La Grande Interview : Matthieu Jeannès

Crédit photo Julie Desanlis - DirectVelo

Crédit photo Julie Desanlis - DirectVelo

Matthieu Jeannès n’est peut-être pas près de ranger son vélo au garage. Le Finistérien était pourtant à deux doigts de lâcher l’affaire en 2012, suite à des problèmes physiques sérieux à l’artère iliaque. Absent des courses cyclistes pendant de nombreux mois, le natif de Quimper, qui vit à Saint-Yvi, aurait pu tout abandonner mais il n’en a rien été. Bien au contraire. Un temps motivé par le triathlon, il repousse ses limites lors de l’Embrunman, un Ironman XXL, avant de reprendre la compétition cycliste. En 2014, le voilà qui s’exile en Amérique du Nord et découvre le milieu professionnel en Continental, avec la Lupus Racing Team de son ami Phil Cortes, autre grand baroudeur. Depuis, il collectionne les courses exotiques mais c’est tout près de la maison, pour le club d’Hennebont, que l’actuel leader du Challenge BBB-DirectVelo - désormais trentenaire - a décidé de courir en cette nouvelle saison, après son expérience à l’EC Saint-Etienne Loire l’an passé. Au côté de son frère Thibault, qui revient tout juste d’un périple de trois mois en Argentine, Matthieu Jeannès espère briller sur les Classiques bretonnes. Tout en continuant, en parallèle, de jouer les bricoleurs en retapant un atelier familial.

DirectVelo : Tu as choisi de ne pas poursuivre l’aventure à l’EC Saint-Etienne Loire en 2018...
Matthieu Jeannès : Mon changement d’équipe s’est fait tard. Je devais rester à Saint-Etienne, dans un premier temps, mais lorsque je suis rentré du Rwanda, on ne s’était pas encore mis d’accord avec les dirigeants. Le deal était que je reste basé en Bretagne mais ça faisait des frais de déplacements. En plus, je retape actuellement un atelier près de chez moi et j’ai envie que ça avance : ça me prend du temps. Il aurait donc été compliqué de rester à Saint-Etienne.

Cette arrivée à Hennebont, c’est donc d’abord une volonté de revenir aux sources ?
J’ai bien failli débuter la saison sans club car cela a mis un moment à se faire. Je me suis dit que j’allais peut-être aller jusqu’aux classiques bretonnes comme ça, puis que je mettrais le vélo au clou. Mais finalement, c’est d’abord mon frère Thibault qui est retourné à Hennebont. Mi-décembre, j’ai revu le Président du club et on s’est arrangé. Et voilà comment je me suis retrouvé au club ! Sportivement parlant, faire les classiques me motive. On aura un beau programme jusqu’à l’Essor breton.

Courir dans la même formation que son frère est toujours quelque chose de spécial !
Surtout que cela ne nous est pas arrivé si souvent que ça. En fait, ça n’avait été le cas qu’en 2009, à Brest (au BIC 2000, NDLR), puis quelques mois pendant l’été 2014, lorsque l’on courait au Canada, c’est tout. Pour l’instant, il est en Argentine et rentrera ce week-end mais ce sera forcément un moment sympa. J’ai hâte.

« UNE FOIS LE PRINTEMPS PASSÉ, JE NE SAIS PAS TROP CE QUE JE FERAI »

Tu as eu 30 ans en novembre dernier : te reverra-t-on un jour dans une DN ?
Je n’ai fermé aucune porte. Les portes se ferment d’elles-mêmes. Bon, à Saint-Etienne, ça aurait pu continuer... J’ai pris beaucoup de plaisir là-bas et sportivement, c’était sympa. Mais pour y vivre… J’y avais fait un an, dans un appartement du club et c’était sympa, mais assez pour moi. Je voulais changer et revenir en Bretagne. Pour le reste, disons que physiquement, je pense être au niveau et je peux apporter aux jeunes. Je ne me projette pas à moyen et long terme : je prends au jour le jour. Pour l’instant, je suis concentré sur la préparation des classiques bretonnes et sur mon atelier.

