La Grande Interview : Alexys Brunel

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Tout va très vite pour Alexys Brunel. Débarqué dans le monde du cyclisme il y a seulement trois ans, le Nordiste a réalisé deux saisons très convaincantes chez les Juniors, en remportant notamment Gand-Wevelgem et le Championnat d’Europe contre-la-montre l’an passé. Pour sa toute première course chez les Élites, le sociétaire du CC Etupes s’est imposé sur les Boucles du Haut-Var après un numéro en solitaire, en février dernier. Réputé comme un garçon au tempérament de guerrier, prêt à faire de nombreux sacrifices, le triple médaillé d’argent des Championnats de France Juniors (chrono et route) a fait ses gammes en course à pied. Une discipline qu'il dit trouver encore plus exigeante que le cyclisme. "Parfois, c'était de la survie. Je n'ai jamais connu de telles souffrances sur le vélo".
Grand gourmand, capable de déguster des céréales au chocolat avant les manches de Coupe des Nations ou un paquet de chips avant un Mondial chrono, l’Espoir 1ère année sait qu’il a encore une grosse marge de progression. Ses principaux axes de travail : la science de la course et apprendre à se canaliser. 

DirectVelo : Il parait que tu es le seul coureur à manger des céréales au caramel et au chocolat avant un grand rendez-vous international comme Gand-Wevelgem Juniors...
Alexys Brunel : (Rires). Je suis comme ça ! J'ai toujours fait ça depuis mes débuts dans le vélo. Je ne fais pas n'importe quoi non plus, mais presque. C'est vrai que je ne suis pas le plus regardant des coureurs en ce qui concerne l'alimentation. Et oui, j'avais mangé des céréales Lion au petit déjeuner le matin de Gand-Wevelgem. Mais ça ne m’avait pas empêché de gagner ce jour-là (voir classement). Je me le permets de temps en temps mais je fais quand même attention. C'est encore plus vrai depuis que je suis dans le peloton des Espoirs cette année. 

Chez les Juniors, tu ne faisais pas attention du tout ?
Disons que je mangeais ce qui me faisait plaisir. C'est une habitude que j'ai toujours gardée depuis petit. Je fais de gros sacrifices sur le vélo alors à table, je me lâche un peu. Mentalement, ça fait du bien parfois. Je me souviens d'un Tour du Canton d'Aurignac où j'avais demandé au Comité de me ramener des Crunch (céréales au chocolat, NDLR). Je m'en étais mangé deux-trois bols et finalement, j'avais bien marché sur la course (3e). 

« UN PAQUET DE CHIPS AVANT LE MONDIAL »

Tu n’as pas souvenir d’un plaisir alimentaire qui t’aurait été préjudiciable en course ?
Une fois, j'ai complètement craqué : c'était en J1, la veille du Chrono des Nations. J'avais fait un restaurant avec mes parents et je m'étais pris une salade. Mais j'avais encore faim et j'étais frustré alors je me suis pris un Américain, avec une grosse ration de frites notamment et des sauces en tout genre. C'était du costaud. Le lendemain, j'étais bien encrassé.


Tu n'as jamais eu de remarques de certains de tes équipiers sur l'alimentation ?
Ça peut arriver mais ce n'est jamais méchant. Je me souviens notamment de la veille du Championnat du Monde chrono à Richmond. J’ai avalé un petit paquet de chips et Louis Louvet m'avait fait la réflexion en me disant : "putain tu manges des chips la veille du Mondial...". Mais bon, c'était un petit paquet. Pour être honnête, je n'ai jamais cherché à cacher ces petits excès. 

Tu penses que l'on accorde trop d'importance à l'alimentation en cyclisme ?
Non, je peux comprendre car les études montrent bien que c'est important. Cela dit, de là à être au millimètre comme certains... c'est fou. Je vois des mecs qui pèsent tout ce qu'ils mangent. Je pense que l'on peut être un poil moins excessif que ça. Le top, ça doit être un juste milieu. Il ne faut pas se rendre malade non plus. Sinon psychologiquement, tu finis par exploser. Ce qui me fait rire, c'est les mecs qui font des sacrifices de dingue en cuisine mais qui ne font pas le nécessaire à l'entraînement. La base, c'est quand même de faire le job sur le vélo.

« JE N'AI PAS TOUS LES RÉFLEXES »

Ce petit décalage au niveau de l'alimentation n'est-il pas d'abord dû au fait que tu sois "tout neuf" dans le milieu du cyclisme ?        
Oui et non parce que pour d'autres choses, j'ai quand même vite évolué. Je pense notamment aux nouvelles technologies comme le capteur de puissance. Je me suis vite adapté et aujourd'hui j'adore l'utiliser. Mais c'est vrai que je n'ai pas tous les réflexes d'un coureur qui baigne là-dedans depuis gamin. Je n'ai commencé la compétition qu'en fin de Cadets 2 et du coup, il a vite fallu rattraper mon retard sur plein d'aspects différents.

