Les maux sans les mots pour l’Ukrainienne Yuliia Biriukova

Crédit photo Nicolas Mabyle / DirectVelo

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Yuliia Biriukova n’est pas la concurrente la plus bavarde du peloton du Tour de France 2022. Elle est également loin d’être la moins talentueuse. À 24 ans, l’Ukrainienne ne dispute que sa deuxième saison à haut-niveau mais compte déjà de solides références. Cette année, pour ses débuts sous le maillot du Team Arkéa, elle avait lancé sa saison par trois Top 5, dont deux places de 2, sur des épreuves de Classe 2 en Turquie, avant de décrocher plusieurs accessits en Espagne et surtout d’arracher une belle victoire d’étape sur le Tour de Thüringe (2.Pro), en Allemagne, en mai dernier. “Quand on voit ce qu’elle a fait là-bas, forcément, ça en dit long sur son potentiel”, se satisfait-on au sein de l’encadrement de l’équipe. Elle a ensuite, quelques semaines plus tard, décroché un nouveau Top 10 sur les pentes du Mont Ventoux (lire sa réaction d’après-course). 

Dans ces conditions, il n’est donc pas surprenant de voir le collectif breton lui offrir la possibilité de découvrir les routes du Tour de France en cette fin juillet. Discrète sur la compétition jusqu’à présent, Yuliia Biriukova ne fait pas de bruit et passerait presque inaperçue si elle n’appartenait pas à une structure française. Épargnée par les impressionnantes chutes de la première moitié du Tour mais jamais présente non plus aux avant-postes, elle semble cachée au milieu du paquet. Yuliia Biriukova ne s’est jamais non plus prêtée à l’exercice de la zone mixte, au départ des étapes. Seule concurrente ukrainienne présente sur ce Tour, elle aurait pourtant de quoi attirer l'œil et la curiosité de la presse internationale. Mais la jeune femme ne parle que quelques mots d’anglais. “De toute façon, étant donné la situation, on préfère qu’elle se concentre sur l’aspect purement sportif. On a eu une demande d’une télé ukrainienne en avant-Tour, notamment, mais on préfère protéger Yullia pour le moment”, explique-t-on en interne.

Il faut dire que le récit de la vie - et plus particulièrement des derniers mois - de la jeune athlète a de quoi glacer le sang. En parler, brièvement en quelques mots, entre le podium protocolaire et la zone des bus, dans un contexte de fête et au milieu du lourd son des speakers du Tour portés au loin par les enceintes, serait au mieux malvenu, au pire totalement déplacé. Yuliia Biriukova serait de toute façon bien incapable d’en parler dans une autre langue que la sienne. Alors, pour en comprendre un peu plus sur la situation de celle qui est originaire de Lviv, il faut aller à la rencontre du staff des rouge-et-noir. “Yuliia est une fille très courageuse qui se bat contre les difficultés de la vie. Elle ne vit pas que des moments faciles mais on essaie de l’accompagner du mieux possible”. Militaire de formation, Yuliia Biriukova a baigné dans le monde de l’armée depuis son enfance. Et en a payé le lourd tribut avec la mort de son père, pendant le conflit interne ukrainien. Puis son frère a également été durement touché, plus récemment, depuis le déclenchement de la guerre et le début de l'offensive russe fin février. Ce dernier se trouve toujours en soins à l’hôpital.

UNE VIE DE GROUPE TRÈS LIMITÉE

Dur, très dur dans ce contexte bien sûr, de garder le cap pour Yuliia Biriukova. Alors, tous les jours, y compris pendant ce Tour de France, elle profite de chaque instant qu’elle ne passe pas sur son vélo pour être en contact avec ses piliers, celles et ceux qui l’aident à rester debout. “Je passe beaucoup de temps au téléphone ou par messages avec ma maman mais aussi avec mon frère, pour avoir des nouvelles”, explique-t-elle de façon saccadée, avec son maigre vocabulaire anglais, auprès de DirectVeloYuliia Biriukova a un pied à terre en Bretagne, à Rennes, mais elle y passe très peu de temps. L’Ukrainienne est plus régulièrement en Italie, où elle peut aller rouler et passer du temps avec d’autres cyclistes ukrainiennes.

Mais alors, comment parvient-elle à participer à la vie collective du groupe d’Arkéa ? Son niveau de français au point 0 et son anglais très limité poussent à se demander comment se passent, par exemple, les briefings d’avant-course. D’autant que plusieurs des Françaises de l’équipe sont elles-mêmes limitées en anglais.
“Franck (Renimel) fait le briefing en français. Je l’écoute quand même. Puis à la fin, il revient vers moi pour me traduire l’essentiel en anglais. Il me montre tout ça sur le roadbook en même temps”. Une situation forcément tirée par les cheveux et délicate pour tout le monde, y compris pour ses coéquipières. Ces dernières tentent de faire des efforts pour l’intégrer au groupe mais, parfois, se permettent de lâcher l’affaire, considérant peut-être aussi, de temps à autre, que l’Ukrainienne ne fait pas assez d’efforts pour apprendre plus rapidement l’anglais depuis la dernière trêve hivernale et sa signature au sein de la Conti bretonne. “J’essaie de progresser”, assure-t-elle. Quant au français ? “Non, non, c’est trop dur”, sourit Yuliia Biriukova. On lui accordera bien volontiers qu’apprendre l’anglais et le français simultanément est particulièrement difficile lorsque l’on parle soi-même une langue si différente. Pour autant, les débriefings d’après-course, à chaud, sont parfois remplis de frustration, de part et d’autre. « Explique-lui ce qu’elle doit faire car là, elle ne nous aide pas, elle ne nous sert pas à grand-chose ! », a-t-on plusieurs fois entendu de la bouche de concurrentes du Team Arkéa, à l’adresse de Franck Renimel, le directeur sportif, au pied du bus, après-course. Yuliia Biriukova, elle, est au milieu et ne dit pas un mot. Comprend-elle seulement que l’on évoque sa propre personne en pareille situation ? Même pas sûr.

Du côté du staff, on est forcément gêné par cette situation mais avant tout peiné pour Yuliia Biriukova. “En plus de ne pas pouvoir trop s’exprimer, c’est une fille très discrète et très réservée”. Alors, l’Ukrainienne est régulièrement à l’écart du groupe. Sans s’en auto-exclure, mais simplement parce qu’elle ne peut partager plus de moments de complicité avec les autres filles ou le staff. Lors des moments passés à table, par exemple. “C’est sûr qu’elle passe beaucoup de temps sur son téléphone, avec ses proches où tout simplement sur internet. Dans son coin”. Et dans sa bulle, au sein de laquelle elle garde à coup sûr bien des maux. Au plus profond de son corps et de ses tripes. Des maux qu’elle aurait donc bien du mal à exprimer par quelconque mots. Il lui reste alors le vélo, son terrain de jeu favori pour s’exprimer.

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Portrait de Yuliia BIRIUKOVA