Quelle est donc cette histoire d’atelier ?
Mon grand-père avait un atelier et y tenait une activité. Aujourd’hui, je joue aux bricoleurs puisque l’on retape ça en petite base arrière pour mon frangin et moi, comme un futur logis. Depuis septembre, je refais l’intérieur après m’être occupé de la toiture et du bardage. J’y passe pas mal de temps entre les courses et mes heures d’entraînement. Une fois que ce projet de rénovation sera terminé, je serai un peu plus libre. Je retournerai peut-être courir à l’étranger. Je verrai. Pour le moment, je me concentre là-dessus. Une fois le printemps passé, je ne sais pas trop ce que je ferai.

Et financièrement alors, comment te débrouilles-tu actuellement ?
C’est un peu tempête, comme on dit ! Ce qui m’aide, c’est que pour le moment, pendant que je fais mes travaux, je suis de retour chez mes parents. Du coup, je n’ai pas de loyer à payer. Je ne paie pas mon alimentation… L’argent que je sors, c’est uniquement pour les travaux à l’atelier.

« VOIR D’AUTRES CHOSES, ÇA FAIT AUSSI DU BIEN »

Et pour tes déplacements sur les courses, comme lorsque tu es récemment descendu sur l’Essor Basque ?
J’y suis allé de ma poche. Je fais comme je peux, avec les moyens du bord. L’équipe m’aide un peu et ce n’est déjà pas trop mal. Je ne vais pas me plaindre. L’équipe me défraie le carburant et pour le reste, je me débrouille. C’est un investissement mais je pense que c’était nécessaire pour espérer pouvoir marcher sur les premières classiques en Bretagne. Je voulais courir assez tôt pour être prêt très vite. D’ailleurs, je devais partir courir en Algérie, fin janvier, mais j’ai dû annuler trois jours avant car avec le règlement de l’UCI sur l’Africa Tour, les équipes mixtes entre Européens et Africains ne sont plus autorisées. Pour revenir à l’Essor basque, ça restera une exception et maintenant, je ne vais courir qu’en Bretagne ou presque, pour ce qui est des prochaines semaines et du calendrier français.

Mais tu as donc toujours cette envie de partir courir à l’étranger, sur des courses dites “exotiques” ?
C’est sûr, ça me motive ! Le vélo s’internationalise. En France, il y a plein de courses qui manquent de bénévoles et qui meurent. Même en Bretagne ! Il n’y a qu’à regarder ce qu’est devenu la Ronde finistérienne. Avant, c’était une douzaine d’épreuves et maintenant, il en reste la moitié. Plein d’autres courses bretonnes disparaissent et ce n’est peut-être pas fini. A l’étranger à l’inverse, ça se développe petit à petit et je suis motivé à l’idée de découvrir d’autres coureurs, d’autres univers. Ce n’est pas que les courses ici ne soient pas belles mais voir d’autres choses, ça fait aussi du bien.

Quand et comment cet amour pour ce type d’aventures est-il né ?
C’est mon frangin qui est parti en Californie en 2013. Ensuite, on est reparti tous les deux au Canada l’année suivante. Avant déjà, on avait bougé avec nos équipes respectives. Je me souviens notamment d’une course au Portugal avec Côtes d’Armor-Marie Morin (le Trophée Joaquim Agostinho, NDLR) et ça m’avait plu. C’est sympa. Cela dit, il faut aimer car ce n’est pas tout le temps facile.

« POUR PRENDRE LA DOUCHE, ON ACHETAIT DES GROS BIDONS DE CINQ LITRES... »

Parce que tu as aussi galéré pendant ces voyages ?
Bien sûr ! La première année, avec Thibault, on avait acheté une voiture assez grande et on dormait dedans la veille des courses, lorsque l’on courait au Canada et aux Etats-Unis. Pour prendre la douche, on achetait des gros bidons de cinq litres et on faisait des trous dedans au tournevis. Mais c’était marrant. Et puis, l’économie que l’on faisait sur la chambre d’hôtel nous permettait ensuite d’aller visiter New-York. Il faut le vouloir, bien sûr, mais moi ça me convient. En plus, cette aventure nord-américaine m’a ouvert des portes.

Tu parles de ta rencontre avec le Canadien Phil Cortes ?
Voilà ! Je l’ai rencontré au Canada, en 2014. Il avait couru en Europe, pour Amore & Vita (à l’UC Sablé également, NDLR). Il était passé directeur sportif chez Lupus Racing Team entre temps et je ne le savais même pas. Je l’avais contacté pour avoir des infos sur des courses sur les îles. Finalement, grâce à lui, je suis rentré dans l’équipe car il m’a dit que mon profil l’intéressait.

