La Grande Interview : Geoffrey Bouchard
L'euphorie commence tout juste à retomber. Cinq jours après avoir décroché le titre de Champion de France sur route Amateurs dans les rues de Mantes-la-Jolie (Yvelines), Geoffrey Bouchard ne réalise pas encore totalement ce qu'il lui est arrivé. Pourtant, le sociétaire du CR4C Roanne ne cesse d'être ramené à son triomphe de samedi dernier, en étant énormément sollicité par différents médias. Garçon travailleur, discret et humble, l'Isérois ne veut pas en oublier pour autant de garder son cap. A 26 ans, il s'est décidé à arrêter de travailler pour se consacrer pleinement au cyclisme. Alors qu'il semble désormais toucher du doigt son rêve de passer professionnel, l'homme aux quinze victoires ces trois dernières saisons promet vouloir tout mettre en oeuvre pour enfoncer le clou dans les prochaines semaines. Et ce dès Entre Brenne et Montmorillonnais (Coupe de France DN1), première compétition sur laquelle il devrait étrenner son maillot tricolore.
DirectVelo : Tu dis ne pas avoir une minute devant toi depuis ton sacre à Mantes-la-Jolie. Que se passe-t-il ?
Geoffrey Bouchard : Ca n’arrête pas ! (rires). C’est assez dense. Bon, il commence à y avoir moins de coups de fil depuis hier (mercredi), mais quand même… J’ai eu beaucoup de sollicitations pour tous types de médias, le téléphone ne faisait que de sonner. C’est quelque chose !
Et tu as été surpris par cette effervescence ?
On s’en doute toujours un peu. Un titre de Champion de France… Quand je voyais les autres Champions de France sur les premières courses, avec leur maillot, on comprend ce que c’est. Mais quand ça nous arrive, c’est différent. Il faut apprendre à le gérer. Mais bon, ce sont de bons problèmes, quand même.
Vis-tu bien cette situation, toi qui n’as pas toujours semblé très à l’aise avec les médias ?
Ce n’est pas que je ne suis pas à l’aise, mais disons plutôt que je n’aime pas trop les interviews d’avant-course… On a le droit d’avoir de l’ambition, mais il faut arriver à ne pas paraître trop prétentieux alors que l’on est ambitieux. Et ce n’est pas facile. Je préfère garder les choses pour moi, puis en parler si ça marche, plutôt que d’annoncer quelque chose et ne pas forcément répondre présent par la suite. Je préfère rester discret et ne pas trop afficher mes ambitions, y compris avec les copains de l’équipe. Sinon, on se met encore plus de pression. Le problème du vélo, c’est que tu peux très bien avoir de superbes jambes un week-end, puis complètement subir la course la semaine suivante.
Avant ce Championnat de France, tu n’avais donc rien annoncé mais tu avais parfaitement préparé ton affaire…
On a toujours des entretiens annuels avec les directeurs sportifs. On en a deux : un pendant la trêve hivernale et un autre en cours de saison. Cette année, je voulais faire le point avec eux après le Rhône-Alpes Isère Tour, qui marquait la fin de mon premier gros bloc de courses. Je voulais bien planifier le calendrier et corriger les choses qui n’allaient pas. Tout ça dans l’idée de très bien marcher au mois de juin. Depuis, j’ai bien géré : même quand je ne suis pas super bien sur le vélo, j’arrive quand même à être là. Je n’ai pas de gros creux. J’arrive à avoir une certaine régularité et à chaque fois que je me présente au départ d’une course, c’est avec l’espoir de pouvoir faire un résultat. Il y a sans doute une part de psychologique, mais je crois que c’est d’abord le palier physique qui est passé. Mon niveau physique de base est beaucoup plus élevé que les autres années et en plus, lorsque ça va un peu moins bien, je peux maintenant compenser avec mon expérience.
« JE PRENDS CHAQUE COURSE COMME UNE CHANCE »
Ce palier physique, tu l’as donc passé en ne te consacrant qu’au cyclisme cette année ?
