La Grande Interview : Romain Faussurier
Le « vélo facile », en réalité c'est « difficile ». En cinq ans, Romain Faussurier est passé d'un des meilleurs Juniors de sa génération, destin de coureur pro tout tracé, à un pilier du cyclisme amateur. "J'ai perdu quelques années", concède-t-il. Championnat de France 2011 à Ussel (Corrèze) : il devance son cousin Pierre Latour, aujourd'hui figure montante d'AG2R La Mondiale. Championnat du Monde 2011, à Copenhague (Danemark) : il porte en triomphe le vainqueur, Pierre-Henri Lecuisinier, aujourd'hui membre de la FDJ. Sur la photo, que du beau linge : Latour, mais aussi Florian Sénéchal (Cofidis), Alexis Gougeard (AG2R), Olivier Le Gac (FDJ), Guillaume Martin (Wanty-Groupe Gobert). Sur huit coureurs, ils sont tous passés professionnels, sauf Adrien Legros, pensionnaire de Sojasun espoirs-ACNC, et Romain Faussurier, qui pédale au Team Probikeshop Saint-Etienne Loire. "Mais je suis heureux de ce que je fais", précise ce dernier, 22 ans. Car Faussurier, récent 2e du Grand Prix de Cours-la-Ville, trouve un plaisir particulier à pratiquer le cyclisme : les « copains ».
DirectVelo : En 2011, tu es Champion de France Juniors. Depuis, tu n'es pas passé professionnel mais tu es toujours dans le peloton amateur et apparemment heureux de faire du vélo. Comment peux-tu nous résumer le film de ces cinq dernières années ?
Romain Faussurier : Je ne pense pas avoir changé ma façon de faire du vélo. Je roule pour m'amuser. C'est ce qui payait autrefois. Aujourd'hui, il est plus difficile d'avoir des résultats en conservant cette mentalité. Ça ne veut pas dire que je prends mon sport à la légère, mais j'accorde une grande importance à ce qui se passe autour, aux copains par exemple. Ça doit remonter à mes années BMX.
Tu as débuté par le bicross, avec quelques participations sur les Championnats d'Europe et Championnats du Monde. Ton colocataire Thomas Lassaigne dit que tu détestais la route à cette époque.
Ah oui ! On appelait les cyclistes sur route « les routards ». Je pensais qu'il ne pouvait y avoir de bonne ambiance que dans le BMX. On partait le week-end en camping car, toutes les familles des cyclistes étaient réunies. C'était mon univers entre l'âge de 5 ans et 14 ans. Quand je me suis mis à la route, pour voir « autre chose », je me suis un peu ennuyé au début. Mais j'ai eu la chance de tomber sur des gars comme Valentin (Deverchère, coureur au CR4C Roanne) ou Thomas (Lassaigne, du CR4C Roanne également). On ne portait pas le même maillot mais on se retrouvait, on déconnait. Nous sommes ensuite devenus coéquipiers (à Roanne) et colocataires (à Saint-Etienne, où ils sont tous scolarisés au Pôle Espoirs, NDLR). Ces mecs m'accompagnent toujours et font que je me sens bien dans le vélo. Ce sont plus que des amis, ils sont comme les membres de ma famille. Et la famille, pour moi, c'est vraiment crucial.
« JE VOUS PAYE LE KARTING ! »
Vous formiez une joyeuse bande, qui existe toujours ?
Aujourd'hui, nous ne portons pas le même maillot, mais il y a des règles à respecter. Il est hors de question qu'un coureur du CR4C Roanne frotte avec un autre du Team Probikeshop Saint-Etienne. Pour rigoler, certains disent que nous formons une seule et même équipe ! Mais comment devenir réellement adversaires après ce qu'on a vécu ensemble ? Quand nous étions chez les Juniors, nous insistions pour dormir tous dans la même chambre. Six matelas et hop ! On partait en vacances, on faisait tout ensemble.
Cette proximité faisait de vous une équipe redoutable sur le vélo ?
L'équipe Juniors du CR4C Roanne était hyper forte. La plus forte de la région, une des plus fortes de France...Notre directeur sportif, Vincent Garin, nous lançait des petits paris : « Si vous terminez à trois dans le Top 5, je vous paye le karting ! ». Et on le faisait !