Tu es un ancien spécialiste de la course à pied...
J'ai d'abord fait du foot plus petit puis je me suis mis à la course. J'y marchais fort puisque j'ai notamment terminé 8e sur un cross international à Amsterdam alors que je n'avais que 14 ans et que je faisais face à des mecs de 20 ou 30 ans.

Pourquoi être passé de la course à pied au cyclisme ?
A cause d'une blessure persistante au niveau du genou. Je commençais à alterner la course à pied et le vélo à l'entraînement et finalement, j'ai fini par me porter vers le cyclisme, pour essayer.

« TOUT A VITE BIEN MARCHÉ »

L'effort physique est-il sensiblement le même dans les deux disciplines ?
La course à pied ressemble à l'effort contre-la-montre, plutôt. En fait, je n'ai pas peur de le dire : la course à pied est un exercice encore plus difficile que le vélo. A pied, tu es tout le temps dans un effort intense, presque au seuil. Les changements de rythme sont très rares mais il faut partir très vite puis réguler ta vitesse. Il n'y a aucun moment où tu peux vraiment souffler. Tu es toujours à la limite de la rupture alors que sur le vélo, il y a différentes phases de course où tu peux souffler, rester dans les roues et temporiser. A pied, tu te mets minable. Je me souviens de certaines courses où une fois passée la ligne, je m'effondrais par terre. Parfois, c'était de la survie. Je n'ai jamais connu de telles souffrances sur le vélo.


Tu as rapidement compris que tu allais pouvoir "marcher" sur le vélo ?
Je l'espérais. Ça allait plutôt bien en course à pied alors j'avais de l'espoir. Surtout, j'ai terminé trois fois deuxième de mes trois premières courses FFC en Cadets. Tout s'est bien enchaîné chez les Juniors puisque j'ai gagné en solitaire la première manche de la Coupe de France, les Boucles de Seine-et-Marne (voir classement). Ça m'a fait drôle. Sur le coup, je n'ai pas trop réalisé ce que signifiait cette victoire mais tous les meilleurs étaient-là.

Cette année encore, tu as frappé fort d'entrée en gagnant sur les Boucles du Haut-Var après un numéro en solitaire dans le final, et ce pour ta toute première course dans le peloton des Élites (voir classement). Finalement, tu sembles sauter les marches trois par trois depuis le début ?
C'est vrai que pour en revenir à ma première saison Juniors, j'ai aussi gagné la Philippe Gilbert, puis j'ai terminé coup sur coup 2e du Championnat de France chrono et 2e de la course en ligne. Sans oublier ma troisième place finale sur la Coupe de France. En J2, j'ai gagné Gand-Wevelgem, j'ai porté le maillot de leader sur la Course de la Paix, j'aurais peut-être pu gagner Paris-Roubaix mais j'ai été pris dans une chute alors que je me sentais très fort, j'ai été Champion d'Europe chrono... je n'ai pas quitté le Top 15 sur mes deux Mondiaux. Tout a vite bien marché.

« LES SACRIFICES, C'EST LA BASE POUR FAIRE CARRIÈRE »

Ta petite amie nous expliquait qu'avec ces résultats, tu n'as pas été habitué à l'échec jusqu'à présent ?
C'est vrai qu'il n'y a pas eu beaucoup de grandes courses où je ne me suis pas senti capable de faire un résultat. Je ne me suis jamais dit : "cette course-là, tu ne pourras pas la gagner il y a des mecs dix fois plus forts que toi". Mais j'ai quand même connu des échecs comme sur la Course de la Paix où j'ai craqué sur l'étape reine. Et puis, sur mes deux Classiques des Alpes, je n'ai jamais été en mesure d'espérer quoi que ce soit dès les premières ascensions.

Avec un tel parcours, on pourrait se penser au-dessus des autres : n'est-ce pas dangereux ?
J'ai rapidement appris à être marqué sur les courses. Je n'ai jamais eu trop de libertés car on me connait depuis mes premières grosses courses en Juniors. Pour le reste, je ne suis pas dans une optique de me dire que je suis plus fort que les autres, et je ne le serai jamais. Certes, ce qui est pris n'est plus à prendre comme dirait mon entraîneur Nicolas Boisson mais pour le reste, rien n'est acquis. Il faut toujours bosser, très dur. Sinon, ça peut vite tourner.