Voilà ! Je travaillais à côté jusqu’à présent, à Decathlon, en tant que vendeur de cycles puis assistant commercial, pour une durée totale de trois ans. J’accumulais énormément de fatigue au boulot, en y ajoutant également les trajets etc. Je ne récupérais pas. Parfois, j’étais malade parce que j’étais cramé, et tout cela m’a fait perdre beaucoup de temps durant mes précédentes saisons. Depuis, j’ai appris la régularité. Mon entraîneur David Giraud me titillait toujours avec ça par le passé : il me disait que je n’étais pas régulier. J’ai bien évolué.
Samedi dernier, après ton succès, tu nous expliquais avoir voulu te consacrer à 100 % au cyclisme en 2018 car tu n’avais “pas fait le tour de la question”. Tu sentais donc que de grandes choses pouvaient arriver ?
Je voyais que c’était possible, que j’avais les moyens de faire de gros résultats. Sans citer de nom, on m’a dit de faire un choix, d’assumer à fond, et je me suis lancé cette année. On voit des jeunes sortir du lycée, arrêter les études et ne se consacrer qu’au vélo. De mon côté, je pense que mes différentes expériences me permettent aujourd’hui de savourer encore plus le fait de ne pratiquer que le cyclisme. Je sais ce que c’est que de partir au boulot à 8h et de rentrer à 21h, avec deux heures de trajet aller-retour. Quand je montais sur le vélo le lendemain d’une journée de travail, j’avais l’impression de sortir d’une course par étapes, alors que je n’avais pas roulé la veille.
C’est une expérience importante ?
Je profite encore plus, en fait. Je suis super motivé pour bien faire les choses. J’évite de tomber dans le schéma où tu te retrouves parfois à ne pas vouloir t’entraîner, à te lasser… Je me dis toujours que j’ai de la chance d’avoir le club et mes parents qui m’aident encore un petit peu pour pouvoir profiter de tout ça. Alors du coup, j’optimise la semaine puis le week-end, j’essaie de donner le meilleur de moi-même. Je prends chaque course comme une chance, et comme si c’était ma dernière.
Tu t’es dit que c’était l’année ou jamais pour espérer faire carrière par la suite ?
Disons qu’à partir d’un certain âge, tu attaques chaque saison en te demandant si ce n’est pas la dernière. Cet hiver, j’ai cogité. Mais ce n’est pas la première fois que ça m’arrivait. Après mes quatre années au VC Vaulx-en-Velin, je suis arrivé au CR4C Roanne pour la saison 2015. Je débarquais dans un gros collectif, ce n’était pas évident. J’avais très vite fait 2e du Jean-Masse derrière Lilian Calmejane (voir classement) mais ensuite, j’ai enchaîné les problèmes de santé toute l’année. A partir de ce moment-là, j’ai eu le sentiment que je n’avais pas fait le tour de la question, justement.
« J’AI TOUT MIS EN OEUVRE POUR ARRIVER AU TOP »
Et finalement, tu as passé ton plus gros cap entre 2015 et 2016…
Oui car j’ai vite appris la culture de la gagne à Roanne alors que jusqu’à mon arrivée dans l’équipe, je n’avais jamais rien gagné. Là, j’ai enchaîné les succès et ça m’a fait beaucoup de bien.
Lors de ces succès, tu as plusieurs fois parlé d’un ami disparu, qui te porte dans le final des différentes épreuves…
C’est Gilles Uberto. Je roulais souvent avec lui à mes débuts. Il m’invitait aussi à faire du ski de fond l’hiver. J’ai longtemps fait de la musculation avec lui et son groupe, à Voiron puis encore lorsque j’étais à Vaulx-en-Velin. Il me donnait beaucoup de conseils sur l’entraînement et sur la nutrition. Malheureusement, il est décédé sur le vélo lors d’un accident. C’est quelqu’un qui m’aide aujourd’hui, dans le final des courses, à aller chercher un petit peu plus loin.