Toi-même, tu étais l'un des coureurs les plus solides de ta génération et un des plus volontaires. Il paraît que tu pouvais aller jusqu'à la crise de crampes et abandonner ?
C'était au Tour du Canton d'Aurignac, une manche du Challenge National Junior en 2012 (voir ici). J'avais 1'15'' d'avance à sept kilomètres de l'arrivée, et puis j'ai eu des crampes terribles. Je n'ai pas pu finir...
Et donc, il y a ce titre de Champion de France en 2011, pour ta première année en catégorie Juniors (voir classement) ?
Mon plus beau souvenir sur le vélo. Mon cousin Pierre Latour termine deuxième. A chaque fois qu'on se voit, on en reparle et on en rigole. Il a un très beau palmarès chez les pros avec AG2R La Mondiale. Mais toujours pas de maillot tricolore ! A mon avis, il est un peu jaloux (rires) !
« C'EST PAS UN CADEAU QUAND TU MARCHES CHEZ LES JEUNES »
Après ton époque Juniors, tu as eu quelques difficultés à passer au rythme supérieur ?
Oui... j'ai vécu dans le vélo « facile ». C'est pas un cadeau quand tu marches bien chez les jeunes. Disons que je suis longtemps resté au même niveau et que les autres ont davantage progressé. Dans une DN1, tu trouves plein de gars forts et qui deviennent encore plus forts, certains travaillent même comme des pros.
Et toi, tu as perdu du temps ?
En partie, oui. Même si je suis en train de retrouver une bonne dynamique et que je pense toujours retrouver ma place à l'avant du peloton. Que s'est-il passé quand je suis sorti de chez les Juniors ? En 2013, je n'ai pas marché aussi bien que je le voulais. En 2014, je suis parti au CC Etupes. Ce n'était pas tant un club « formateur » dans la mesure où il prend des coureurs déjà expérimentés, mais plutôt une « rampe de lancement » pour les pros. J'en garde d'excellents souvenirs. Malheureusement, j'ai eu une pneumonie qui a gâché ma saison.
Ces deux dernières saisons, tu sembles reprendre des couleurs ?
En 2015, ça allait déjà mieux, je me suis engagé au Team Probikeshop Saint-Etienne Loire et j'ai terminé plusieurs fois dans le Top 10 de belles épreuves. Et désormais, je suis davantage concentré sur mon sujet. Il y a trois mois, le club nous a proposé de travailler avec un préparateur mental. La collaboration porte ses fruits. Je me concentre sur mes points forts, je prends confiance, j'ai même réussi à perdre du poids.
« LA BANDE DE COPAINS A RESURGI »
A 22 ans, tu vis toujours en colocation ?
Oui, depuis que j'ai 16 ans. On a beaucoup appris ensemble. Tu fais à manger en commun, tu fais le ménage. Le matin, tu n'as plus tes parents pour te réveiller. Tu es quasi-livré à toi-même. Là, tu grandis vite ! Aujourd'hui, la « villa » est située à Saint-Jean-de-Bonnefonds, à l'est de Saint-Etienne. Je partage les murs avec Thomas Lassaigne, Valentin Deverchère et Clément Russo. Il y a toujours autant de plaisir à être ensemble et ce sont toujours mes frères. Mais on est sans doute devenus plus sages.
Vous parlez toujours de vélo ?
Pas seulement. Je pense même qu'on parle davantage de foot. On est tous supporters de Sainté, bien sûr. Sauf Clément (Russo), qui est pour celui qui gagne ! (rires)
Cette colocation était quasi-obligatoire dès lors que tu vivais hors de Roanne, rattaché au Pôle Espoirs de Saint-Etienne. Mais était-ce aussi une façon de t'éloigner de ta famille ? Tes parents étaient dirigeants au CR4C Roanne. A la longue, ça peut être pesant, non ?
Ma famille n'est jamais bien loin, et j'en suis content. D'un côté, il y a ma mère, qui est accro au vélo. S'il n'y a pas de courses de vélo un week-end, c'est clair, elle s'ennuie. ! (rires) De l'autre, mon père qui a été un très bon coureur amateur. J'ai la chance qu'ils m'aient aidé depuis le début. Pourtant, ils ne se sont jamais trop occupé de mes affaires malgré leur position au sein du club. Mais ça m'ennuyait qu'on pense qu'ils me favorisaient. C'est pour ça que j'ai voulu tenter l'aventure du CC Etupes. Finalement, les trajets étaient trop loin entre la maison et le nouveau club. En plus, les amis me manquaient !