Avec cette formation américaine Lupus, tu as notamment pu participer au Championnat du Monde contre-la-montre par équipes à Richmond !
C’était une belle expérience, même si c’était au tout début des Mondiaux, le premier dimanche, et qu’il n’y a pas autant de monde que pour les autres courses. Je me souviens que l’on avait eu des camps d’entraînement et un gros bloc de courses avant. C’était une période sympa.


« ILS VOULAIENT ME CHARCUTER DE PARTOUT »

Toutes ces aventures, tu as bien failli ne pas les vivre après avoir annoncé te retirer de la compétition fin 2012 pour un problème d’artère iliaque (lire ici)...
J’ai vraiment arrêté pendant un an, ça n’allait pas du tout. Quand j’ai dit stop, dans ma tête, c’était pour de bon. En fait, j’ai toujours souffert de ce problème physique mais je pouvais passer par-dessus la douleur. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai jamais vraiment arrêté la pratique du sport. Je me suis vite mis au triathlon. J’avais longtemps rêvé de faire un triathlon longue distance. Je m’étais dit que c’était le moment et je me suis inscrit au club de Quimper.

Mais comment t’es-tu remis de ton problème d’artère iliaque ?
Ah mais en fait, je ne me suis jamais vraiment remis (rires). Ce problème s’est déclenché sur le Tour de Bretagne 2012. Je devais me faire opérer mi-juin mais le médecin m’a dit qu’il y avait des complications, le matin de l’opération. Il m’a parlé également d’un problème au tendon quadricipital… Bon, en fait, ils voulaient me charcuter de partout. Je me suis dit que ce n’était pas la peine, que je ne vivais pas du vélo et je ne me suis donc pas fait opérer. D’autant que je m’étais déjà fait opérer de l’artère iliaque deux ans plus tôt, en 2010. C’est là que je me suis décidé à faire du triathlon. Je suis parti de zéro car je ne savais pas nager mais finalement, j’ai vite appris et j’ai même participé à l’Embrunman (un triathlon longue distance avec 3,8 km de natation, 186 km de vélo dont un passage au sommet du col d’Izoard et 42 km de cours à pied pour un total de 232 kilomètres. L'épreuve, par les dénivelés qu'elle propose, tant dans sa partie cyclisme (3 600 m) que course à pied (600 m), est réputée pour être l'une des plus difficiles au monde, NDLR). Au début, je me blessais à l’entraînement, notamment avec la course à pied. Et puis ce genre d’épreuves, comme l’Embrunman, tu y vas normalement quand tu as déjà deux-trois ans de triathlon dans les pattes. Mais finalement, ça l’a fait.

Tu étais satisfait de ta performance ?
Oui, j’ai même fini dans les 50 premiers et j’ai pu boucler l’épreuve pour l’heure de l’apéro (sourires). Quant à mes problèmes physiques… Finalement, le travail en piscine m’a permis de me renforcer le bas du dos et m’a fait du bien. Je suis de moins en moins embêté mais aussi parce que j’ai changé plein de détails. Actuellement, je fais beaucoup d’étirements… Et j’ai travaillé ma position sur le vélo. Je suis encore gêné, mais c’est assez spécifique, dans les longs cols par exemple. 

« UN ANNIVERSAIRE ORIGINAL ET UN PETIT SAFARI »

Ta pratique du triathlon, avec des épreuves dites “XXL” comme celle d’Embrun, a-t-elle changé ta perception du sport cycliste ?
C’est sûr que le triathlon, c’est encore plus dur. J’ai appris à être plus attentif sur la récupération et la nutrition. Le plus dur, c’était l’entraînement, entre la natation, le vélo et la course à pied. C’est un peu extrême, c’est même un truc de fou ! Mais bon, il y a pire, sur certains trails par exemple ! Lorsque j’ai repris la compétition sur le vélo, je relativisais. Je me disais que je partais pour trois heures de course alors que six mois plus tôt, je partais pour deux ou trois fois plus longtemps sur un triathlon. Mais depuis, c’est passé. Ça commence à dater maintenant !

