de pêche : tu as déjà ramené de beaux trophées à la maison ?
Bien sûr (sourires) ! Le plus beau trophée que j’ai ramené, c’était lors d’une pêche en mer, car il m’arrive aussi de pêcher sur le bateau de mon père. Enfin, non, on ne l’a pas ramené en fait…
Comment ça ?
(Rires). J’étais avec mon père et mon oncle. On a pêché un thon pendant trois heures ! Nous étions trois à nous relayer à la canne… Et après trois heures, il nous a cassé à un mètre du bateau.
« ON BRONZE, ON BOIT UNE BIERE... CA PASSE MIEUX ! »
Aie aie aie : il n’y a donc pas de preuves ?
Ah si si, j’ai trois heures de vidéo, des photos… On voit même le thon à un mètre mais il est reparti. Bon, il valait mieux avoir des preuves car il y a toujours des potes pour dire : “tant que je n’ai pas vu, je n’y crois pas”.
Tu as dû apprendre la patience à travers ces deux passions ?
Je ne suis pas patient, en réalité. Quand je pêche en rivière, c’est une pêche de mouvements. Je change de coin toutes les dix minutes et je remonte tout un ruisseau. C’est sportif, c’est un peu comme si je faisais une randonnée. Je n’ai pas la patience de rester assis au bord d’un lac pendant des heures… En mer, je n’ai pas le choix. Mais c’est différent : c’est plus ludique car on est sur le bateau, on bronze, on boit une bière… Ça passe mieux ! Et surtout, ça mord plus vite en mer.
Tu arrives à t’adonner à ces activités encore régulièrement, malgré la saison cycliste ?
J’en fais quand même moins. Le cyclisme à haut-niveau demande du temps. En plus, si pendant les journées de repos, tu vas te faire une randonnée de cinq heures autour d’un ruisseau… ce n’est pas compatible. Je m’adapte, mais il m’arrive encore d’aller pêcher une heure de temps en temps.
Plutôt pêche ou chasse, finalement ?
Je préfère pêcher mais au final, je chasse plus souvent, car c’est l’hiver et que je peux me permettre de me cramer plus facilement car il n’y a pas de course derrière. Mais dans mon coeur, je suis à 60% pêcheur et à 40% chasseur.
Sur les réseaux sociaux, tu t’affiches parfois, justement, à la pêche au bord d’une rivière, habillé “à l’ancienne”, béret sur la tête…
J’adore, j’adore ! Au village, on est tous pêcheurs ou chasseurs. Tous mes proches et mes potes sont chasseurs… On chasse aussi dans ma belle-famille, je ne peux pas passer à travers. C’est ancré en moi.
« DANS LE SUD, ON A TENDANCE À S'EMPORTER UN PEU VITE, À GUEULER ASSEZ FORT »
As-tu retrouvé des pêcheurs ou des chasseurs dans le peloton ?
Non, pas trop. Mis à part mon beau-frère, qui a couru en Élites… Mais sinon, je n’en connais pas beaucoup. Quand je discute avec mes coéquipiers, certains me disent qu’ils ont déjà pêché ou chassé, mais il n’y a pas d’acharnés comme moi.
T’arrive-t-il de repérer certains endroits pour pêcher ou chasser lorsque tu es à l’entraînement ?
Tout à fait ! C’est d’ailleurs pour ça que je ne vais rouler pratiquement qu’en montagne. Je me suis installé à Carcassonne avec ma copine en septembre dernier et j’ai vite pris le temps de repérer des petits ruisseaux et depuis, j’ai pu aller y pêcher. C’est aussi la raison pour laquelle mes sorties de vélo passent très vite : je suis toujours en repérage ! Parfois, je m’arrête sur les ponts pendant cinq minutes et j’observe s’il y a de la truite !
Tu as donc grandi dans une région de rugby, au milieu de la nature à explorer cette région que tu aimes tant. Puis en débutant le cyclisme à ta majorité, tu as très vite performé via les clubs régionaux de Toulouse Olympique, du VS Narbonnais puis de l’US Montauban 82….
Je ne sais pas trop pourquoi j’ai vite marché… Mon beau-père a vite vu que j’avais des aptitudes pour le vélo. J’ai toujours été assez fin, longiligne et assez endurant, finalement. Avec toutes ces années d’enfance où je me baignais tout l’été… On y allait à vélo, on marchait… J’ai toujours fait de l’endurance et peut-être que cela a développé mes capacités physiques. Mes premières saisons, je me suis vite habitué aux efforts. Il ne me manquait que les kilomètres. J’ai passé des catégories tous les ans. J’ai quand même passé du temps par terre (sourires) mais au fur et à mesure, j’ai appris à rester debout et j’ai progressé.