On revient aux amis ! Est-ce que tu peux encore concilier ta vie d'athlète de haut niveau avec la mentalité « copains » qui t'est chère ?
Oui ! A Saint-Etienne, j'ai l'impression de revivre ce que j'ai vécu en Juniors. C'est la fête dans la camion quand on part sur une course : la musique à fond, on s'amuse. Le début de saison a été difficile côté résultats. Certaines équipes nous ont certainement pris pour des charlots. Depuis deux ans, on est toujours en position relégable de la DN1 à cause de nos mauvais classements en Coupe de France. On s'est dit qu'on ne pouvait pas partir sur les mêmes bases en 2016, alors on s'est remis en question ensemble. Ensuite, on a remporté plusieurs courses, chacun dans notre côté, et ensuite tous ensemble sur le Tour de Dordogne, avec Guillaume Bonnet qui gagne une étape. Là, c'est la bande de copains qui a ressurgi.
« EN COUPE DE FRANCE, LES MECS SE TAPENT DESSUS »
C'est toujours très beau, cette idée de travail en équipe. Mais à la fin, tu as toujours un seul vainqueur...
...Et je déteste perdre ! Si je ne gagne pas, il faut au moins que j'atteigne un objectif. Ça peut consister à faire gagner un ami. Dans ce cas, c'est équivalent à une victoire. C'est mon approche du vélo. D'autres n'ont pas le sens du sacrifice (c'est même une majorité de coureurs). Je vois que les gars ne se dévouent pas avec plaisir. En règle générale, on ne veut pas rouler sur les courses.
Comment ça ?
Je me souviens du Grand Prix de Nogent-sur-Oise, en Coupe de France DN1. J'étais échappé avec Yoann Paillot (Océane Top 16) et Romain Bacon (CC Nogent-sur-Oise), les deux meilleurs rouleurs du peloton ! Et ils ne voulaient pas collaborer. Une vraie catastrophe.
Est-ce lié à l'enjeu de la Coupe de France DN1 ? Un mauvais placement et le club peut être relégué en fin de saison...
Ces courses-là sont tristes à voir. Avant d'y participer, je n'avais jamais vu des mecs se taper dessus sur un vélo.
Les coureurs en arrivent à ce degré de violence ?
Hélas, oui, c'est déjà arrivé. Les clubs ont la pression et nous la transmettent. Vous avez remarqué le nombre de chutes sur ces épreuves ? Quand tu vois un mec dans le fossé, tu en viens à penser « Un de moins ! ». On nous monte le bourrichon toute l'année avec cette Coupe de France. Si tu te rates, tu peux indirectement faire couler ton club. C'est très malsain...
« A l'AVENIR, JE SERAI TOUJOURS SUR LES COURSES »
Tu te vois continuer longtemps dans le peloton amateur ?
Aussi longtemps que possible ! Je suis heureux de ce que je fais.
Certains de tes copains disent que c'est du « gâchis » que tu n'aies pas obtenu de contrat professionnel, considérant tes résultats de l'époque Junior.
Un « gâchis » ? Non, je ne le vois pas comme ça. Pourquoi tout ramener à un passage chez les pros ? D'accord, ça ne fait pas sérieux, un cycliste de 27 ans qui ne crie pas sur tous les toits qu'il veut passer pro. Mais, moi, je veux faire du vélo, quel que soit le statut. Une fois le vélo raccroché, je me vois bien travailler dans l'encadrement d'une équipe. Cette année, je m'occupe d'aider le club avec les ravitaillements et autres petites tâches. Ça me plaît. L'essentiel, dans l'avenir, c'est que je parte tous les week-ends sur des courses de vélo.
Même quand la colocation sera dissoute ?
Bon, c'est vrai, on va finir par se séparer. Ce sera très difficile. On fera marcher le téléphone... Mais tu es sûr que ce jour viendra vraiment ? J'en connais qui ont essayé de se tirer de cette coloc et qui sont vite revenus ! Tu n'oublies jamais les copains...
Crédit photos : Hervé Dancerelle, Nicolas Gachet et Philippe Pradier