Revenons à l’actualité récente : tu as participé au Tour du Rwanda, fin 2017…
C’était ma première en Afrique, c’était bien ! J’avais cette idée depuis trois-quatre ans. J’ai vu que c’était une course très populaire, avec un monde fou sur le bord des routes. Le cyclisme se développe en Afrique et le Rwanda est l’un des pays les plus costauds du Continent pour le cyclisme. Bon, je dois avouer que tout le monde me disait : “en Afrique tu vas crever, les routes sont moyennes…” mais non, je n’ai pas eu une crevaison de la semaine. Et puis niveau hébergement, j’ai été agréablement surpris aussi. Mis à part une nuit bof-bof, on était limite dans des palaces. J’ai beaucoup aimé.

Et tu as bien failli t’offrir un sacré cadeau d’anniversaire le jour de tes 30 ans !
J’ai terminé deuxième ce jour-là… Le Suisse Simon Pellaud a bien joué le coup (il s’impose en solitaire tandis que Matthieu Jeannès règle le groupe de poursuite, NDLR). C’est un bon souvenir malgré tout, pour mes 30 ans. C’était un anniversaire original et sympa ! Surtout qu’après la course, on avait eu le temps de se faire un petit safari et des visites.

« CETTE VIE, C’EST LA DÉBROUILLE ET VIVRE DANS SA VALISE »

C’est aussi ça, l’avantage des courses “exotiques” : allier compétition et tourisme ? 
Quand on peut faire d’une pierre deux coups, il faut en profiter, mais ce n’est pas toujours possible malheureusement. J’ai déjà couru en Californie ou en Floride sans jamais voir l’océan… En passant toute la boucle à trois-quatre kilomètres de la côte. On n’a pas toujours des véhicules à disposition, puis quand on vient courir, ce n’est pas la priorité. Cela dépend du contexte, on ne peut jamais vraiment planifier. Mais si j’ai le choix, j’essaie d’en profiter, évidemment.

Tu expliquais tout à l’heure n’avoir pour échéances que les classiques bretonnes et la fin de ton chantier à l’atelier. Mais as-tu la moindre idée de ce qui suivra après le printemps ?
Quand j’ai arrêté un an, je pensais que c’était définitif. Et puis finalement… J’ai eu une discussion là-dessus avec Gilles Mas, le Président de Saint-Etienne, au début de l’hiver. Il m’a dit : “ça s’arrêtera quand ça s’arrêtera. Tant que tu peux continuer, continue”. C’est vrai que je me dis qu’il ne sert à rien d’arrêter en étant un peu frustré, pour reprendre en Pass’ à 50 ans parce qu’il te manque quelque chose ! Bon, c’est sûr, cette vie c’est la débrouille et vivre dans sa valise. Ça ne peut pas durer encore vingt ans. Mais j’aime bien ça et je pense que je continuerai encore quelques temps. J’ai envie de repartir à l’étranger aussi et ça dépendra des opportunités. 

Et pour ton après-carrière cycliste, de quoi as-tu envie ?
Peut-être que ce sera toujours dans le monde du vélo, comme directeur sportif ou manager. Mais pas forcément dans de grosses équipes carrées et structurées. J’aimerais aider des jeunes qui viennent de loin et qui n’ont pas forcément de quoi progresser dans leurs pays. Une sorte de Centre Mondial, en moins bien sans doute, mais j’aimerais… Peut-être que je rêve...

A court terme, il y a une place de leader du Challenge BBB-DirectVelo à défendre !
(Rires). Je ne cours pas de la semaine… Je vais serrer les fesses pour que mes poursuivants n’enchaînent pas trop dans les prochains jours. Pour l’instant, j’ai un petit matelas d’avance grâce au Rwanda. Bon, je sais qu’il y a débat sur le fait que c’était une course de l’an dernier mais… Je me dis que je courais pendant que les autres étaient dans leur canapé. C’est mérité ! Ensuite, ce sera à moi d’être bon sur mes prochaines courses. J’aimerais bien le garder jusqu’à la fin du mois, ce serait bien pour le club d’Hennebont. Et puis, il faudrait faire un nouveau petit papier sur DirectVelo (sourires). Enfin, on n’en est pas là !

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