Lorsque tes proches parlent de tes principales qualités, ils soulignent notamment ton sens de l'effort et du sacrifice...
Les sacrifices, c'est la base pour faire carrière. Je me souviens très bien d'un discours d'Eddy Merckx qui nous avait dit aux meilleurs Juniors : "vous avez du talent, mais n'oubliez pas que vous ne ferez rien avec votre talent si vous ne travaillez pas dur à l'entraînement". Bien sûr, le talent peut aider mais ça passe d'abord par le travail. Combien de coureurs ont des talents inexploités ou gâchés ? Chaque entraînement est une sorte de sacrifice finalement, mais chaque entraînement est nécessaire à ta progression.

« J'AI BESOIN D'ATTAQUER SINON, J'AI L'IMPRESSION D'ÊTRE LÀ POUR RIEN »

Les sacrifices, ce n'est pas que sur le vélo. Tu as également fait un choix fort en janvier dernier en décidant de t'installer à Belfort...
Ce n'était pas facile pour moi de quitter Boulogne-sur-Mer, ma région et surtout ma famille. Mais il faut faire des choix. Belfort, c'était une façon de me rapprocher de mon club du CC Etupes et de mon entraîneur Nicolas Boisson. Je ne suis pas tout seul d'autant que je me suis installé avec ma petite amie, Manuella. J'ai trouvé un équilibre et je suis heureux ici. Suivant où m'emmène le calendrier, j'essaie de retourner voir ma famille dans le Nord.

Rejoindre le CC Etupes et te rapprocher de la formation FDJ a également été un choix fort, toi qui avait des liens avec la Cofidis chez les Juniors ?
C'est un choix personnel que j'ai fait après avoir bien réfléchi. Nicolas Boisson a joué un rôle dans cette décision, c'est un mec au top en qui j'ai entièrement confiance. On verra bien ce que me réserve l'avenir mais je n'ai pas de raison de regretter cette décision-là. En tout cas, je l'assume parfaitement même si je peux comprendre que de loin, ça puisse éventuellement être mal vu.

Ton entraîneur Nicolas Boisson te trouve deux principaux défauts sur le vélo : ta lecture de la course et le fait que tu n'arrives pas à te canaliser. Tu es d'accord ?
Complètement ! On en parle souvent avec Nico. Au début, je ne connaissais rien à la tactique en vélo. Chez les Cadets, il m'arrivait de me retrouver en tête avec un mec et de ne pas lui demander de passer de relais pendant 15 bornes. Et bien sûr, je terminais 2e. Tout cela s'apprend petit à petit, au fil des expériences. Je pense progresser quand même. Pour ce qui est de se canaliser, c'est encore un autre problème. En fait, j'ai besoin d'attaquer. Si je n'attaque pas en début de course, j'ai l'impression d'être là pour rien. Un gars comme Julian Alaphilippe a la même problème : il le disait récemment pour Milan-San Remo : "le plus dur, c'est de ne pas bouger pendant 290 bornes". Mais c'est aussi ce qui te permet de faire la différence au bon moment. J'ai bien conscience que sur certaines courses, tu n'as qu'une cartouche et qu'il ne faut pas faire n'importe quoi. Alors j'essaie de prendre sur moi.

« GAGNER SUR LE CHAMPIONNAT DE FRANCE »

Ce samedi, il faudra sans doute faire preuve de patience et d'intelligence tactique pour briller sur le Tour des Flandres...
J'ai passé pas mal de temps à bouffer des vieilles cassettes du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix ces derniers jours. Je me suis regardé les victoires de Boonen, Cancellara, Terpstra et autres. Lundi, dès que je suis rentré de la manche de Coupe de France DN1, j’ai regardé le replay de la victoire de Philippe Gilbert au Tour des Flandres. D'abord parce que je suis un passionné de vélo et de ces courses flandriennes, mais aussi parce que ça me permet justement de progresser sur les défauts dont on vient de parler. J'aime bien analyser les choix des coureurs, savoir pourquoi ils attaquent à tel ou tel endroit, pourquoi ils choisissent telle portion de la route ou du pavé. C'est un exemple.

De quoi rêves-tu pour les prochaines semaines ?
Faire un résultat sur le Tour des Flandres avec le maillot français, ce serait franchement pas mal, même si j'ai conscience que ce sera dur (voir la sélection). Et puis, j'aimerais bien gagner sur le Championnat de France Espoirs, en chrono ou sur la route. J'ai déjà trois médailles d'argent. J'en ai marre de passer à côté. Je vais me préparer pour le titre.

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