Juan Ayuso, cinq ans chez UAE : « Un formidable projet »
Depuis plusieurs années, c’est l'une des terreurs du peloton espagnol dans les jeunes catégories. Chez les Cadets puis en Juniors, Juan Ayuso a pratiquement tout raflé sur son passage, collectionnant les victoires jusqu’à ne pratiquement plus pouvoir les compter. Et lorsqu’il ne gagne pas, le natif de Barcelone - aujourd’hui résident de Xàbia, dans la Province d’Alicante - termine sur le podium. C’est pourtant avec un ballon au pied que tout a commencé pour le jeune hispanique mais à 8 ans, un ami lui conseille d’essayer le deux roues. Son père, également cyclo, finit de le convaincre. Quelques années plus tard, le garçon se retrouve Champion d’Espagne Cadets sur route et contre-la-montre, avant de remettre le couvert l’an passé chez les Juniors sur l’épreuve en ligne. Lors du chrono, il est devancé par un certain Carlos Rodriguez, passé directement des Juniors au WorldTour avec le Team Ineos l’hiver dernier.
Dénicheur de grands talents, le manager de la formation UAE Team Emirates, “Matxín” Fernández, n’est pas resté insensible au potentiel de Juan Ayuso, sociétaire de l'équipe Bathco, dans la région de Cantabrie. Fin avril, la structure WorldTour annonçait en effet la signature du jeune homme, qui n’est encore que J2, pour les cinq prochaines années, soit jusqu’à fin 2025. Celui qui se rêve en grimpeur aura tout de même le temps de faire ses gammes au niveau Continental début 2021, avant de rejoindre le WorldTour l’été suivant. DirectVelo s’est entretenu avec un adolescent qui s’apprête à passer, au minimum, quatre ans et demi au plus haut niveau mondial.
DirectVelo : Tu as débuté la saison 2020 tambours battants avec six victoires en quelques semaines seulement mais depuis, tu as été stoppé par la pandémie de coronavirus. Comment as-tu vécu ces derniers mois ?
Juan Ayuso : J’ai essayé de rester le plus calme possible durant l’ensemble de cette période, tout en continuant de faire le métier en terme d’entraînements et de nutrition. Mais je n’ai pas voulu en faire de trop. À quoi cela aurait-il servi ? Maintenant que l’on peut à nouveau sortir plus librement, j’essaie de retrouver une vie normale. J’ai l’impression d’être en pré-saison, au mois de janvier. Mais il faut faire avec… Le plus bizarre, c’est de ne pas vraiment savoir à quel moment je vais retrouver la compétition. Ce qui est sûr, c’est qu’il serait inutile de se mettre minable à l’entraînement maintenant et de chercher à vite être au top de sa forme. Il y encore le temps.
« J’AI LA CHANCE D’ÊTRE À L’ABRI POUR UN BON MOMENT »
Tu n’es que J2 mais tu as déjà signé un contrat de cinq ans avec UAE Team Emirates, ce qui est extrêmement rare !
Cela me donne beaucoup de tranquillité d’esprit. Signer un tel contrat, si loin dans le temps, c’est super rassurant. Le seul point négatif de la situation actuelle, c’est de ne pas pouvoir profiter de cette seconde année chez les Juniors. Mais je ne veux surtout pas me plaindre et je pense à ceux qui sont à la recherche d’un contrat. J’ai la chance d’être à l’abri pour un bon moment.
Beaucoup disent que les années Juniors sont les meilleures d’une carrière cycliste…
Je sais que c’est une belle période, peut-être l’une des meilleures dans une carrière, en effet. Ces moments-là, les courses que je ne peux pas disputer depuis trois mois, sont définitivement perdus. On ne pourra pas revenir en arrière. Tout ça à cause du coronavirus. Mais que faire ? C’est vraiment triste pour tout le monde et d’un autre côté, je suis obligé de me dire que je suis privilégié car mon avenir est assuré. Je n’ai pas besoin de démontrer de choses, je n’ai pas besoin de courir partout et le plus possible... C’est précieux par les temps qui courent.
Les choses (très) sérieuses vont bientôt commencer pour toi. Te sens-tu prêt ?
