La Grande Interview : Pierre Cazaux
Sur les chemins du Sud-Ouest, Pierre Cazaux passe pour un dur. Un coureur capable d'élever la voix, qui impose ses vues et son métier. Fin mars, il dominait la Ronde et Boucles Gerseoises alors qu'il a attaqué sa préparation seulement mi-janvier, à cause d'un problème de santé. Descendu de sa machine, l'ex-professionnel (Roubaix, FDJ, Euskaltel-Euskadi) n'a rien d'une terreur. Son naturel est "calme et posé". Ce bon équipier, cinquième de l'étape-reine du Tour d'Espagne 2010, aux Lacs de Covadonga, a peu à peu ravalé son amertume d'avoir quitté le peloton pro parce que son employeur avait besoin in extremis de coureurs riches en points WorldTour (lire ici). Le Basque peaufine sa reconversion. Et se montre soucieux des autres. Sur les Championnats de France, il se dit prêt à céder sa place à l'un de ses jeunes coéquipiers du GSC Blagnac-Vélo Sport 31. Même dévouement pour le Tour du Maroc, qu'il va disputer dès vendredi. Pierre Cazaux ne figurait pas sur les premières listes des engagés, pour donner la priorité aux jeunes de son équipe. Finalement, il remplace Loïc Chetout, appelé en Equipe de France Espoirs.
DirectVélo : As-tu toujours en tête de raccrocher fin 2014 ?
Pierre Cazaux : Oui, c'est très certainement ma dernière saison. Je ne peux pas continuer à faire du cyclisme comme « non-professionnel » jusqu'à 35 ans. Depuis 2013, je suis inscrit au chômage et je prépare ma reconversion. Pourquoi pas dans le secteur paysagiste puisque j'ai déjà passé tous mes diplômes. Voire dans l'immobilier.
A bientôt 30 ans, tu restes cependant performant en compétition...
J'ai toujours des acquis. Je m'en suis rendu compte l'an passé. Quand j'ai appris que je ne pourrais pas rester chez Euskaltel-Euskadi, je n'avais pas trop de motivation pour m'entraîner. Et pourtant je m'en sortais bien. Je suis d'accord avec Mathieu Drujon quand il dit qu'il « faut arrêter de penser qu'on est foutu quand on a 30 ans » ! (lire ici). Je me sens dans la force de l'âge. Je comprends qu'on ne me regarde plus comme un jeune qui va peut-être gagner le Tour de France, mais j'ai des petites choses à apporter sur le vélo.
« IMPOSSIBLE DE DESIGNER UN LEADER »
Dans le Sud-Ouest, le peloton Elite se réduit parfois à une soixantaine de coureurs sur des rendez-vous pourtant de premier plan. Comment t'en sors-tu tactiquement ?
Ces courses-là sont les plus dures à gérer. Mais on se doit d'y participer, par respect pour les organisateurs. Sur la ligne de départ, on compte trois ou quatre grosses équipes et quelques individualités. La sélection s'opère d'entrée. Quand l'échappée se dessine, les plus forts se retrouvent devant. Et pour la gagne, on retrouve encore les mêmes.
Tout ceci peut favoriser le système des « mafias » ?
Sur les critériums, on trouve parfois des alliances entre coureurs d'équipes concurrentes. Mais sur les épreuves par étapes, c'est plus difficile à mettre en place. Et puis, quand on évolue dans une grande équipe, pourquoi se mettre en « mafia » ? Cette année, au GSC Blagnac-Vélo Sport 31, le groupe est très structuré, bien soudé, très bien encadré. Avec Julien Loubet (ex-AG2R La Mondiale), Loïc Desriac (ex-Team Roubaix-Lille Métropole), Damien Branaa (ex-Burgos BH), mais aussi Loïc Chetout, Karl Baudron et Yoan Verardo, nous sommes toujours au moins cinq candidats à la victoire au sein de la même équipe ! A tel point qu'il est impossible de désigner un leader au briefing d'avant-course.
« CALME DANS LA VIE, A FOND SUR LE VELO ! »
Vous êtes en effet plusieurs à avoir eu une expérience chez les professionnels. Qui joue le capitaine de route ?
Les deux « vieux » sont plutôt Julien Loubet et moi. On encadre les plus jeunes et on essaie de les aider à gagner. Julien a la charge du capitanat plus souvent que moi. Lui et moi, on s'est toujours bien entendu. Même l'an passé quand nous ne portions pas le même maillot.