Cette année, tu as encore passé un autre cap en ne gagnant que des grosses courses du calendrier !
C’était l’objectif de la saison (sourires). Mes directeurs sportifs m’avaient dit : “on sait que tu es capable de gagner cinq Grand Prix de la Courgette, des petites 1.2.3, mais maintenant, on t’attend sur les grands rendez-vous”. J’ai donc tout mis en oeuvre pour arriver au top de ma forme sur ce mois de juin, entre le Tour du Beaujolais et le Championnat de France. Et je ne me suis pas loupé puisque j’ai gagné au Beaujolais, puis une étape de la SportBreizh. Ensuite, j’ai bien travaillé pour le collectif au Tour Nivernais Morvan, même si ça ne sautait pas aux yeux en terme de performance personnelle.
J’avais presque peur d’arriver “au France” en ayant un peu passé mon pic de forme. Mais en réalité, c’est justement au Championnat de France que j’ai eu mes meilleures jambes.
Dans ces conditions, tu te sentais dans la peau d’un favori au moment de mettre les pieds à Mantes-la-Jolie ?
En tout cas je pensais au maillot. Je me disais : “c’est l’objectif, c’est l’objectif, c’est l'objectif…”. Je me le répétais souvent. On jouait la carte du collectif, mais je savais que je n’avais jamais été aussi en forme. J’avais bien récupéré du TNM. J’avais aussi fait l’effort de repérer le parcours dès le jeudi, tout seul. Je voulais me tester sur les bosses et voir comment ça se passait. Ca me plaisait de suite, même si je n’ai pas oublié que jusque-là, les Championnats ne m’avaient jamais réussi. Ce qui m’a aussi sans doute aidé, c’est de me savoir en très grande condition. J’ai toujours eu du mal à me dire que je pouvais gagner lorsque je revenais de coupure, et que j’étais dans une forme moyenne. C’est bête, mais j’ai toujours raisonné comme ça. Cette fois, la question ne se posait pas… J’étais en confiance, en fait.
« C’EST UN ÉQUILIBRE »
Et lorsque tu te dis que tu peux gagner, c’est quelque chose que tu gardes en toi, ou que tu as besoin de partager avec tes proches et ton équipe ?
J’en parle un petit peu mais tout en restant humble. Je leur disais que je pensais au Championnat de France, mais pas que j’allais être Champion de France… Ce qui est marrant avec ce titre, c’est qu’en tout début d’année, j’hésitais même à aller au Championnat car c’était en même temps que le Tour du Pays roannais, qui se déroule sur mes routes d’entraînement. Aller au Roannais m’aurait sans doute permis de faire un bon résultat. Enfin… le plateau était plus ouvert qu’au Championnat de France. Et puis finalement, je me suis vite dit que j’avais déjà gagné un classement général ou une Élite, et qu’il fallait que je tente ma chance à un niveau encore supérieur. Pour atteindre ce niveau supérieur, il fallait être Champion de France. Je devais tenter ma chance.
Tu disputes actuellement ta quatrième saison au CR4C Roanne, après avoir passé quatre ans à Vaulx-en-Velin : la stabilité est une valeure importante pour toi ?
J’ai récemment réalisé, en relisant un article, que j’avais passé quatre ans à l’UC Voiron également, pour mes débuts (voir ici). En fait, je n’ai fait que trois clubs en douze saisons, dans toute ma carrière. Pourtant, j’avais de bons résultats en Juniors et j’avais des sollicitations, mais je préférais rester fidèle à l’UC Voiron. J’ai besoin d’avoir une stabilité. J’ai aussi des amis à Roanne, que ce soit des coureurs, des directeurs sportifs, des bénévoles… J’y suis bien. On arrive à faire plein de belles choses ensemble, également en dehors du vélo. C’est un équilibre, lorsque tu restes dans le même club. Ca me convient.
Comment s’est déroulée la soirée du titre, samedi dernier ?