J’ai bien conscience que je m’apprête à me lancer dans quelque chose de nouveau, où la pression finira sans doute par être plus importante. Mais d’un autre côté, j’ai encore le temps et l’équipe va me laisser ce temps, sans pression. La seule pression que je ressens, c’est celle que je me mets tout seul. Encore une fois, signer un contrat de longue durée comme celui-là indique forcément qu’on veut me laisser du temps. Et par définition, on ne va pas me demander de faire des résultats dès la première année, ce n’est pas le but.
Comment imagines-tu cette fin de saison 2020 ?
Pendant un moment, il était sérieusement envisagé que j’aille courir en Belgique pour quelques temps, avec une équipe belge. Mais finalement, ça ne devrait pas se faire, c’est la tendance la plus forte à l’instant-T, à cause de la situation actuelle bien sûr. C’est dommage car j’ai peur que le calendrier espagnol soit limité en fin de saison. C’est vraiment le flou. J’ai peur de ne pas pouvoir beaucoup courir dans les prochains mois, à vrai dire. Mais encore une fois, il faut aussi être capable de relativiser. Ce n’est pas comme si nous étions les seuls coincés, en Espagne, avec pas une seule course à disputer alors que les pays voisins pourraient en enchaîner une vingtaine… J’ai le sentiment que nous allons tous être globalement dans la même situation pendant encore un moment. Le problème est global et collectif. Ce n’est comme si on était laissé de côté.
« ON A LES APTITUDES PHYSIQUES POUR LE FAIRE »
Cette fin de saison, tu y crois ?
Il faut y croire, je suis obligé de me dire que ça va le faire sinon, ce serait déprimant. J’espère pouvoir participer aux Championnats d’Europe et aux Championnats du Monde. Ce seront mes deux gros objectifs si la saison reprend. Si je veux y arriver en forme, je suis obligé de faire, dès maintenant, comme si ces courses allaient se disputer normalement. Sinon, je ne serai pas prêt.
Revenons aux circonstances de ton arrivée chez UAE Team Emirates. “Matxín” Fernández a joué un grand rôle dans cette signature. Comment l’as-tu rencontré ?
Il est entré en contact avec moi il y a environ un an. Il tenait simplement à me féliciter pour mes résultats et m’a dit qu’il suivait ce que je faisais. Mais au début, il n’a pas évoqué son équipe, jusqu’à ce qu’il me propose de participer au stage de l’équipe WorldTour l’hiver dernier. Et c’est à ce moment-là qu’on a appris à se connaître et qu’on a pu échanger beaucoup plus longuement. Forcément, quand tu passes beaucoup de temps ensemble, au même endroit, dans un même hôtel, ça rapproche. On a vite bien accroché, si je peux le dire comme ça (sourires). Tout s’est fait progressivement. Je n’ai pas signé dans l’équipe du jour au lendemain.
T’étais-tu imaginé signer si tôt dans le WorldTour ?
Pas du tout. Si on m’avait dit ça ne serait-ce qu’un an plus tôt, je ne l’aurais pas imaginé une seconde. Mais Matxin m’a donné beaucoup de confiance car il a insisté sur le fait que l’équipe me laisserait grandir tranquillement. Il m’a parlé de ses expériences passées avec beaucoup d’autres jeunes comme moi et forcément, ça met en confiance. Cette signature, elle s’est faite au fur et à mesure, après de longues discussions. Ce n’est pas tombé du ciel en un claquement de doigt. En ce sens, je ne peux pas dire que ça a été une énorme surprise car j’ai eu le temps de le voir venir. Mais en prenant un peu de recul, oui, je peux dire que c’est une chose à laquelle je ne m’attendais pas du tout. En tout cas, c’est un formidable projet. J’ai tout de suite su qu’on allait prendre soin de moi dans cette formation, comme ils le font avec les autres jeunes. C’est un projet à la fois très intéressant et très ambitieux, dans lequel une réelle importance est donnée à chaque individu, à chaque coureur. Pour moi, c’est quelque chose de précieux, un pilier essentiel pour progresser à long terme.