On te sent très attaché à ta région : est-ce important pour toi d’appartenir à l’AVC Aix-en-Provence, l’un des seuls clubs représentant le sud de la France en DN1 ?
Oui bien sûr, c’est quelque chose qui compte pour moi. S’il y avait un club de DN1 à Béziers, je serais encore plus heureux ! Et j’y postulerais directement ! Je me retrouve très bien dans le fonctionnement et l’identité de l’AVC Aix. La façon de s’exprimer, de communiquer, n’est pas la même qu’en Bretagne ou qu’en Normandie. Dans le sud, on a tendance à s’emporter un peu vite, à gueuler assez fort. Bon, je suis quand même pour un équilibre entre les deux écoles... En ce sens, je suis content d’avoir connu dans l’équipe un Parisien comme Loïck Lebouvier ou un Franc-Comtois comme Matthieu Converset. Ca permet d’avoir différentes approches. Il n’y a pas que des Provençaux dans le groupe.
A la tête de l’AVC Aix, on retrouve un personnage typiquement provençal en la personne de Jean-Michel Bourgouin : quelles relations entretiens-tu avec lui ?
Aaah Jean-Michel ! En fait, tant qu’on ne l’emmerde pas, ça se passe très bien (sourires). Plus sérieusement, c’est un super gars. Il est direct, il est droit. C’est l’esprit sudiste, justement. Jean-Michel, s’il n’est pas d’accord avec toi, il est capable de te dire : “tu me fais chier, tu me casses les couilles !” (rires). Mais ce n’est pas méchant du tout et ça fait partie du jeu. C’est le sud, et on rigole beaucoup tous ensemble ! Il est aux petits soins avec nous. Il apporte quelque chose aux jeunes dans une vie. Ca restera une belle rencontre pour moi.
« UN PETIT VERRE DE VIN ? DANS L'ÉQUIPE, ON SE REGALE »
Qu’apporte-t-il au groupe au quotidien ?
Ce que j’adore, c’est qu’avec Jean-Michel, on ne fait pas que du vélo, en fait : c’est notre papa. Avec lui, c’est toujours une leçon de vie. Il ne va pas du tout nous pouponner ou nous caresser dans le sens du poil… Il ne nous enseigne pas que le vélo, la science de la course… Quand on part en course tous ensemble et que l’on se retrouve en gîte, on doit faire toutes les tâches ménagères, on s’organise… Il sait aussi clasher quand il le faut, pour notre bien. En plus, on peut parler de tout avec lui, et pas que de vélo ! Par exemple, j’adore parler de vins avec lui !
Tu lui as fait goûter les vins de ta région ?
Les vins de mon beau-père, surtout ! On l’adore ce vin, Jean-Michel sera d’accord avec moi : Domaine Pin des Marguerites. C’est un vin de Saint-Chinian-Berlou. J’en emmène souvent sur les courses, lorsque je sais que l’on est dans un gîte. Un petit verre après la course, ça ne fait pas de mal. J’adore les produits du terroir, régionaux. On est plusieurs comme ça dans l’équipe alors on se régale ensemble.
On parle aussi souvent d’un esprit dans la façon de courir à l’AVC Aix-en-Provence : de quoi s’agit-il ?
L’an dernier, sur la Coupe de France DN1 à Montbéliard, je me suis retrouvé dans une échappée de cinq coureurs, avec également mon coéquipier Ivan Schmitz. Donc on a vite grillé deux cartouches… Ensuite, alors que j’étais encore devant, Grégoire Tarride est rentré. On a grillé une troisième cartouche et il ne restait pratiquement que Julien Trarieux, qui a marqué des points en faisant un bon sprint. A la fin de la course, je me suis dit que l’on avait fait de la merde et que Jean-Michel allait nous bouger. Puis on a reçu un texto de sa part : “Bravo les gars, du vélo à l’Aixoise, j’ai adoré, c’était magnifique !”. Et ce n’était pas ironique. Il a suivi la course sur DirectVelo et il a vu du spectacle… Et il veut que l’on tente, que l’on progresse comme ça.
“Le vélo à l’Aixoise”, dont tu nous avais déjà parlé (lire ici), c’est tout pour l’attaque ?
C’est vrai que l’on aime bien attaquer ! Je ne saurais pas définir exactement ce que c’est mais en tout cas, on en rigole entre nous. A la fin de la course, on se dit : “les gars, c’était du vélo à l’Aixoise !”.
Si tu ne fais pas carrière dans le cyclisme, travailleras-tu dans la nature ?
J’ai fait des études en Génie Civil mais avec le temps, j’ai réalisé qu’en fait, ça allait justement à l’encontre de mes idées, à faire du béton de partout. Je ne me vois pas travailler là-dedans. Je préférerais travailler 1000 fois dans la cave de mon beau-père.