J’avais simplement prévu de rentrer chez moi, mais j’avais promis à ma copine que si nous étions Champions de France, on allait faire un truc ! Il y avait un climat de confiance dans l’équipe… On sentait que cette année, on pouvait vraiment le faire. Alors on n’en avait parlé tous les deux pour rigoler. Et on l’a fait ! On a donc eu l’occasion de fêter ce titre et nous sommes partis chez Florian Dufour, qui habite à mi-chemin entre Mantes-la-Jolie et Roanne. On a passé la soirée tous ensemble, avec le staff, les coureurs… et ma copine (rires). On a passé une bonne soirée, mais assez soft, même si c’était difficile de dormir.
Tu as pris le temps de revoir quelques images, depuis samedi ?
J’ai relu le live de DirectVelo (sourires) ! Beaucoup de membres de ma famille m’ont dit qu’ils avaient suivi la course ici. En même temps, je ne suis pas quelqu’un qui aime trop avoir sa famille sur les courses. Je préfère faire mon vélo tranquille et fêter ce qu’il y a à fêter après, s’il le faut. Du coup, ils étaient tous à la maison, derrière l’ordi. Et ils étaient vraiment à fond sur DirectVelo ! (rires). Je sais que le fait qu’il y ait eu cette bataille et ce faible écart avec Flavien (Dassonville) dans le final, c’était quelque chose pour eux. Du coup, ils étaient très émus à l’annonce de ma victoire. Je n’ai même pas revu mes parents depuis ma victoire, mais je pense que je fêterai ça avec eux ce week-end.
« J’AI DEMANDÉ UN MAILLOT ASSEZ DISCRET, SANS TROP DE SPONSORS »
As-tu eu le temps de réaliser ?
Je ne sais pas trop… Pendant le podium protocolaire, je n’arrivais pas à baisser la tête et à regarder le maillot que l’on m'avait remis sur les épaules. Pour moi, ce n’était pas possible, ce n’était pas moi qui l’avait. Je réalise petit à petit, mais je ne reste pas là-dessus. Il reste encore beaucoup de courses d’ici à la fin de saison. Je sais que je ne vais pas faire du vélo pendant 50 ans alors du coup, je vais éviter de faire des bêtises maintenant, de me laisser aller. Je profiterai cet hiver.
Qu’as-tu fait de ton maillot de Champion de France ?
Je l’ai souvent avec moi, comme on me le demande pour mes obligations télévisées, pour les photos etc. Dimanche, on est allé au départ de la dernière étape du Tour du Pays roannais. C’était l’occasion de remercier tout le monde au club et de fêter ça tous ensemble. Pour l’instant, le maillot n’est jamais très loin de moi (sourires).
Tu n’as pas mis ton maillot pour ta première sortie d’entraînement ?
Si ! Je devais couper pendant trois jours mais je n’ai pas pu m’empêcher de faire une petite sortie (sourires). Maintenant, j’attends la tenue officielle. J’ai demandé à avoir un maillot assez “discret”, sans trop de sponsors, pour respecter le bleu-blanc-rouge. Les membres du club ont été très gentils et compréhensifs. Je ne voulais pas être une vitrine publicitaire et je les remercie de m’avoir donné cette chance-là.
Maintenant, tu vas tout faire pour passer professionnel ?
Bien sûr, c’est l’objectif. Même si je sais qu’au “pire” des cas, je pourrai continuer au CR4C Roanne l’an prochain et que ça me permettra de profiter du maillot jusqu’en juin 2019. Mais je vais me battre pour passer pro. C’est aussi pour ça que je veux rester totalement concentré sur la fin de saison, en me fixant de nouveaux objectifs. Je pourrais m’éparpiller un peu en répondant à pas mal de sollicitations et d’invitations, en tant que Champion de France. Ca me permettrait aussi de prendre un petit peu d’argent mais franchement, ce n’est pas la priorité aujourd’hui. Je veux me concentrer sur mon ambition de passer pro. Et ça passe par de nouveaux bons résultats.