Après Remco Evenepoel, Quinn Simmons, Carlos Rodriguez ou tout récemment Marco Brenner, qui est J2 comme toi, tu rejoins le cercle des coureurs Juniors qui signent très vite dans le WorldTour. Est-ce à dire que la catégorie Espoirs devient inutile ?
Déjà, il faut préciser que ça reste une liste réduite de coureurs. Pour le reste, oui, c’est vrai qu’il ne faut pas précipiter les choses et y aller étape par étape. Je suis le premier à le penser. On ne peut pas se jeter dans le vide comme ça… Mais je ne crois pas que ce soit le cas, et que les coureurs comme moi prenions beaucoup de risques. Le cyclisme a évolué. Les entraînements, notre façon de faire le métier, dès les Juniors, n’est peut-être plus la même qu’avant. La seule chose qui nous manque vraiment, c’est l’expérience, évidemment. L’expérience qui naît de l’accumulation des jours de course, des saisons passées sur le vélo. Mais pour le reste, je crois qu’il a été scientifiquement prouvé qu’à notre âge, tu peux déjà faire partie du monde professionnel. On a les aptitudes physiques pour le faire.
« TROUVER LE BON ÉQUILIBRE POUR DURER DANS LE TEMPS »
Certains disent parfois que les coureurs de la nouvelle génération qui “font le job” à 100% dès les Juniors et passent très vite professionnel ne feront pas de longue carrière chez les pros. Qu’en penses-tu ?
Je crois que ça dépend vraiment de la façon dont chacun se gère, en fait. On ne peut pas faire de généralité et dire que tous les meilleurs jeunes doivent directement aller dans le WorldTour, ou au contraire qu’ils doivent tous rester trois ans dans une réserve. Il y a des mecs qui font 30h d’entraînement par semaine dès les Juniors, d’autres qui font beaucoup moins… Il faut trouver le bon équilibre pour durer dans le temps. Sans prétention aucune, je pense avoir bien géré jusqu’à présent, je n’en ai jamais trop fait. Mais si je pense bien gérer la situation, et si certains me donnent une opportunité en m’expliquant qu’ils feront ce qui est le mieux pour moi, pourquoi je ne tenterais pas ma chance ? Pour moi, ça reste raisonnable si on reste sur un certain équilibre et une certaine logique. Sans sauter d’étapes !
C’est la raison pour laquelle tu ne porteras pas directement le maillot d’UAE Team Emirates dès janvier 2021 ?
Oui, je vais courir dans une équipe Continentale durant toute la première partie de saison 2021, toujours dans le but de progresser pas à pas, puis il sera temps de découvrir mes premières courses avec la WorldTour durant l’été 2021. Tout va se faire progressivement. En 2021, j’aurai très envie de faire des résultats, évidemment. Si je peux aller chercher de belles choses, je ne vais pas me gêner, car ensuite il sera plus dur de performer tout de suite dans la WorldTour.
Contrairement à Marco Brenner (lire ici), envisages-tu aussi de disputer quelques courses du calendrier Espoirs avec la sélection nationale ?
C’est prévu. Je ne sais pas encore quelles courses exactement car c’est trop tôt mais j’ai envie de me confronter aux meilleurs Espoirs avec la sélection. Si je ne disputais que les plus grosses courses d’entrée, en WorldTour, peut-être que je ne ferais que subir. Il vaut mieux pouvoir aussi disputer des courses avec les coureurs de ma génération et essayer de jouer la gagne, de courir devant. Mentalement, c’est super important, surtout pour moi qui ai souvent eu l’habitude de jouer les premiers rôles au niveau national depuis plusieurs années.
Il ne te reste plus qu’à apprendre l’anglais pour pouvoir parfaitement échanger avec tous tes futurs coéquipiers !
En fait, je parle déjà anglais (rires). J’ai eu la chance de vivre cinq ans à Atlanta, en Géorgie (Etats-Unis) lorsque j’étais petit. Mes parents s’étaient installés là-bas pour des raisons professionnelles. Du coup, aujourd’hui, j’ai un niveau d’anglais sensiblement identique à mon niveau d’espagnol puisque j’ai fait cinq ans d’école là-bas. Donc la langue, ça va. Maintenant, ça va être aux jambes de parler.