Donc, vous étiez en « mafia ! »
Un petit peu (rires) !
Dans le peloton du Sud-Ouest, plusieurs coureurs te décrivent aujourd'hui comme « le patron »...
(Il éclate de rire.) Ah bon ? Certes, je commence à connaître tout le monde, et en particulier les « anciens », qui couraient avec moi chez les amateurs avant de passer pro : Jean Mespoulède, Stéphane Reimherr, Arnaud Labbe... Quand je suis dans une échappée, j'essaie d'organiser les choses : « Fais pas ça ! Roule plus fort ! Ralentis » Je me prends au jeu. Autant je suis très calme et posé dans la vie, autant je me donne à fond sur le vélo. Mais c'est aussi mon expérience qui me permet de faire ça.
« LE SURF, UNE BONNE PREPARATION PHYSIQUE »
Tu as couru chez les amateurs à l'Aviron Bayonnais, puis à l'Entente Sud Gascogne, et tu habites près de Cambo-les-Bains. Est-ce que tu te réclames d'une identité basque ?
Forcément un peu, après avoir couru chez Euskaltel-Euskadi. C'était une équipe vraiment basque... sauf la dernière saison (le staff avait engagé en 2013 un Allemand, un Grec, un Marocain, un Russe et des Espagnols non-basques, NDLR). Mais je ne ferai pas de la question basque une affaire très politique.
Tu es plutôt surf ou pelote basque ?
La pelote, j'y jouais plus jeune. Quand j'étais pro, il m'arrivait de taper la balle, parfois avec Romain Sicard. C'était une bonne préparation physique. Quant au surf, je viens enfin de m'acheter l'équipement complet. J'évitais d'aller à la plage l'été lorsque j'étais pro, parce que ça ne fait pas sérieux. Dommage, parce que c'est également une bonne préparation. Tu sollicites beaucoup tes muscles, en particulier les abdos.
« LE CYCLISME SOUFFRE DES FETES DANS LE SUD-OUEST »
Quelle est la place du vélo dans ta région ?
Il n'y a aucune reconnaissance. Rien à voir avec l'engouement que l'on rencontre côté espagnol. Chez nous, même si le titre de Champion du Monde Espoirs de Romain Sicard en 2009 a suscité un intérêt parmi les jeunes, il y a de moins en moins de licenciés dans les clubs. D'autres sports ont la cote : la pelote, le foot et le rugby. Mais le cyclisme souffre autant de cette concurrence que de l'esprit « fêtes » qui anime le Sud-Ouest. A seize ou dix-sept ans les cyclistes préfèrent abandonner leur sport et s'orienter vers les ferias.
Toi, tu n'as jamais participé aux ferias de Bayonne ?
Quelquefois, quand le calendrier me le permettait. Mais attention, je sortais un soir seulement, et je ne rentrais pas tard ! Il faut une volonté énorme pour ne pas se laisser embarquer. Dans les ferias, même si tu ne connais personne, tu te fais vite des connaissances à tous les coins de rue. Les verres peuvent s'enchaîner... Moi je passais voir des copains, je buvais un coup, on restait tranquille un moment et je rentrais chez moi. Disons que j'avais une conscience professionnelle !
« JE PREFERE LAISSER MA PLACE A UN JEUNE »
Pourquoi as-tu préféré le calendrier cycliste plutôt que celui des fêtes ?
Je viens d'une famille qui aime le vélo. Mon père faisait du cyclo-cross, mes cousins ont disputé des compétitions aussi. Je regardais les courses à la télé. Le vélo est devenu ma vie...
A ce stade, quelle est la plus belle victoire à ton palmarès ?
Bayonne-Pampelune en 2013. Le départ était donné près du siège d'Euskaltel-Euskadi. Cette course se déroulait chez moi. Je la voulais.
Quelle ligne ajouter d'ici ta fin de carrière ?
En théorie, un titre de Champion de France. On en rêve tous... Mais ce ne sera pas facile d'être retenu en sélection Midi-Pyrénées. Le club dispose d'un nombre limité de places, et je préfère que ce soit un jeune qui en profite, un coureur qui a des ambitions précises alors que moi je possède malheureusement l'essentiel de ma carrière derrière moi.
Crédit Photo : Guy Dagot - www.sudgironde-cyclisme.net